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    Alphonse Boudard est né à Paris en 1925 de père inconnu et d'une mère prostituée.

    On peut avoir plus de chance pour démarrer dans l'existence...

     

    Confié dans sa petite enfance par sa mère à un Carnute taciturne, Auguste, ancien combattant de 14-18, bougon mais affectueux, il avait de fortes chances de devenir ouvrier agricole, au mieux petit paysan.

     

    Ramené à Paris par sa mère, à l'âge de 7 ans, il vivra de nombreuses années dans le XIII arrondissement, plus ou moins livré à lui-même.

     

    De cette époque, il restera profondément marqué par le langage, les us et coutumes, les traffics en tous genres d'un peuple hétéroclite d'ouvriers des usines Panhard et Levassor, d'apaches de la Butte aux cailles et d'anciens des Bataillons d'Afrique.

     

    Au début de la guerre de 39-45, Alphonse, âgé de 16 ans est ouvrier typographe dans une imprimerie. Le hasard et certains liens amicaux le poussent à rejeter l'appel au calme du Maréchal et à rejoindre

    l'armée de Delattre.

     

    Rentré blessé et décoré du conflit, Alphonse Boudard retrouve un Paris désoeuvré et commence une vie remplie de petits expédients, de combines illicites, de cambriolages.

     

    Le voici parti pour une dizaine d'années de séjours successifs en prison. Châtiment qui s'avéra être la "chance" de Boudard

     

     

    Diagnostiqué « intelligent » par l’administration pénitentiaire, il a accès aux bibliothèques et s’enferme dans la lecture, se fait une éducation littéraire, ses gammes en quelques sortes : de la Bible à Céline, en passant par les classiques grecs, les romans de Balzac, Stendhal, Tolstoï, Proust, Mann, les biographies historiques et les récits de voyages.

     

    Il y acquiert une "culture" mais aussi et surtout le goût de l'écriture.

    Libéré en 58, il rédige des manuscrits où se mêlent des mondes originaux et une langue argotique dont il devient rapidement le maître. En 1962, après un séjour en sanatorium et Fresnes son premier texte,

    La métamorphose des cloportes est publié.

    Le fond et la forme plaisent au grand public et il enchaîne les prix littéraires:  le prix Sainte-Beuve en 1961 pour 'La Cerise',

    le prix Renaudot pour 'Les Combattants au petit bonheur' en 1977 et le

    Grand Prix de l'Académie Française en 1995 pour 'Mourir d'enfance'.

     

    La langue de Boudard lui attire également les faveurs du cinéma à l'instar de Georges Simenon et de Fréderic Dard.

     

    Il collabore en tant que dialoguiste ou scénariste à de nombreux films policiers entre la fin des années 60 et les années 80, notamment aux côtés de Michel Audiard, Jacques Deray, Alain Delon.

    Décédé en 2000, il reste "celui" qui trouva une alternative réussie à la vie de taulard grâce à l'écriture. On sait qu'il a fait de nombreux émules depuis...

               

    La dédicace qui suit ne peut être formellement datée. Elle apparaît sur une édition de 1977 du livre "Les combattants du petit bonheur" à la Table Ronde. 

    alphonse-boudard2.jpg 

      

     

    L'écriture au stylo noir griffe littéralement le papier. Le trait net et sec semble accrocher l'espace et se raidir en angles abruptes pour pouvoir faire sa place dans la feuille de papier. L'avancée est chaotique, en tension avec une prédilection pour l'étalement sur l'horizontale et simultanément des saccades, des raidissements, des cabrages, une pression souvent déplacée sur l'horizontale, des tiraillements d'inclinaison qui viennent démentir ou pour le moins nuancer l'apprente "aisance" du tracé.

    L'inconfort transparaît donc en premier lieu dans ces quelques lignes. Inconfort, révélateur d'une personnalité qui bien que poussée à établir des liens avec ceux qui l'entourent, reste en attitude de défense et parfois de résistance.  Personnalité qui perçoit plus facilement et rapidement les aspérités de l'existence que ses facilités.

    Il en résulte une mobilisation de l'énergie pour affronter et surmonter les obstacles, prendre la main sur les événements et sur les gens rencontrés. Ne pas baisser la garde, rester vigilant, semble dire cette écriture, ce trait coupant à la limite du tranchant.

    Tant d'énergie pour se défendre certes, mais pas que cela... Gagner en estime de soi, en confiance en soi, en plénitude, en identité, en indépendance  et en cohérence, c'est également ce que nous livre la spectaculaire signature, liée à hyperliée et hors normes par sa dimension.

                     

     

    Et pour terminer quelques citations d'Alphonse Boudard:

     

     L' Histoire, l'orsque l'on a le nez dessus... dedans, je dirais même, on n'y voit rien, on ne s'occupe que des détails.

     

    Je pense  à présent qu'il faut se conduire toujours en homme du monde avec les putes et souvent  en julot  avec les bourgeoises. 
             

    Un psychanalyste est un homme  qui va au Crazy Horse Saloon et qui regarde les spectateurs

     

     

    PS: Pour en savoir plus sur Alphonse Boudard, consulter le site : 

    André Pousse

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     Alphonse Boudard

    ALPHONSE BOUDARD, GRAND AUTEUR FRANÇAIS ET PRINCE DE L’ARGOT

     

    Alphonse Boudard, un cas à part

     

    Voilà en effet un homme qui justifie qu’on lui consacre un peu plus qu’une page sur un site internet. Peu de personnages ont eu un parcours aussi complet que lui, ont accumulé une telle expérience, passant de l’ombre à la lumière, de l’anonymat à la célébrité, du dénuement au confort avec autant de détachement et de lucidité

     

     

    Investigateur chevronné, mémorialiste truculent et conteur hors pair, Boudard emporte ses lecteurs par une vague tantôt faubourienne, tantôt lettrée, avec toujours en filigrane le sens de la gaudriole élégante.

     

    Alphonse Boudard

     

    Alphonse Boudard* a créé une œuvre inspirée par sa vie pleine de zigzags  «combattant du petit bonheur» dans l’armée de Lattre,

     

    résistant décoré,

     

    malfrat envoyé en prison pour des casses malheureux, tuberculeux soigné en sanatorium. Il fit ses universités au cachot où la lecture intensive lui donna le goût de tâter de la plume.

     

     

    Les concours de rots et parties de fesses en l’air ne sont qu’un voile, car derrière cette gauloiserie, il y a les libérateurs pitoyables, les cours de justice infamantes, les prisons dégueulasses, les mouroirs qui s’appellent hôpitaux, toute la misère humaine racontée avec verve et colère.

     

    Cet amalgame-là rend la lecture de Boudard à la fois distrayante et terrifiante.

    «Je suis né comme un chien dans un jeu de quilles.» Né de père inconnu et délaissé par sa mère prostituée, Alphonse Boudard est confié dès sa naissance à une famille de paysans de Bellegarde, en pleine forêt d’Orléans. C’est là qu’il passe ses premières années, comme « un petit clébard », entre Blanche et Auguste.

    Alphonse Boudard

    Ce dernier, ancien de la grande guerre, taciturne, laconique, bourru et affectueux, ponctue ses journées besogneuses et silencieuses de courtes tirades telles que « Tchon, fi de garce, vl’à t’y pas l’Alphonse qui s’ramène ».

     

    Une première approche du langage pour le jeune Boudard, qui semble alors promis au difficile statut d’ouvrier agricole.

    Il a sept ans quand sa mère le retire à sa famille d’adoption pour le ramener à Paris, où elle l’installe chez sa grand-mère.

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    Il vit d’abord du côté de la Motte-Picquet Grenelle, puis dans le 13ème arrondissement, entre les Gobelins et la Porte de Choisy.

     

     

    Se mêlant aux « locaux », Alphonse perd son accent campagnard et adopte le langage parigot et fleuri de ses nouveaux « potes », les populos du quartier qui vont turbiner tous les matins aux usines Panhard et Levassor, quelques apaches de la Butte aux Cailles, de vieux soudards, des anciens Bataillons d’Afrique (les Bat d’Af) de Tatahouine, et des accrocs au « jinjin » qui perdent leurs derniers sous et leurs derniers jours dans les bistrots.

     

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    La guerre 39-45 marque le premier grand tournant de la vie du paysan parisien Boudard.

     

    Ouvrier typographe dans une imprimerie, il vivote et hésite comme beaucoup entre l’appel au calme de Pétain et le « grand large » proposé par De Gaulle.

     

    Ces deux figures sont bien loin du 13ème arrondissement, mais y sont représentées, pour le Maréchal par les militants des partis de droite qui trouvent dans ses discours un exutoire à leur ennui ou à leur hargne, et pour le Général par les communistes galvanisés par le fiasco de l’opération Barbarossa.

     

    A quoi tient l’engagement, le fait qu’on bascule d’un côté ou de l’autre, se demandera souvent Boudard ?

     

    Peut-être plus aux affinités avec les hommes qu’aux idées pour lesquelles ils militent ?

     

    Le hasard et les amitiés font bien les choses pour Alphonse Boudard, qui se retrouve du « bon côté de la barrière ».

     

     

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    Après avoir été sur les barricades de la place Saint-Michel lors de l’insurrection de Paris, il s’engage dans l’armée de De Lattre et part bouter l’allemand hors de France.

     

    Un fait d’arme lui vaudra une blessure judicieusement placée et une décoration.

     La fin de la guerre sonne le glas des illusions de beaucoup des jeunes gens qui s’étaient laissés porter par la fièvre de la Libération.

     

    Ce qui pour les uns est synonyme de retour au boulot se traduit pour les autres par le chômage forcé et non indemnisé.

     

    Or, La Fontaine le disait déjà, « l’oisiveté est mère de tous les vices », et les mauvaises habitudes prises durant la guerre et les campagnes militaires ne se perdent pas facilement.

     

    Boudard vit d’expédients, fréquente toutes sortes d’engeances, traîne ses lattes dans un Paris désoeuvré…

     

    Il commence par quelques combines illicites, puis s’essaie au cambriolage et utilise finalement son ascendant sur les autres pour monter d’efficaces équipes et de lucratives « affaires ».

     

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    C’est le début de sa période sombre.

     

    Il passe une quinzaine d’année entre ombre et lumière, entre un milieu parisien interlope et diverses prisons ou hôpitaux français. Il y croise la fine fleur des bas fonds, tout ce que la société punit, rejette ou ne veut pas voir, noue quelques amitiés et s’y construit une véritable carapace, bien décidé à cultiver sa différence. Pied-Nickelé.

     

    Bien plus que «gangster», comme on dit à l’époque.

     

    Un poil Croquignol pour le tarin «bien nez», un brin Filochard pour l’art de bonimenter.

     

    Du bagout, il en faut pour vendre des photos porno sous le manteau ou écouler de la fausse monnaie.

     

    Ainsi, une première fois amnistié par Vincent Auriol, eu égard à ses états de service dans le réseau Navarre, Boudard retourne-t-il au placard pour cinq ans, au milieu des fifties, à cause de cette fâcheuse manie de casser les coffres-forts:

     

    «Dans la profession, les perceurs sont une espèce d’aristocratie, on n’en rencontre pas des bottes et, en général, cette spécialité les met à l’abri des compromissions trop sordides.»

     

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    Diagnostiqué « intelligent » par l’administration pénitentiaire, il a accès aux bibliothèques et s’enferme dans la lecture.

     

    C’est ainsi en prison qu’il fait sa culture littéraire, allant de la Bible à Céline, en passant par les classiques grecs, les romans de Balzac, Stendhal, Tolstoï, Proust, Mann, les biographies historiques et les récits de voyages.

     

    Il fait ses gammes, en quelque sorte.

     

    Ces lectures ne font pas son éducation, mais elles la complètent.

     

    Il le dit lui-même, « les voyages, comme les livres, ne forment que ceux qui le sont déjà, tout comme la grammaire n’apprend pas le langage, elle le structure, l’organise, l’explique ».

     

    Alphonse Boudard, qui a déjà sérieusement roulé sa bosse sait que rien ne remplace l’expérience, mais il commence à ressentir l’appel de la page blanche…

     

    Il sort de prison en 1958, et ses premiers manuscrits, empreints de son style à la fois argotique et littéraire, témoignant d’une double culture, séduisent un éditeur plus téméraire que la moyenne de sa profession, et ses premiers écrits conquièrent un large public, amateur d’un langage « où les gauloiseries, les truculences et l’argot des voyous rencontrent la petite musique des nostalgies ».

     

     

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    C’est le début d’un succès que rien ne démentira, le « miracle Boudard » que Michel Tournier, un de ses premiers lecteurs, qualifiera de « la rédemption par l’écriture ».

     

    Son style immédiatement reconnaissable, son expérience personnelle unique, son réel talent de romancier, font rapidement d’Alphonse Boudard une valeur sûre,

    et le cinéma lui tend la main.

    Publié chez Plon en 1962, grâce à une fiche de lecture de Michel Tournier, la Métamorphose des cloportes, premier roman d’Alphonse Boudard, permet subitement à son auteur de «passer de la rubrique des faits divers aux pages littéraires».

     

    Dans cet ouvrage racontant le retour à la vie active d’un ancien casseur, Boudard se révèle d’entrée le chaînon manquant entre Céline

    et Frédéric Dard.

    Prix Renaudot. Adapté illico à l’écran par Audiard et Granier-Deferre, la Métamorphose des cloportes (avec Ventura et Aznavour musique de Jimmy Smith) est un succès.

    Pour Boudard c’est le début d’une notoriété qui ne faiblira jamais, y compris dans le cinéma, son nom figurant au générique de plusieurs films dont le Soleil des voyous,

     

    Du rififi à Paname, le Solitaire ou le Tatoué » Prix Sainte-Beuve pour la Cerise, son deuxième livre traitant de ses années d’incarcération, Boudard, après avoir terminé un fameux dictionnaire d’argot (il se réclamait bilingue «français-argot»), la Méthode à Mimile, décrochera le Renaudot en 1977 (pour les Combattants du petit bonheur),

     

    puis le grand prix de l’Académie française en 1995 pour Mourir d’enfance, superbe roman autobiographique sur sa jeunesse et ses relations avec sa mère («Mademoiselle ma mère»), prostituée. Il y décrit notamment l’enterrement dont il rêve, «dans un jardin de mon coeur», au bord d’une route, histoire sûrement de narguer une dernière fois les cimetières: «Une torpédo s’arrêtera » en descendra une jeune femme, une très jeune femme, en robe courte, coiffée à la garçonne »

     

    Un léger, léger fantôme » rien que pour moi au royaume des ombres »»

    A la sempiternelle question: «Pourquoi écrire?»,

     

    Alphonse Boudard, qui n’était pas du genre à louvoyer, avait une réponse toute prête:

     

    «Pour narguer les cimetières.»

    A la fin de sa vie, Boudard se retire à Nice en compagnie de ses amis écrivains, dont Louis Nucéra, et se risque dans un de ses derniers livres, Mourir d’enfance (prix du roman de l’Académie Française, 1995), à établir son autobiographie romancée.

     

    Peu d’écrivains ont eu un parcours aussi chaotique, accumulé une telle expérience humaine, passant de l’ombre à la lumière, de l’anonymat à la célébrité, du dénuement au confort, avec un tel détachement et une lucidité étonnante.

     

    Détachement et lucidité dont témoignent tous ses écrits, et dont Boudard, pourtant païen convaincu, avoue qu’il a trouvé la clé en lisant l’Ecclésiaste: « il y un temps pour tout, un temps pour planter, un temps pour arracher, un temps pour naître, un temps pour vivre et un temps pour mourir.

    (Né en 195 à paris, Alphonse Boudard est décédé en janvier 2000 à Nice)

    Pour aller plus loin et mieux le connaitre: 

     

    Ce que je sais d’Alphonse, Laurence Jyl, La table ronde

     

     

    Source

     

    http://www.delitdimages.org/alphonse-boudard-auteur-francais-et-prince-de-largot/

    http://andrepousse.free.fr/alphonse.htm

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    Les Métamorphoses d’Alphonse : deux livres d’historien sur les bas-fonds de la société régis par la corruption, les trafics, les secrets d’alcôve, la prostitution. L’Étrange Monsieur Joseph est la première biographie documentée sur Joseph Joanovici un juif collaborateur.

    Ce ferrailleur bessarabien devenu un des rois de l’Occupation fit fortune avec les Allemands en leur vendant des métaux ferreux parfois défectueux. Il usa de ses contacts pour libérer des juifs et finança en parallèle le réseau de résistance Honneur de la police. Il joua sur tous les tableaux.

    Au One Two Two, le lupanar le plus huppé du Paris occupé, «Joano» sablait le champagne avec les verts de gris et la fine fleur de la collaboration. À la Libération le monde des maisons d’illusion pas vraiment résistant va être menacé. Dans La Fermeture. 13 avril 1946, la fin des maisons closes, Boudard l’enquêteur tire de l’ombre ce jour oublié qui a fait la France. Il décortique la légende de Marthe Richard, ancienne espionne de 14-18, qui laissa son nom à cette loi abolitionniste. «C’est la base d’une civilisation millénaire qui s’écroule», écrivait Pierre Mac Orlan. La biographie officielle de «notre Jeanne d’Arc anti-bordels» méritait une sérieuse révision.

    CITATIONS:

     » Je pense à présent qu’il faut se conduire toujours en homme du monde avec les putes et souvent en julot avec les bourgeoises.  »

    « Pour ne pas perdre ses illusions, le mieux c’est d’en avoir le moins possible.  »

    « Sans la pilule ça serait encore un gros péché de tringler hors des liens conjugaux.  »

     » Le printemps, c’est tout un poème. On en parle, on le pratique, on l’attend…  »

     

    Olivier Bailly : A quand remonte votre intérêt pour les maisons closes ?
    Alphonse Boudard : Je vais essayer de vous expliquer exactement la genèse de tout ça. J’ai toujours vécu avec ces histoires de bordels, de prostitution en toile de fond parce que ma mère se défendait comme ça.

    Quand on m’a fait des reproches sur le fait que je choisissais ce sujet j’ai dit que j’étais mieux placé qu’un autre pour en parler. Bon, historiquement, il fallait que j’apprenne des tas de choses, mais enfin, pour l’essentiel, j’avais compris un petit peu de quoi il s’agissait. J’ai évoqué les maisons dans différents livres, par exemple dans Bleubite où il y a une scène célèbre dans un bobinard, mais je n’avais pas l’intention du tout d’écrire là-dessus. Un jour, j’ai raconté à un ami, qui est directeur littéraire chez Laffont, ce que je savais sur la mécanique de la Fermeture. Il me dit « Faut faire un livre ».

    Moi je lui réponds que ça ne me paraît pas intéressant, suffisant, que tout ça est anecdotique seulement. Il en parle à Robert Laffont qui me rencontre, on discute et, de fil en aiguille, on en arrive à un contrat et un livre qui s’appellerait La Fermeture et qui serait inclus dans une collection, Ce jour-là dans laquelle il y avait eu le 6 juin 1944 le jour le plus long, le 14 juillet 1789 la prise de la Bastille, etc. et je pensais que finalement dans l’histoire les mœurs ont beaucoup d’importance et que le 13 avril 1946 est une date historique qui est d’ailleurs passée inaperçue parce que c’est une chose qui paraissait à l’époque un détail. Et puis la collection s’est arrêtée entre-temps, mais on a fait le livre qui s’appelle donc La Fermeture, le 13 avril 1946. Quarante ans après, en 86.

     Olivier Bailly : Maintenant ça fait 45 ans. On va faire une fête… les rouvrir ?

    Alphonse Boudard : Pourquoi pas ? Non, ce n’est pas possible de les rouvrir parce que c’est le passé. La marine à voile, quoi. Ça ne pourrait se rouvrir que sous une forme très, très différente. D’abord, légalement, on ne peut pas le faire parce qu’on a adhéré à une convention européenne sur le traitement des êtres humains en 1949, donc on ne peut pas. On a supprimé la peine de mort, on ne peut pas revenir sur cette question à cause de cette fameuse convention. C’est pareil avec les maisons closes. Bien sûr, on peut toujours se débrouiller de casser avec les autorités européennes sur ce problème, mais enfin on ne va pas s’amuser à ça. Et puis, surtout, les choses ont évolué tellement depuis 45 ans… On ne se rend pas compte, mais on a évolué dans la plupart des domaines infiniment plus en 45 ans qu’en 800 ans auparavant.

    Les mœurs s’en sont ressenties. L’éclatement de mai 68 fait partie de cette évolution. Alors, ce que je dis, par rapport à 1946, c’est que, si l’on n’avait pas fermé les maisons (parce qu’on ne les a pas fermées pour des raisons sociales ou morales, mais pour des raisons politiques), elles auraient continué, mais différemment. Parce que les filles qui viennent dire aujourd’hui « c’étaient des ghettos épouvantables… » ne le pourraient plus. Maintenant, les maisons seraient contrôlées par la police, par la sécurité sociale et les filles qui y travailleraient bénéficieraient toutes de l’assurance sociale, des congés payés et de la retraite comme les autres travailleurs…

     Olivier Bailly : Des fonctionnaires du sexe…

    Alphonse Boudard : Des espèces de fonctionnaires du sexe et ce serait encore le meilleur moyen pour contrôler le proxénétisme. Le gros défaut des maisons, c’est qu’elles étaient l’affaire des proxénètes et de la police, alors…

     Olivier Bailly : Pourquoi de la police ?

    Alphonse Boudard : Parce que les proxénètes les contrôlaient et elle savait beaucoup de choses par les maisons. Maintenant les flics vous disent qu’ils s’en foutent, qu’ils ont les écoutes et que c’est bien plus intéressant que le bordel. Alors vous voyez que les choses ont évolué.

     Olivier Bailly : A l’époque, la police a t-elle tenté d’exercer des pressions pour que les pressions restent ouvertes ?

    Alphonse Boudard : Elle a essayé, mais elle ne le pouvait pas. Elle n’était pas assez forte. Pendant une période d’environ trente ans elle a essayé de faire marcher les clandestins, ce qu’on appelait les « clandés », c’est-à-dire des maisons qui avaient une autorisation des flics et qui continuaient à fonctionner. Marcellinest arrivé en place et a démantelé tout ça. Après, il y a eu les systèmes des flics qui contrôlaient les hôtels de passe. On a aussi démantelé ça en faisant tomber les patrons des hôtels pour proxénétisme hôtelier. A chaque fois on a cassé un peu le système, mais il renaissait toujours d’une autre façon et, la grande difficulté, c’est que, quand il renaît, on le contrôle encore moins et il est encore plus douloureux peut-être pour les prostituées.

    Je veux dire qu’elles avaient plus de protection dans un bordel que dans le Bois de Boulogne, plus même dans un hôtel de passe qui était pourtant lamentable que dans le Bois de Boulogne. Quand MadameBarzach a été se balader naïvement dans le Bois, elle est revenue horrifiée en disant qu’il fallait rouvrir les maisons.

    C’était une réaction de femme qui ne connaissait pas le problème. Les flics répondent à ça d’une part on ne peut pas les rouvrir à cause de la convention que j’ai évoquée et d’autre part qu’il vaut mieux les garder dans le Bois de Boulogne parce que pendant qu’elles sont là elles ne sont pas ailleurs et, au moins, on sait où elles sont… Mais pour en revenir à cette évolution dont je parlais tout à l’heure, je vois trois choses formidables depuis 1945 : il y a mai 68 et deuxième il y a la drogue. Autrefois, les macs tenaient les filles par le violon, la sérénade ? «  j’t’adore », etc. Et puis il les mettaient au tapin et les tenaient ensuite par la violence. Maintenant, il y a la came. Et c’est terrible ! On met accroc les filles… Et puis tertio, qui va compliquer tout : le Sida. A ajouter à cela, que je rattache à 68 dans l’explosion des mœurs : les travestis, l’homosexualité. Alors, vous voyez que ce n’est plus la même chose. Quand on parle de nos histoires de l’âge d’or des maisons closes avec Romi, on parle du bateau à voiles, on parle de choses disparues.

    Olivier Bailly : Ça fait partie de l’histoire

    Alphonse Boudard : Ça fait partie de l’histoire. Alors je ne vois pas pourquoi (agacé)…C’est là où j’ai été assez choqué. Parce qu’il y a des libraires qui ne me mettaient pas en vitrine ou qui disaient « nous on ne peut pas beaucoup vendre ce livre parce que notre clientèle ne comprendrait pas.. ». J’ai eu des gens qui venaient faire signer le bouquin en disant « mettez pas mon nom surtout ».

     Olivier Bailly  : Ou « c’est pour un ami »

    Alphonse Boudard : Ouais, c’est pour un ami ou « ah oui, j’aime bien lire vos livres, mais je ne peux pas prendre celui-là, je ne peux pas le laisser dans ma bibliothèque… ». On en est là. Des contradictions. ! D’un côté tu as Canal+…Minuit… T’as un film hard. Et de l’autre t’as des gens qui te disent ça. Tout cohabite, c’est curieux.

     Olivier Bailly : C’est vachement plus puritain qu’il y a 45 ans

    Alphonse Boudard : On en parlait plus facilement parce que ça existait. On disait bon y’a le bordel et puis voilà.

     Olivier Bailly  : C’était une institution, en somme ?

    Alphonse Boudard : Dans une petite ville il y avait l’église, il y avait le bistrot du coin, le bordel et le couvent des oiseaux, enfin il y avait différentes choses qui cohabitaient. Et c’est fini. C’était une espèce de tissu social qui était autour du village, autour de l’artisanat, de la paysannerie, qui n’existe plus. Evidemment, on parle de marine à voile, c’est bien d’en parler parce qu’on dit « il est magnifique ce voilier, il est formidable », mais il y a les mecs dans la galère qui rament aussi, puisqu’on est sous Louis XVI… Donc, c’est beau, c’est une très belle chose à voir, mais, bien sûr, il y a toujours le côté noir… Ceux qui travaillent dans les soutes.

     Olivier Bailly  : Vous ne prenez jamais parti ?

    Alphonse Boudard : Ah je peux pas ! Je peux pas ! D’abord, je ne suis pas juge. Je ne dois pas me placer d’un point de vue ou d’un autre. Il est évident que quand je parlais des grands criminels, j’ai essayé de faire la part des choses. D’un côté les circonstances atténuantes et de l’autre les circonstances aggravantes. Prenons le cas de Bonnot. On vient de chez Maxim’s, on bouffe, on se conduit comme des procs devant ce qui type qui est seul aumonde. Mais auparavant, quand il est venu de Lyon avec son copain l’anarchiste et qu’il raconte comment il l’a blessé et achevé pour qu’il ne souffre pas et comment il lui a piqué son pognon… Là il se conduit vraisemblablement comme la pire des crapules. Mais c’est pourtant le même homme. Quand je prends le cas de Landru. Il s’occupe de sa famille, il a quatre gosses, il n’est pas si mal (rires)…

     Olivier Bailly  : C’est un bon père de famille !

    Alphonse Boudard : Oui, mais même quand il est avec sa maîtresse, il est un remarquable amant, et pas seulement au lit, mais dans le comportement. C’est ça le comportement des hommes. Il faut tout dire. Et c’est pareil pour les bordels. Il faut dire ses splendeurs, ses attraits, ses drôleries et puis il faut dire aussi la tôle d’abattage, les horreurs. Je trouve qu’on ne peut pas faire une étude sérieuse sur les bordels sans lire par exemple le livre de Maxence Van der Meersch Femmes à l’encan qui a exprimé des choses justes.

     Olivier Bailly : Donc il y avait maisons closes et maisons closes ? Il y avait les maisons de société où la fine fleur du tout-Paris venait prendre un verre sans forcément consommer et puis il y avait les tôles d’abattage, immondes…

    Alphonse Boudard : Si vous voulez, au départ, quand il y a les maisons, dans la première période du XIXème siècle, elles existent, on sait qu’elles sont là, on sait que les militaires vont dans ces endroits et que les messieurs qui ont des petites envies ou des passions particulières y vont également, mais on n’en parle pas. Et puis, à partir du moment où les artistes commencent à en parler, ça explose. Alors Lautrec, alors Maupassant, alors Lorrain, etc. Mais elles ne sont pas encor, à ce moment-là, au point de devenir ce qu’on appellera des maisons de société. La première expérience dans ce domaine c’est le Chabanais qui l’inaugurera. Le Chabanais est d’abord réservé aux membres du Jockey-club. Là, on fait dans le snob. C’est là que va venir le futur roi d’Angleterre, le Prince de Galles qui sera Edouard VII. C’est là que vont venir une quantité de gens chics, les présidents, les rois en vadrouille… Ils viennent tous faire un tour là et, par la suite, en 1920 et quelque, quand Jamet ouvre le One two two, il invente la formule club, il fait une sorte de complexe. Alors il y a le bordel avec les filles, il y a le restaurant où on fait le bœuf à la ficelle et puis il y a le club et les gens viennent. Ça va faire le renom de la maison parce que tout le monde va y passer.

     Olivier Bailly  : C’est une sorte de salon. Il faut en être ?

    Alphonse Boudard : C’est ça. Et le fait qu’on voit Maurice Chevalier, Tino Rossi ou Colette donnera de l’éclat à la maison. Forcément, c’est rare que des types du niveau de Maurice Chevalier ou Tino Rossi grimpent devant tout le monde avec une pute. Mais il y a d’autres clients qui sont des célébrités comme Georges Simenon ou Michel Simon qui y vont carrément et on le sait et ils ne s’en cachent pas du tout. Mon ami Romi, lui, allait faire des dessins. Il finissait par être copain avec la patronne, elle était contente, puis après il gardait les dessins et c’est comme ça qu’il a des témoignages. Il gardait les cartes de visites, les cendriers parce que c’est un collectionneur et c’est un peu un esprit savant. Alors ça, c’était la nouvelle formule. Après, il y a eu le Sphinx qui était une espèce de club, également, et les choses auraient pu encore évoluer. On aurait vu Régine qui aurait tenu à la fois sa boîte, un bordel, un restaurant, etc. Elle aurait été fabuleuse, là-dedans ! D’ailleurs, on a eu un projet de film ensemble sur un sujet comme ça. Elle collait bien.

    Français : Alphonse Boudard, romancier françaisFrançais : Alphonse Boudard, romancier français (Photo credit: Wikipedia)

     Olivier Bailly  : Un peu avant 1946, au moment de la guerre, il y avait déjà des rivalités entre les grandes maisons. Certaines étaient pro-allemandes, d’autres non…

    Alphonse Boudard : Bof…On a raconté ça après… Mais il y avait des rivalités sérieuses qui étaient des rivalités commerciales, si je puis dire. C’était comme Leclerc et Carrefour. C’était ça…. Sous l’occupation, à mon avis, il s’est passé la chose suivante : vous comprenez qu’un type qui fait un business où il vend des bonnes femmes, c’est un voyou. Souvent il vient de la plus basse truanderie et il a monté les échelons parce qu’il est intelligent. Quand l’occupation est arrivée, ils ne savent pas ce qui va se passer. Personne ne le sait. Alors, les Allemands filent des règlements, réquisitionnent des maisons pour eux et puis s’arrangent avec les voyous.

    Les Allemands avaient un fric fou qui leur était donné par le gouvernement de Vichy au titre de l’indemnité journalière de guerre. Ce fric, ils le dépensent et il va alimenter tout. Il y a le marché noir, il est là, tout près, parce que vous pouvez pas tenir des maisons de luxe sans faire du marché noir. Vous n’allez pas là-dedans pour bouffer des rutabagas et boire de l’eau fraîche. Donc, il sonttrès liés aux Allemands et ils sont liés au marché noir et les Allemands savent que le marché noir est une bonne façon de tenir les gens.

    Les plus intelligents parmi eux ne viennent pas en disant « dites donc, on va faire ça, si vous ne nous donnez pas ça, vous serez fusillés ». Non, ils corrompent, ils se démerdent, ils s’arrangent, c’est plus malin. Les seuls tauliers qui auront un esprit vraiment à peu près résistant sont des gens par exemple qui sont d’origine juive. Ils comprennent très vite de quoi il retourne et eux sont forcément coincés. Quelques-uns uns. Mais dans l’ensemble ils attendent l’évolution de la situation et quand l’année 43 arrive, le vent tourne, ils prennent des garanties : ils ont caché trois Juifs dans la cave, ils ont planqué un parachutiste anglais, ils donnent de l’argent à la résistance qui traîne par là, de façon à être peinards.

    Mais la plupart ont été très mouillés avec les Allemands au point que beaucoup de grands tauliers, ceux qui tenaient les taules d’abattage, en croquaient avec la Gestapo. C’était une super police qui était au-dessus de la police française et qui pouvait envoyer chier les flics français en s’appuyant sur les Allemands.

     Olivier Bailly : C’était une époque idéale pour la pègre qui régnait impunément

    Alphonse Boudard : Bien entendu. Quand la Libération est arrivée se sont conjuguées deux choses : les moralistes qui venaient du MRP, parti chrétien qui était contre le bordel, et les communistes qui parlaient au nom de la patrie. Vous ne pouviez pas demander aux autres de ne pas suivre. Il est évident que quand l’affaire se déclenche on ne voit pas la nécessité absolue de s’occuper de fermer les bordels. Ce qui a sauvé les choses à ce moment-là, ce qui a sauvé les abolitionnistes, ces les antibiotiques. Si les antibiotiques n’étaient pas arrivés en même temps on avait une situation qui grimpait dans le domaine prophylactique… Un recrudescence de maladies vénériennes genre syphilis. Alors on aurait fait machine arrière.

    Et là, boum ! tout d’un coup, ils arrivent. Parce que les anti-abolitionnistes avaient dit « attention ! si vous fermez, vous allez voir, ça va grimper. Parce que les filles sont surveillées, ici ». Il y avait même des endroits, les fameux bordels qui étaient tenus par les Allemands, où la capote anglaise était obligatoire.

     Olivier Bailly : Malgré son nom ?

    Alphonse Boudard : (Rires). Malgré son nom, c’est que j’allais dire…Donc, la situation était grave et, tout d’un coup ça a été le miracle. C’est à ajouter à ce que je disais tout à l’heure à propos de l’évolution des mœurs. Il y a eu en 46-47 l’arrivée des antibiotiques qui suppriment les maladies vénériennes importantes de l’époque.

     Olivier Bailly : A l’époque ça ne pardonnait pas…

    Alphonse Boudard : Sauf que le syphilis n’était pas mortelle à tous les coups et qu’on pouvait parfois en guérir… Si elle était prise à temps et même avant les antibiotiques. Et puis sont arrivés la pilule et tous les contraceptifs possibles plus la loi qui autorise la loi sur l’avortement. Autant de choses qui ont compté dans cette fameuse évolution des mœurs.

     Olivier Bailly : Venons-en à Marthe Richard. Vous avez découvert à son sujet des choses inavouables. Etait-elle complètement pure ?

    Alphonse Boudard : Ah non, non… Pas du tout. Je suis sévère avec elle quand elle se place sur le plan où elle s’est placée en disant « je suis une moraliste qui a fait fermer les maisons ». Ça , c’est une blague. Là, je démonte tout le truc et ça n’a été possible qu’après sa mort parce qu’elle avait bénéficié d’une loi d’amnistie en 47 et on ne pouvait évoquer un certain nombre de choses dans sa vie, entre autres le fait qu’elle avait été elle-même prostituée et qu’elle avait eu des problèmes pour des affaires de drogues et des complicités d’escroquerie avec des personnages qui émargeaient à la Gestapo du boulevard Flandrin. C’était donc on ne peut plus noir. Elle a cependant réussi ce tour de passe-passe de devenir le symbole de la lutte contre la prostitution.

     Olivier Bailly : Elle s’est refait une vertu

    Alphonse Boudard : Totalement ! Et elle n’a joué que de la vertu, après. Elle est morte à 92 ans, avec la Légion d’honneur. On disait « Marthe Richard, la mère la vertu ». C’était pas ça du tout ! C’était le contraire. Voilà. Quand j’ai écrit le livre j’en ai consacré la moitié à Marthe Richard pour démontrer point par point qu’il s’agissait d’une légende. Je l’ai fait avec des documents très sûrs, de police. J’ai eu la fiche des renseignements généraux entre les mains eh bien, malgré cela, on entend toujours les gens dire « Ah ! Marthe Richard qui a fait fermer les maisons…Cette dame est respectable, c’est formidable ». Bon, elle n’a pas toujours eu 80 ans. D’où viennent les vieilles dames !

     Olivier Bailly : Revenons à la maison. Ou plutôt aux maisons. Filles du trottoir et filles des bordels bénéficient-elle du même traitement artistique ?

    Alphonse Boudard : On trouve une littérature autour des filles du trottoir. Chez Carco, chez les auteurs de la Série noire…Parce qu’il y a le lieu. Vous ne retrouverez pas cette jubilation ni ces artistes autour des taules d’abattage. Il y a quelques croquis, il y a des histoires, mais elles sont assimilées à peu près aux filles de la rue. Ce qui a provoqué l’intérêt des artistes autour des maisons c’est précisément parce qu’il y a eu le cadre, il y a une espèce de cérémonie, un lieu d’amour, le temple de l’amour physique, et puis il y a « Madame », il y a une ambiance et puis les gens, comme du One two two, du Chabanais, de la rue des Moulins où Toulouse-Lautrec avait sa chambre, ont créé un certain climat.

     Olivier Bailly : Une mythologie ?

    Alphonse Boudard : Une mythologie. Et ils sont revenus en cela à l’Antiquité…Ce que l’on peut reconstituer de Pompéi, on le doit aux artistes de ce genre. Voilà pour les maisons luxueuses. Les maisons de qualité moyenne, si je puis dire, ont été reconstitué par des gens comme Lorrain ou Maupassant dans leur côté convivial, province, etc. C’est vrai que si vous imaginez des gens qui sont par exemple représentants de commerce, ils arrivent dans une ville, à Yvetot, à Carpentras, le soir, ils sont au restaurant, je les ai vus, j’ai été dans des endroits comme ça pour des films ou des livres, ils bouffent puis ils vont regarder la télé et ils vont se coucher. S’ils ont des envies d’aller draguer ou de chercher une fille, ils ne trouvent rien ! Il y a des fois des espèces de boîtes qui sont à 25 kms, puis barka ! Ils ne vont pas aller se fatiguer là toute la nuit. Quand ils avaient le bobinard, ils connaissaient, ils y allaient, ils se retrouvaient entre copains, ils y venaient pour consommer une fille ou simplement pour prendre un verre, une coup de champ’, je ne sais quoi… Ils discutaient avec la patronne, elle les connaissait, c’étaient le gars qui vendait le Pernod ou qui vendait des bas ou de la porcelaine [lire l’excellent Femmes blafardes de Pierre Siniac, Rivages. Ndr]… C’était ça.

     Olivier Bailly : Il y avait donc un aspect très social

    Alphonse Boudard : Ah complètement, complètement ! C’était des bistrots avec des « montantes ». C’était ce que racontaient des gens comme Maupassant.

     Olivier Bailly : Au moment de la Fermeture, des gens se sont retrouvés sur le sable, et pas seulement les filles.

    Alphonse Boudard : Les macs se sont pas trop mal débrouillés. Ils ont pris des prête-noms qui ont tenu les hôtels de passe et puis eux ils sont allés se retirer à la campagne, pécher à la ligne, taper le carton… certains, qui avaient des maisons de luxe, des maisons très célèbres, n’ont pas pu se recycler parce qu’on ne pouvait pas remplacer, refaire autre chose d’équivalent au One two two ou au Chabanais et ils ont été plus ou moins ruinés. Ils ont essayé de se lancer dans d’autres activités, mais ce n’était plus pareil. Alors le bluff a été pour les filles. Parce qu’on racontait « bon on va fermer les maisons et le problème est résolu », mais il n’est pas résolu du tout et elles se sont toutes retrouvées sur le trottoir. Elles avaient les mêmes macs, les mêmes structures, elles étaient autour des hôtels et elles faisaient le tapin dans la rue Saint-Denis ou à Barbès-Rochechouart. C’était exactement la même chose.

    Olivier Bailly : Pire peut-être ?

    Alphonse Boudard : Peut-être pire, en tous cas, parfois, elles étaient carrément dehors et quand il fait froid…

    Alors il y a des gens, très respectables d’ailleurs, qui veulent sauver des filles de joie et qui leur proposent des lieux genre petite pension de famille où on va les rééduquer, leur apprendre un métier, mais ça a marché que pour des putes qui étaient en bout de parcours. Ils sont à côté de la plaque parce qu’ils font des choses tout à fait honorables, utiles, mais pour une infime minorité…

     Olivier Bailly : Que sont devenus les objets baroques, les objets particuliers que l’on trouvait dans les maisons closes ?

    Alphonse Boudard : ça a été baladé de tous côtés, mais la plus grande vente a été faite après la Fermeture par Maître Maurice Rheims qui est aujourd’hui à l’Académie française. Romi, lui, a récupéré certaineschoses.Le fameux siège et la baignoire en cuivre rouge en forme de cygnes se sont retrouvés chez Alain Vian, le frère de Boris, et chez Dali. C’est Dali qui a acheté la baignoire. Il trouvait que c’était un objet éminemment surréaliste. Le siège a été revendu en salle des ventes où il a fait 22 millions de centimes et c’est la descendante de l’ébéniste qui l’avait fabriqué qui l’a acheté.

     Olivier Bailly : Est-ce qu’il y encore de signes visibles, des preuves de l’existence de ces maisons dans Paris aujourd’hui ?

    Alphonse Boudard : Il y a encore des petites traces par-ci par là, mais les principales maisons n’existent plus. Le Chabanais, par exemple, est toujours là. Il y a des gens qui y vivent. Rue des Moulins, il n’y a plus rien. Je crois qu’il y a une agence de voyage à la place. L’immeuble où était le Sphinx a été démoli, boulevard Edgar-Quinet. Reste comme témoignage évident celui où, dit-on, le Maréchal Goering est venu baiser un jour de 1941 au 50, rue Saint-Georges.Au 9, rue de Navarin il faut que vous essayiez de rentrer sous le porche et de regarder de côté. Là on comprend tout de suite. D’abord, il y a une façade curieuse. Il y a des fenêtres en forme de hublot et puis, sur le côté, on peut découvrir ce que c’était.

    Au 106 boulevard de La Chapelle était une taule d’abattage célèbre qui est devenue après la Fermeture et pendant 25 ans environ le siège de l’Armée du salut. Et puis maintenant c’est un bazar nord-africain. Au One two two, 122, rue de Provence, c’est maintenant le syndicat des cuirs et peaux…Je crois qu’il y a eu un grand tort… On aurait du garder le Sphinx, le Chabanais, le One two two, la rue des Moulins, il y en a eu plusieurs comme ça… Enfin, on aurait pu en garder deux, trois. C’est des pièces historiques. On va bien voir la Conciergerie. C’est une taule, hein ? C’est moins gai encore

     Olivier Bailly : Vous avez travaillé en collaboration avec Romi pour ce bouquin. Son nom évoque malheureusement peu de choses pour les lecteurs d’aujourd’hui. Pourriez-vous nous en parler ?

    Alphonse Boudard : Ah Romi ! C’est un type formidable ! C’est un homme qui a tous les dons possibles. Il dessine très bien, il écrit très bien et il s’intéresse à tout ce qui est la petite histoire et aux choses qui paraissent être sans importance, mais qui finalement en ont. Il a fait de nombreux bouquins. Il y a quelques années il a sorti un livre tout à fait intéressant sur les célébrités oubliées. Il a regardé depuis 1789 les types qui, en leur temps, tout à coup, ont été aussi célèbres qu’aujourd’hui pourrait l’être Tapie et puis qui sont oubliés. Il s’est beaucoup occupé de l’histoire des mœurs puisqu’il a fait des livres sur la prostitution et il a une documentation, une iconographie fabuleuse. Il s’est intéressé à l’art, aux surréalistes notamment, et à l’art naïf.

    C’est un homme qui toute sa vie a collectionné des choses autour de lui. Il est âgé, il a un esprit absolument de jeune homme. Il est en train de faire un bouquin sur l’histoire anecdotique du pet depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours ! Je lui fais une préface. C’est un volume énorme. Il a été chercher des parties de pétomanie sous Louis XIV ! C’est formidable ! Il a un esprit curieux. On peut lui parler de n’importe quoi, il sait tout. Il a fait un n0 du Crapouillot sur les monstres. Non, mais vraiment, c’est un type qui m’épate ! Il a donné dans le fait-divers aussi. Enormément. Je suis certain que c’est un auteur qu’il faudra redécouvrir, qu’il faudra rééditer.

    Au même titre que Marcel Montarron qui a été le grand homme du fait-divers depuis la naissance de Détective jusqu’à ce qu’il s’arrête. Je voudrais bien qu’on redécouvre Romi parce que c’est aussi très précieux, ça fait vraiment partie de la culture, beaucoup plus que des spéculations intellectuelles.

     

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  • ALPHONSE BOUDARD

     

    boudard

    Investigateur chevronné, mémorialiste truculent et conteur hors pair, Boudard emporte ses lecteurs par une vague tantôt faubourienne, tantôt lettrée, avec toujours en filigrane le sens de la gaudriole élégante.

    Alphonse Boudard a créé une œuvre inspirée par sa vie pleine de zigzags : «combattant du petit bonheur» dans l’armée de Lattre, résistant décoré, malfrat envoyé en prison pour des casses malheureux, tuberculeux soigné en sanatorium. Il fit ses universités au cachot où la lecture intensive lui donna le goût de tâter de la plume.

    Les concours de rots et parties de fesses en l’air ne sont qu’un voile, car derrière cette gauloiserie, il y a les libérateurs pitoyables, les cours de justice infamantes, les prisons dégueulasses, les mouroirs qui s’appellent hôpitaux, toute la misère humaine racontée avec verve et colère. Cet amalgame-là rend la lecture de Boudard à la fois distrayante et terrifiante.

    «Je suis né comme un chien dans un jeu de quilles.» Né de père inconnu et délaissé par sa mère prostituée, Alphonse Boudard est confié dès sa naissance à une famille de paysans de Bellegarde, en pleine forêt d’Orléans. C’est là qu’il passe ses premières années, comme « un petit clébard », entre Blanche et Auguste. Ce dernier, ancien de la grande guerre, taciturne, laconique, bourru et affectueux, ponctue ses journées besogneuses et silencieuses de courtes tirades telles que « Tchon, fi de garce, vl’à t’y pas l’Alphonse qui s’ramène ». Une première approche du langage pour le jeune Boudard, qui semble alors promis au difficile statut d’ouvrier agricole.

    Il a sept ans quand sa mère le retire à sa famille d’adoption pour le ramener à Paris, où elle l’installe chez sa grand-mère. Il vit d’abord du côté de la Motte-Picquet Grenelle, puis dans le 13ème arrondissement, entre les Gobelins et la Porte de Choisy. Se mêlant aux « locaux », Alphonse perd son accent campagnard et adopte le langage parigot et fleuri de ses nouveaux « potes », les populos du quartier qui vont turbiner tous les matins aux usines Panhard et Levassor, quelques apaches de la Butte aux Cailles, de vieux soudards, des anciens Bataillons d’Afrique (les Bat d’Af) de Tatahouine, et des accrocs au « jinjin » qui perdent leurs derniers sous et leurs derniers jours dans les bistrots.

    La guerre 39-45 marque le premier grand tournant de la vie du paysan parisien Boudard. Ouvrier typographe dans une imprimerie, il vivote et hésite comme beaucoup entre l’appel au calme de Pétain et le « grand large » proposé par De Gaulle. Ces deux figures sont bien loin du 13ème arrondissement, mais y sont représentées, pour le Maréchal par les militants des partis de droite qui trouvent dans ses discours un exutoire à leur ennui ou à leur hargne, et pour le Général par les communistes galvanisés par le fiasco de l’opération Barbarossa. A quoi tient l’engagement, le fait qu’on bascule d’un côté ou de l’autre, se demandera souvent Boudard ? Peut-être plus aux affinités avec les hommes qu’aux idées pour lesquelles ils militent ? Le hasard et les amitiés font bien les choses pour Alphonse Boudard, qui se retrouve du « bon côté de la barrière ». Après avoir été sur les barricades de la place Saint-Michel lors de l’insurrection de Paris, il s’engage dans l’armée de De Lattre et part bouter l’allemand hors de France. Un fait d’arme lui vaudra une blessure judicieusement placée et une décoration.

    La fin de la guerre sonne le glas des illusions de beaucoup des jeunes gens qui s’étaient laissés porter par la fièvre de la Libération. Ce qui pour les uns est synonyme de retour au boulot se traduit pour les autres par le chômage forcé et non indemnisé. Or, La Fontaine le disait déjà, « l’oisiveté est mère de tous les vices », et les mauvaises habitudes prises durant la guerre et les campagnes militaires ne se perdent pas facilement. Boudard vit d’expédients, fréquente toutes sortes d’engeances, traîne ses lattes dans un Paris désoeuvré… Il commence par quelques combines illicites, puis s’essaie au cambriolage et utilise finalement son ascendant sur les autres pour monter d’efficaces équipes et de lucratives « affaires ».

    C’est le début de sa période sombre. Il passe une quinzaine d’année entre ombre et lumière, entre un milieu parisien interlope et diverses prisons ou hôpitaux français. Il y croise la fine fleur des bas fonds, tout ce que la société punit, rejette ou ne veut pas voir, noue quelques amitiés et s’y construit une véritable carapace, bien décidé à cultiver sa différence. Pied-Nickelé. Bien plus que «gangster», comme on dit à l’époque. Un poil Croquignol pour le tarin «bien nez», un brin Filochard pour l’art de bonimenter. Du bagout, il en faut pour vendre des photos porno sous le manteau ou écouler de la fausse monnaie. Ainsi, une première fois amnistié par Vincent Auriol, eu égard à ses états de service dans le réseau Navarre, Boudard retourne-t-il au placard pour cinq ans, au milieu des fifties, à cause de cette fâcheuse manie de casser les coffres-forts: «Dans la profession, les perceurs sont une espèce d’aristocratie, on n’en rencontre pas des bottes et, en général, cette spécialité les met à l’abri des compromissions trop sordides.»

    Diagnostiqué « intelligent » par l’administration pénitentiaire, il a accès aux bibliothèques et s’enferme dans la lecture. C’est ainsi en prison qu’il fait sa culture littéraire, allant de la Bible à Céline, en passant par les classiques grecs, les romans de Balzac, Stendhal, Tolstoï, Proust, Mann, les biographies historiques et les récits de voyages. Il fait ses gammes, en quelque sorte. Ces lectures ne font pas son éducation, mais elles la complètent. Il le dit lui-même, « les voyages, comme les livres, ne forment que ceux qui le sont déjà, tout comme la grammaire n’apprend pas le langage, elle le structure, l’organise, l’explique ». Alphonse Boudard, qui a déjà sérieusement roulé sa bosse sait que rien ne remplace l’expérience, mais il commence à ressentir l’appel de la page blanche… Il sort de prison en 1958, et ses premiers manuscrits, empreints de son style à la fois argotique et littéraire, témoignant d’une double culture, séduisent un éditeur plus téméraire que la moyenne de sa profession, et ses premiers écrits conquièrent un large public, amateur d’un langage « où les gauloiseries, les truculences et l’argot des voyous rencontrent la petite musique des nostalgies ».


    C’est le début d’un succès que rien ne démentira, le « miracle Boudard » que Michel Tournier, un de ses premiers lecteurs, qualifiera de « la rédemption par l’écriture ». Son style immédiatement reconnaissable, son expérience personnelle unique, son réel talent de romancier, font rapidement d’Alphonse Boudard une valeur sûre, et le cinéma lui tend la main.

    Publié chez Plon en 1962, grâce à une fiche de lecture de Michel Tournier, la Métamorphose des cloportes, premier roman d’Alphonse Boudard, permet subitement à son auteur de «passer de la rubrique des faits divers aux pages littéraires». Dans cet ouvrage racontant le retour à la vie active d’un ancien casseur, Boudard se révèle d’entrée le chaînon manquant entre Céline et Frédéric Dard.Prix Renaudot. Adapté illico à l’écran par Audiard et Granier-Deferre, la Métamorphose des cloportes (avec Ventura et Aznavour musique de Jimmy Smith) est un succès.

    Pour Boudard c’est le début d’une notoriété qui ne faiblira jamais, y compris dans le cinéma, son nom figurant au générique de plusieurs films dont le Soleil des voyous, Du rififi à Paname, le Solitaire ou le Tatoué » Prix Sainte-Beuve pour la Cerise, son deuxième livre traitant de ses années d’incarcération, Boudard, après avoir terminé un fameux dictionnaire d’argot (il se réclamait bilingue «français-argot»), la Méthode à Mimile, décrochera le Renaudot en 1977 (pour les Combattants du petit bonheur), puis le grand prix de l’Académie française en 1995 pour Mourir d’enfance, superbe roman autobiographique sur sa jeunesse et ses relations avec sa mère («Mademoiselle ma mère»), prostituée. Il y décrit notamment l’enterrement dont il rêve, «dans un jardin de mon coeur», au bord d’une route, histoire sûrement de narguer une dernière fois les cimetières: «Une torpédo s’arrêtera » en descendra une jeune femme, une très jeune femme, en robe courte, coiffée à la garçonne » Un léger, léger fantôme » rien que pour moi au royaume des ombres »»

    A la sempiternelle question: «Pourquoi écrire?», Alphonse Boudard, qui n’était pas du genre à louvoyer, avait une réponse toute prête: «Pour narguer les cimetières.»

    A la fin de sa vie, Boudard se retire à Nice en compagnie de ses amis écrivains, dont Louis Nucéra, et se risque dans un de ses derniers livres, Mourir d’enfance (prix du roman de l’Académie Française, 1995), à établir son autobiographie romancée. Peu d’écrivains ont eu un parcours aussi chaotique, accumulé une telle expérience humaine, passant de l’ombre à la lumière, de l’anonymat à la célébrité, du dénuement au confort, avec un tel détachement et une lucidité étonnante. Détachement et lucidité dont témoignent tous ses écrits, et dont Boudard, pourtant païen convaincu, avoue qu’il a trouvé la clé en lisant l’Ecclésiaste: « il y un temps pour tout, un temps pour planter, un temps pour arracher, un temps pour naître, un temps pour vivre et un temps pour mourir. Tous ces moments, toutes ces expériences incompréhensibles dans l’instant finissent par s’accorder les unes avec les autres, par avoir une continuité, par former un tout, et cela devient le livre. Le livre qui témoigne d’une existence, modeste puisque celle d’un seul homme, mais qui s’intègre au Livre. » A travers de nombreuses péripéties, c’est aussi ce que raconte Les sales mômes.

    Alphonse Boudard peut désormais scruter l’asphalte en toute sérénité. Victime d’un malaise cardiaque, il est mort en 2000 a 74 ans.

    Disciple de Céline, il use comme l’ermite de Meudon, des points de suspension et de la mitraille sémantique. Céline recherche perpétuellement la castagne, il veut en découdre, l’homme lui inspire suspicion et peur. Chez Boudard qui en a croisé pourtant des terribles, le jugement sur les hommes est toujours nuancé par le trait d’humour, l’indulgence de l’ancien « décapsuleur de coffiots certainement. » A la différence de Céline, Boudard aime ses personnages, il leur trouve toujours des circonstances atténuantes, même les plus salauds sont sauvés in-extremis. Cela n’empêche pas une galerie phénoménale de portraits : alcooliques flamboyants, mages priapiques, résistantes nymphomanes et compagnons de cellule affreux, sales et méchants.

    « pour moi, le cinéma était quelque chose de tout à fait secondaire, puisque je ne pouvais pas être le maître… ». La contribution de Boudard au cinéma, que ce soit par le biais d’adaptations de ses romans, que par sa collaboration à des scénarios originaux , n’a guère produit de films mémorables, mais néanmoins une certaine aura, un ton, une énergie identifient bien la pâte Boudard.

    Le Tatoué ( Gabin – De Funès)

    Le Gang ( Deray – Delon)

     Les Métamorphoses d’Alphonse : deux livres d’historien sur les bas-fonds de la société régis par la corruption, les trafics, les secrets d’alcôve, la prostitution. L’Étrange Monsieur Joseph est la première biographie documentée sur Joseph Joanovici un juif collaborateur. Ce ferrailleur bessarabien devenu un des rois de l’Occupation fit fortune avec les Allemands en leur vendant des métaux ferreux parfois défectueux. Il usa de ses contacts pour libérer des juifs et finança en parallèle le réseau de résistance Honneur de la police. Il joua sur tous les tableaux. Au One Two Two, le lupanar le plus huppé du Paris occupé, «Joano» sablait le champagne avec les verts de gris et la fine fleur de la collaboration. À la Libération le monde des maisons d’illusion pas vraiment résistant va être menacé. Dans La Fermeture. 13 avril 1946, la fin des maisons closes, Boudard l’enquêteur tire de l’ombre ce jour oublié qui a fait la France. Il décortique la légende de Marthe Richard, ancienne espionne de 14-18, qui laissa son nom à cette loi abolitionniste. «C’est la base d’une civilisation millénaire qui s’écroule», écrivait Pierre Mac Orlan. La biographie officielle de «notre Jeanne d’Arc anti-bordels» méritait une sérieuse révision.

    CITATIONS:

     » Je pense à présent qu’il faut se conduire toujours en homme du monde avec les putes et souvent en julot avec les bourgeoises.  »

    « Pour ne pas perdre ses illusions, le mieux c’est d’en avoir le moins possible.  »

    « Sans la pilule ça serait encore un gros péché de tringler hors des liens conjugaux.  »

     » Le printemps, c’est tout un poème. On en parle, on le pratique, on l’attend…  »

     

    Olivier Bailly : A quand remonte votre intérêt pour les maisons closes ?
    Alphonse Boudard : Je vais essayer de vous expliquer exactement la genèse de tout ça. J’ai toujours vécu avec ces histoires de bordels, de prostitution en toile de fond parce que ma mère se défendait comme ça.

    Quand on m’a fait des reproches sur le fait que je choisissais ce sujet j’ai dit que j’étais mieux placé qu’un autre pour en parler. Bon, historiquement, il fallait que j’apprenne des tas de choses, mais enfin, pour l’essentiel, j’avais compris un petit peu de quoi il s’agissait. J’ai évoqué les maisons dans différents livres, par exemple dans Bleubite où il y a une scène célèbre dans un bobinard, mais je n’avais pas l’intention du tout d’écrire là-dessus. Un jour, j’ai raconté à un ami, qui est directeur littéraire chez Laffont, ce que je savais sur la mécanique de la Fermeture. Il me dit « Faut faire un livre ».

    Moi je lui réponds que ça ne me paraît pas intéressant, suffisant, que tout ça est anecdotique seulement. Il en parle à Robert Laffont qui me rencontre, on discute et, de fil en aiguille, on en arrive à un contrat et un livre qui s’appellerait La Fermeture et qui serait inclus dans une collection, Ce jour-là dans laquelle il y avait eu le 6 juin 1944 le jour le plus long, le 14 juillet 1789 la prise de la Bastille, etc. et je pensais que finalement dans l’histoire les mœurs ont beaucoup d’importance et que le 13 avril 1946 est une date historique qui est d’ailleurs passée inaperçue parce que c’est une chose qui paraissait à l’époque un détail. Et puis la collection s’est arrêtée entre-temps, mais on a fait le livre qui s’appelle donc La Fermeture, le 13 avril 1946. Quarante ans après, en 86.

     Olivier Bailly : Maintenant ça fait 45 ans. On va faire une fête… les rouvrir ?

    Alphonse Boudard : Pourquoi pas ? Non, ce n’est pas possible de les rouvrir parce que c’est le passé. La marine à voile, quoi. Ça ne pourrait se rouvrir que sous une forme très, très différente. D’abord, légalement, on ne peut pas le faire parce qu’on a adhéré à une convention européenne sur le traitement des êtres humains en 1949, donc on ne peut pas. On a supprimé la peine de mort, on ne peut pas revenir sur cette question à cause de cette fameuse convention. C’est pareil avec les maisons closes. Bien sûr, on peut toujours se débrouiller de casser avec les autorités européennes sur ce problème, mais enfin on ne va pas s’amuser à ça. Et puis, surtout, les choses ont évolué tellement depuis 45 ans… On ne se rend pas compte, mais on a évolué dans la plupart des domaines infiniment plus en 45 ans qu’en 800 ans auparavant.

    Les mœurs s’en sont ressenties. L’éclatement de mai 68 fait partie de cette évolution. Alors, ce que je dis, par rapport à 1946, c’est que, si l’on n’avait pas fermé les maisons (parce qu’on ne les a pas fermées pour des raisons sociales ou morales, mais pour des raisons politiques), elles auraient continué, mais différemment. Parce que les filles qui viennent dire aujourd’hui « c’étaient des ghettos épouvantables… » ne le pourraient plus. Maintenant, les maisons seraient contrôlées par la police, par la sécurité sociale et les filles qui y travailleraient bénéficieraient toutes de l’assurance sociale, des congés payés et de la retraite comme les autres travailleurs…

     Olivier Bailly : Des fonctionnaires du sexe…

    Alphonse Boudard : Des espèces de fonctionnaires du sexe et ce serait encore le meilleur moyen pour contrôler le proxénétisme. Le gros défaut des maisons, c’est qu’elles étaient l’affaire des proxénètes et de la police, alors…

     Olivier Bailly : Pourquoi de la police ?

    Alphonse Boudard : Parce que les proxénètes les contrôlaient et elle savait beaucoup de choses par les maisons. Maintenant les flics vous disent qu’ils s’en foutent, qu’ils ont les écoutes et que c’est bien plus intéressant que le bordel. Alors vous voyez que les choses ont évolué.

     Olivier Bailly : A l’époque, la police a t-elle tenté d’exercer des pressions pour que les pressions restent ouvertes ?

    Alphonse Boudard : Elle a essayé, mais elle ne le pouvait pas. Elle n’était pas assez forte. Pendant une période d’environ trente ans elle a essayé de faire marcher les clandestins, ce qu’on appelait les « clandés », c’est-à-dire des maisons qui avaient une autorisation des flics et qui continuaient à fonctionner. Marcellinest arrivé en place et a démantelé tout ça. Après, il y a eu les systèmes des flics qui contrôlaient les hôtels de passe. On a aussi démantelé ça en faisant tomber les patrons des hôtels pour proxénétisme hôtelier. A chaque fois on a cassé un peu le système, mais il renaissait toujours d’une autre façon et, la grande difficulté, c’est que, quand il renaît, on le contrôle encore moins et il est encore plus douloureux peut-être pour les prostituées.

    Je veux dire qu’elles avaient plus de protection dans un bordel que dans le Bois de Boulogne, plus même dans un hôtel de passe qui était pourtant lamentable que dans le Bois de Boulogne. Quand MadameBarzach a été se balader naïvement dans le Bois, elle est revenue horrifiée en disant qu’il fallait rouvrir les maisons.

    C’était une réaction de femme qui ne connaissait pas le problème. Les flics répondent à ça d’une part on ne peut pas les rouvrir à cause de la convention que j’ai évoquée et d’autre part qu’il vaut mieux les garder dans le Bois de Boulogne parce que pendant qu’elles sont là elles ne sont pas ailleurs et, au moins, on sait où elles sont… Mais pour en revenir à cette évolution dont je parlais tout à l’heure, je vois trois choses formidables depuis 1945 : il y a mai 68 et deuxième il y a la drogue. Autrefois, les macs tenaient les filles par le violon, la sérénade ? «  j’t’adore », etc. Et puis il les mettaient au tapin et les tenaient ensuite par la violence. Maintenant, il y a la came. Et c’est terrible ! On met accroc les filles… Et puis tertio, qui va compliquer tout : le Sida. A ajouter à cela, que je rattache à 68 dans l’explosion des mœurs : les travestis, l’homosexualité. Alors, vous voyez que ce n’est plus la même chose. Quand on parle de nos histoires de l’âge d’or des maisons closes avec Romi, on parle du bateau à voiles, on parle de choses disparues.

    Olivier Bailly : Ça fait partie de l’histoire

    Alphonse Boudard : Ça fait partie de l’histoire. Alors je ne vois pas pourquoi (agacé)…C’est là où j’ai été assez choqué. Parce qu’il y a des libraires qui ne me mettaient pas en vitrine ou qui disaient « nous on ne peut pas beaucoup vendre ce livre parce que notre clientèle ne comprendrait pas.. ». J’ai eu des gens qui venaient faire signer le bouquin en disant « mettez pas mon nom surtout ».

     Olivier Bailly  : Ou « c’est pour un ami »

    Alphonse Boudard : Ouais, c’est pour un ami ou « ah oui, j’aime bien lire vos livres, mais je ne peux pas prendre celui-là, je ne peux pas le laisser dans ma bibliothèque… ». On en est là. Des contradictions. ! D’un côté tu as Canal+…Minuit… T’as un film hard. Et de l’autre t’as des gens qui te disent ça. Tout cohabite, c’est curieux.

     Olivier Bailly : C’est vachement plus puritain qu’il y a 45 ans

    Alphonse Boudard : On en parlait plus facilement parce que ça existait. On disait bon y’a le bordel et puis voilà.

     Olivier Bailly  : C’était une institution, en somme ?

    Alphonse Boudard : Dans une petite ville il y avait l’église, il y avait le bistrot du coin, le bordel et le couvent des oiseaux, enfin il y avait différentes choses qui cohabitaient. Et c’est fini. C’était une espèce de tissu social qui était autour du village, autour de l’artisanat, de la paysannerie, qui n’existe plus. Evidemment, on parle de marine à voile, c’est bien d’en parler parce qu’on dit « il est magnifique ce voilier, il est formidable », mais il y a les mecs dans la galère qui rament aussi, puisqu’on est sous Louis XVI… Donc, c’est beau, c’est une très belle chose à voir, mais, bien sûr, il y a toujours le côté noir… Ceux qui travaillent dans les soutes.

     Olivier Bailly  : Vous ne prenez jamais parti ?

    Alphonse Boudard : Ah je peux pas ! Je peux pas ! D’abord, je ne suis pas juge. Je ne dois pas me placer d’un point de vue ou d’un autre. Il est évident que quand je parlais des grands criminels, j’ai essayé de faire la part des choses. D’un côté les circonstances atténuantes et de l’autre les circonstances aggravantes. Prenons le cas de Bonnot. On vient de chez Maxim’s, on bouffe, on se conduit comme des procs devant ce qui type qui est seul aumonde. Mais auparavant, quand il est venu de Lyon avec son copain l’anarchiste et qu’il raconte comment il l’a blessé et achevé pour qu’il ne souffre pas et comment il lui a piqué son pognon… Là il se conduit vraisemblablement comme la pire des crapules. Mais c’est pourtant le même homme. Quand je prends le cas de Landru. Il s’occupe de sa famille, il a quatre gosses, il n’est pas si mal (rires)…

     Olivier Bailly  : C’est un bon père de famille !

    Alphonse Boudard : Oui, mais même quand il est avec sa maîtresse, il est un remarquable amant, et pas seulement au lit, mais dans le comportement. C’est ça le comportement des hommes. Il faut tout dire. Et c’est pareil pour les bordels. Il faut dire ses splendeurs, ses attraits, ses drôleries et puis il faut dire aussi la tôle d’abattage, les horreurs. Je trouve qu’on ne peut pas faire une étude sérieuse sur les bordels sans lire par exemple le livre de Maxence Van der Meersch Femmes à l’encan qui a exprimé des choses justes.

     Olivier Bailly : Donc il y avait maisons closes et maisons closes ? Il y avait les maisons de société où la fine fleur du tout-Paris venait prendre un verre sans forcément consommer et puis il y avait les tôles d’abattage, immondes…

    Alphonse Boudard : Si vous voulez, au départ, quand il y a les maisons, dans la première période du XIXème siècle, elles existent, on sait qu’elles sont là, on sait que les militaires vont dans ces endroits et que les messieurs qui ont des petites envies ou des passions particulières y vont également, mais on n’en parle pas. Et puis, à partir du moment où les artistes commencent à en parler, ça explose. Alors Lautrec, alors Maupassant, alors Lorrain, etc. Mais elles ne sont pas encor, à ce moment-là, au point de devenir ce qu’on appellera des maisons de société. La première expérience dans ce domaine c’est le Chabanais qui l’inaugurera. Le Chabanais est d’abord réservé aux membres du Jockey-club. Là, on fait dans le snob. C’est là que va venir le futur roi d’Angleterre, le Prince de Galles qui sera Edouard VII. C’est là que vont venir une quantité de gens chics, les présidents, les rois en vadrouille… Ils viennent tous faire un tour là et, par la suite, en 1920 et quelque, quand Jamet ouvre le One two two, il invente la formule club, il fait une sorte de complexe. Alors il y a le bordel avec les filles, il y a le restaurant où on fait le bœuf à la ficelle et puis il y a le club et les gens viennent. Ça va faire le renom de la maison parce que tout le monde va y passer.

     Olivier Bailly  : C’est une sorte de salon. Il faut en être ?

    Alphonse Boudard : C’est ça. Et le fait qu’on voit Maurice Chevalier, Tino Rossi ou Colette donnera de l’éclat à la maison. Forcément, c’est rare que des types du niveau de Maurice Chevalier ou Tino Rossi grimpent devant tout le monde avec une pute. Mais il y a d’autres clients qui sont des célébrités comme Georges Simenon ou Michel Simon qui y vont carrément et on le sait et ils ne s’en cachent pas du tout. Mon ami Romi, lui, allait faire des dessins. Il finissait par être copain avec la patronne, elle était contente, puis après il gardait les dessins et c’est comme ça qu’il a des témoignages. Il gardait les cartes de visites, les cendriers parce que c’est un collectionneur et c’est un peu un esprit savant. Alors ça, c’était la nouvelle formule. Après, il y a eu le Sphinx qui était une espèce de club, également, et les choses auraient pu encore évoluer. On aurait vu Régine qui aurait tenu à la fois sa boîte, un bordel, un restaurant, etc. Elle aurait été fabuleuse, là-dedans ! D’ailleurs, on a eu un projet de film ensemble sur un sujet comme ça. Elle collait bien.

    Français : Alphonse Boudard, romancier françaisFrançais : Alphonse Boudard, romancier français
    (Photo credit: Wikipedia)

     

     Olivier Bailly  :

     

    Un peu avant 1946, au moment de la guerre, il y avait déjà des rivalités entre les grandes maisons. Certaines étaient pro-allemandes, d’autres non…

    Alphonse Boudard : Bof…On a raconté ça après… Mais il y avait des rivalités sérieuses qui étaient des rivalités commerciales, si je puis dire. C’était comme Leclerc et Carrefour. C’était ça…. Sous l’occupation, à mon avis, il s’est passé la chose suivante : vous comprenez qu’un type qui fait un business où il vend des bonnes femmes, c’est un voyou. Souvent il vient de la plus basse truanderie et il a monté les échelons parce qu’il est intelligent. Quand l’occupation est arrivée, ils ne savent pas ce qui va se passer. Personne ne le sait. Alors, les Allemands filent des règlements, réquisitionnent des maisons pour eux et puis s’arrangent avec les voyous.

    Les Allemands avaient un fric fou qui leur était donné par le gouvernement de Vichy au titre de l’indemnité journalière de guerre. Ce fric, ils le dépensent et il va alimenter tout. Il y a le marché noir, il est là, tout près, parce que vous pouvez pas tenir des maisons de luxe sans faire du marché noir. Vous n’allez pas là-dedans pour bouffer des rutabagas et boire de l’eau fraîche. Donc, il sonttrès liés aux Allemands et ils sont liés au marché noir et les Allemands savent que le marché noir est une bonne façon de tenir les gens.

    Les plus intelligents parmi eux ne viennent pas en disant « dites donc, on va faire ça, si vous ne nous donnez pas ça, vous serez fusillés ». Non, ils corrompent, ils se démerdent, ils s’arrangent, c’est plus malin. Les seuls tauliers qui auront un esprit vraiment à peu près résistant sont des gens par exemple qui sont d’origine juive. Ils comprennent très vite de quoi il retourne et eux sont forcément coincés. Quelques-uns uns. Mais dans l’ensemble ils attendent l’évolution de la situation et quand l’année 43 arrive, le vent tourne, ils prennent des garanties : ils ont caché trois Juifs dans la cave, ils ont planqué un parachutiste anglais, ils donnent de l’argent à la résistance qui traîne par là, de façon à être peinards.

    Mais la plupart ont été très mouillés avec les Allemands au point que beaucoup de grands tauliers, ceux qui tenaient les taules d’abattage, en croquaient avec la Gestapo. C’était une super police qui était au-dessus de la police française et qui pouvait envoyer chier les flics français en s’appuyant sur les Allemands.

     Olivier Bailly : C’était une époque idéale pour la pègre qui régnait impunément

    Alphonse Boudard : Bien entendu. Quand la Libération est arrivée se sont conjuguées deux choses : les moralistes qui venaient du MRP, parti chrétien qui était contre le bordel, et les communistes qui parlaient au nom de la patrie. Vous ne pouviez pas demander aux autres de ne pas suivre. Il est évident que quand l’affaire se déclenche on ne voit pas la nécessité absolue de s’occuper de fermer les bordels. Ce qui a sauvé les choses à ce moment-là, ce qui a sauvé les abolitionnistes, ces les antibiotiques. Si les antibiotiques n’étaient pas arrivés en même temps on avait une situation qui grimpait dans le domaine prophylactique… Un recrudescence de maladies vénériennes genre syphilis. Alors on aurait fait machine arrière.

    Et là, boum ! tout d’un coup, ils arrivent. Parce que les anti-abolitionnistes avaient dit « attention ! si vous fermez, vous allez voir, ça va grimper. Parce que les filles sont surveillées, ici ». Il y avait même des endroits, les fameux bordels qui étaient tenus par les Allemands, où la capote anglaise était obligatoire.

     Olivier Bailly : Malgré son nom ?

    Alphonse Boudard : (Rires). Malgré son nom, c’est que j’allais dire…Donc, la situation était grave et, tout d’un coup ça a été le miracle. C’est à ajouter à ce que je disais tout à l’heure à propos de l’évolution des mœurs. Il y a eu en 46-47 l’arrivée des antibiotiques qui suppriment les maladies vénériennes importantes de l’époque.

     Olivier Bailly : A l’époque ça ne pardonnait pas…

    Alphonse Boudard : Sauf que le syphilis n’était pas mortelle à tous les coups et qu’on pouvait parfois en guérir… Si elle était prise à temps et même avant les antibiotiques. Et puis sont arrivés la pilule et tous les contraceptifs possibles plus la loi qui autorise la loi sur l’avortement. Autant de choses qui ont compté dans cette fameuse évolution des mœurs.

     Olivier Bailly : Venons-en à Marthe Richard. Vous avez découvert à son sujet des choses inavouables. Etait-elle complètement pure ?

    Alphonse Boudard : Ah non, non… Pas du tout. Je suis sévère avec elle quand elle se place sur le plan où elle s’est placée en disant « je suis une moraliste qui a fait fermer les maisons ». Ça , c’est une blague. Là, je démonte tout le truc et ça n’a été possible qu’après sa mort parce qu’elle avait bénéficié d’une loi d’amnistie en 47 et on ne pouvait évoquer un certain nombre de choses dans sa vie, entre autres le fait qu’elle avait été elle-même prostituée et qu’elle avait eu des problèmes pour des affaires de drogues et des complicités d’escroquerie avec des personnages qui émargeaient à la Gestapo du boulevard Flandrin. C’était donc on ne peut plus noir. Elle a cependant réussi ce tour de passe-passe de devenir le symbole de la lutte contre la prostitution.

     Olivier Bailly : Elle s’est refait une vertu

    Alphonse Boudard : Totalement ! Et elle n’a joué que de la vertu, après. Elle est morte à 92 ans, avec la Légion d’honneur. On disait « Marthe Richard, la mère la vertu ». C’était pas ça du tout ! C’était le contraire. Voilà. Quand j’ai écrit le livre j’en ai consacré la moitié à Marthe Richard pour démontrer point par point qu’il s’agissait d’une légende. Je l’ai fait avec des documents très sûrs, de police. J’ai eu la fiche des renseignements généraux entre les mains eh bien, malgré cela, on entend toujours les gens dire « Ah ! Marthe Richard qui a fait fermer les maisons…Cette dame est respectable, c’est formidable ». Bon, elle n’a pas toujours eu 80 ans. D’où viennent les vieilles dames !

     Olivier Bailly : Revenons à la maison. Ou plutôt aux maisons. Filles du trottoir et filles des bordels bénéficient-elle du même traitement artistique ?

    Alphonse Boudard : On trouve une littérature autour des filles du trottoir. Chez Carco, chez les auteurs de la Série noire…Parce qu’il y a le lieu. Vous ne retrouverez pas cette jubilation ni ces artistes autour des taules d’abattage. Il y a quelques croquis, il y a des histoires, mais elles sont assimilées à peu près aux filles de la rue. Ce qui a provoqué l’intérêt des artistes autour des maisons c’est précisément parce qu’il y a eu le cadre, il y a une espèce de cérémonie, un lieu d’amour, le temple de l’amour physique, et puis il y a « Madame », il y a une ambiance et puis les gens, comme du One two two, du Chabanais, de la rue des Moulins où Toulouse-Lautrec avait sa chambre, ont créé un certain climat.

     Olivier Bailly : Une mythologie ?

    Alphonse Boudard : Une mythologie. Et ils sont revenus en cela à l’Antiquité…Ce que l’on peut reconstituer de Pompéi, on le doit aux artistes de ce genre. Voilà pour les maisons luxueuses. Les maisons de qualité moyenne, si je puis dire, ont été reconstitué par des gens comme Lorrain ou Maupassant dans leur côté convivial, province, etc. C’est vrai que si vous imaginez des gens qui sont par exemple représentants de commerce, ils arrivent dans une ville, à Yvetot, à Carpentras, le soir, ils sont au restaurant, je les ai vus, j’ai été dans des endroits comme ça pour des films ou des livres, ils bouffent puis ils vont regarder la télé et ils vont se coucher. S’ils ont des envies d’aller draguer ou de chercher une fille, ils ne trouvent rien ! Il y a des fois des espèces de boîtes qui sont à 25 kms, puis barka ! Ils ne vont pas aller se fatiguer là toute la nuit. Quand ils avaient le bobinard, ils connaissaient, ils y allaient, ils se retrouvaient entre copains, ils y venaient pour consommer une fille ou simplement pour prendre un verre, une coup de champ’, je ne sais quoi… Ils discutaient avec la patronne, elle les connaissait, c’étaient le gars qui vendait le Pernod ou qui vendait des bas ou de la porcelaine [lire l’excellent Femmes blafardes de Pierre Siniac, Rivages. Ndr]… C’était ça.

     Olivier Bailly : Il y avait donc un aspect très social

    Alphonse Boudard : Ah complètement, complètement ! C’était des bistrots avec des « montantes ». C’était ce que racontaient des gens comme Maupassant.

     Olivier Bailly : Au moment de la Fermeture, des gens se sont retrouvés sur le sable, et pas seulement les filles.

    Alphonse Boudard : Les macs se sont pas trop mal débrouillés. Ils ont pris des prête-noms qui ont tenu les hôtels de passe et puis eux ils sont allés se retirer à la campagne, pécher à la ligne, taper le carton… certains, qui avaient des maisons de luxe, des maisons très célèbres, n’ont pas pu se recycler parce qu’on ne pouvait pas remplacer, refaire autre chose d’équivalent au One two two ou au Chabanais et ils ont été plus ou moins ruinés. Ils ont essayé de se lancer dans d’autres activités, mais ce n’était plus pareil. Alors le bluff a été pour les filles. Parce qu’on racontait « bon on va fermer les maisons et le problème est résolu », mais il n’est pas résolu du tout et elles se sont toutes retrouvées sur le trottoir. Elles avaient les mêmes macs, les mêmes structures, elles étaient autour des hôtels et elles faisaient le tapin dans la rue Saint-Denis ou à Barbès-Rochechouart. C’était exactement la même chose.

    Olivier Bailly : Pire peut-être ?

    Alphonse Boudard : Peut-être pire, en tous cas, parfois, elles étaient carrément dehors et quand il fait froid…

    Alors il y a des gens, très respectables d’ailleurs, qui veulent sauver des filles de joie et qui leur proposent des lieux genre petite pension de famille où on va les rééduquer, leur apprendre un métier, mais ça a marché que pour des putes qui étaient en bout de parcours. Ils sont à côté de la plaque parce qu’ils font des choses tout à fait honorables, utiles, mais pour une infime minorité…

     Olivier Bailly : Que sont devenus les objets baroques, les objets particuliers que l’on trouvait dans les maisons closes ?

    Alphonse Boudard : ça a été baladé de tous côtés, mais la plus grande vente a été faite après la Fermeture par Maître Maurice Rheims qui est aujourd’hui à l’Académie française. Romi, lui, a récupéré certaineschoses.Le fameux siège et la baignoire en cuivre rouge en forme de cygnes se sont retrouvés chez Alain Vian, le frère de Boris, et chez Dali. C’est Dali qui a acheté la baignoire. Il trouvait que c’était un objet éminemment surréaliste. Le siège a été revendu en salle des ventes où il a fait 22 millions de centimes et c’est la descendante de l’ébéniste qui l’avait fabriqué qui l’a acheté.

     Olivier Bailly : Est-ce qu’il y encore de signes visibles, des preuves de l’existence de ces maisons dans Paris aujourd’hui ?

    Alphonse Boudard : Il y a encore des petites traces par-ci par là, mais les principales maisons n’existent plus. Le Chabanais, par exemple, est toujours là. Il y a des gens qui y vivent. Rue des Moulins, il n’y a plus rien. Je crois qu’il y a une agence de voyage à la place. L’immeuble où était le Sphinx a été démoli, boulevard Edgar-Quinet. Reste comme témoignage évident celui où, dit-on, le Maréchal Goering est venu baiser un jour de 1941 au 50, rue Saint-Georges.Au 9, rue de Navarin il faut que vous essayiez de rentrer sous le porche et de regarder de côté. Là on comprend tout de suite. D’abord, il y a une façade curieuse. Il y a des fenêtres en forme de hublot et puis, sur le côté, on peut découvrir ce que c’était.

    Au 106 boulevard de La Chapelle était une taule d’abattage célèbre qui est devenue après la Fermeture et pendant 25 ans environ le siège de l’Armée du salut. Et puis maintenant c’est un bazar nord-africain. Au One two two, 122, rue de Provence, c’est maintenant le syndicat des cuirs et peaux…Je crois qu’il y a eu un grand tort… On aurait du garder le Sphinx, le Chabanais, le One two two, la rue des Moulins, il y en a eu plusieurs comme ça… Enfin, on aurait pu en garder deux, trois. C’est des pièces historiques. On va bien voir la Conciergerie. C’est une taule, hein ? C’est moins gai encore

     Olivier Bailly : Vous avez travaillé en collaboration avec Romi pour ce bouquin. Son nom évoque malheureusement peu de choses pour les lecteurs d’aujourd’hui. Pourriez-vous nous en parler ?

    Alphonse Boudard : Ah Romi ! C’est un type formidable ! C’est un homme qui a tous les dons possibles. Il dessine très bien, il écrit très bien et il s’intéresse à tout ce qui est la petite histoire et aux choses qui paraissent être sans importance, mais qui finalement en ont. Il a fait de nombreux bouquins. Il y a quelques années il a sorti un livre tout à fait intéressant sur les célébrités oubliées. Il a regardé depuis 1789 les types qui, en leur temps, tout à coup, ont été aussi célèbres qu’aujourd’hui pourrait l’être Tapie et puis qui sont oubliés. Il s’est beaucoup occupé de l’histoire des mœurs puisqu’il a fait des livres sur la prostitution et il a une documentation, une iconographie fabuleuse. Il s’est intéressé à l’art, aux surréalistes notamment, et à l’art naïf.

    C’est un homme qui toute sa vie a collectionné des choses autour de lui. Il est âgé, il a un esprit absolument de jeune homme. Il est en train de faire un bouquin sur l’histoire anecdotique du pet depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours ! Je lui fais une préface. C’est un volume énorme. Il a été chercher des parties de pétomanie sous Louis XIV ! C’est formidable ! Il a un esprit curieux. On peut lui parler de n’importe quoi, il sait tout. Il a fait un n0 du Crapouillot sur les monstres. Non, mais vraiment, c’est un type qui m’épate ! Il a donné dans le fait-divers aussi. Enormément. Je suis certain que c’est un auteur qu’il faudra redécouvrir, qu’il faudra rééditer.

    Au même titre que Marcel Montarron qui a été le grand homme du fait-divers depuis la naissance de Détective jusqu’à ce qu’il s’arrête. Je voudrais bien qu’on redécouvre Romi parce que c’est aussi très précieux, ça fait vraiment partie de la culture, beaucoup plus que des spéculations intellectuelles.

    SOURCES

    https://anardedroite.wordpress.com/2013/06/09/alphonse-boudard/

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    A LIRE ABSOLUMENT !

     

    Ce jour-là : 13 avril 1946. Il en va de certaines dates historiques comme des cailloux lancés dans un étang :

    l'impact est mince, apparemment, mais les ondes, tout autour, se déploient avec une ampleur surprenante.

    Le 13 avril 1946, jour où l'Assemblée nationale abolissait les maisons de tolérance, le sang n'a certes pas coulé et on n'a pas vu de foules indignées mettre le Palais-Bourbon à sac.

    Cependant, Pierre Mac Orlan pouvait à juste titre déclarer :

    C'est la base d'une civilisation millénaire qui s'écroule.

     

     

    A travers cet ouvrage, Alphonse Boudard, précisément, se penche sur cette civilisation, non seulement en historien des moeurs éprouvé, mais aussi, et surtout, en écrivain, avec la truculence, la gouaille et la verve qu'on lui connaît.

     

     

    Derrière l'inamovible attelage du maquereau, de la pute et du flic, pierre angulaire du système, il nous entraîne de l'âge de pierre à la IIIe République, ère de la bourgeoisie triomphante.

     

     

    Nous poussons, avec lui, les portes glorieuses du One Two Two, du Chabanais et du Sphinx ; mais nous piétinons également devant les lugubres façades du Fourey et du Panier Fleury, ces assommoirs du sexe où les filles faisaient plus de soixante-dix passes par jour.

     

     

    Guide avisé enfin, Alphonse Boudard ne nous laisse rien ignorer, par-delà les salons décorés où régnaient maquerelles et sous-maquerelles, des pièces étranges où les pervers assouvissaient leurs vices.

     

     

    A cet univers à la fois éclatant et sordide a succédé, inévitablement, celui de la prostitution généralisée en plein air, sur les trottoirs ou à l'orée des bois. Il ne semble pas que les filles aient gagné à l'affaire.

    Marthe Richard y avait-elle songé, dans sa croisade de moralité ?

    Mais quelles étaient ses motivations véritables ?

    Et qui était-elle au juste, cette personne aussi 
    trouble que célèbre ?

     

    Alphonse Boudard a rassemblé son dossier.

    Et ce qu'il découvre n'est pas triste...!!

     

     

     

     

     

     

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     Cora Pearl, courtesan:

    Cora Pearl

     

    Cora Pearl est le pseudonyme d'Emma Élizabeth Crouch, née à Londres en 1835 et morte à Paris dans le 16e arrondissement, le 8 juillet 1886. Célèbre demi-mondaine, elle a séduit la plus haute aristocratie au cours de la période du Second Empire, notamment le prince Napoléon et le duc de Morny.

     

    Pearson, professeur de chant. Frederick Crouch abandonne sa famille en 1847, très certainement pour fuir ses créanciers, et part à New York pour exercer sa profession de musicien.

    Lydia Pearson décide d'envoyer Emma dans une école religieuse en France.

     

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    Biographie - Jeunesse

    La date et lieu de naissance d'Emma Crouch sont contestés, son état civil donne pour date de naissance le 23 février 1842, à Plymouth, bien qu'il soit plus probable qu'elle soit née à Londres en 1835, et que sa famille se soit

    déplacée à Plymouth vers 1837.

    Son père est le violoncelliste Frederick Nicholls Crouch (1808 - 1896)

    et sa mère Lydia

     

     

    Elle est placée dans un pensionnat à Boulogne-sur-Mer pendant deux ans puis dans une autre institution à Calais où elle reste sept ans.

     

    Par la suite, Emma séjourne deux ans chez sa grand-mère à Jersey, qui la place chez un modiste réputé à Londres.

    Dans cette maison, elle fait la connaissance du baron Oelsen

    et vit un an avec lui, avant de devenir la maitresse d'un

    propriétaire de cabaret londonien,

    Robert Bignell, de dix ans son aîné.

     

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    En mars 1858, Robert Bignell emmène Emma à

    Paris et lui fait connaître les hauts lieux touristiques.

     

     

    Description de cette image, également commentée ci-après

     

    Après un séjour d'un mois, Robert veut rentrer en Angleterre, mais Emma décide de rester en France car elle a bien d'autres projets.

    L’Ecstase.Pierre-Louise Pierson.c. 1868.French.:

    LA COURTISANE

    Emma choisit de devenir une femme galante.

    Elle aime les plaisirs charnels mais c'est avant tout,

    comme la plupart des demi-mondaines, le meilleur moyen de s'enrichir rapidement.

    Elle devient une femme entretenue au service d'un proxénète du nom de Roubise, qui lui procure de nombreuses relations.

     

    Elle prend l'habitude de tenir un registre de ses clients avec leurs noms, des détails intimes de leur vie privée et même des commentaires

    parfois assez crus sur leurs performances.

    Six ans après, Roubise meurt et Emma se retrouve libre.

      

     

    Elle s'installe au no 61 rue de Ponthieu dans un appartement

    qu'elle partage avec une amie, Mlle Carole Hassé.

    Emma Crouch prend alors le pseudonyme de Cora Pearl.

     

    Elle rencontre par la suite le duc de Rivoli, Victor Masséna.

     

    Celui-ci lui présente au cours d'une soirée à l'Opéra, le prince Achille Murat.

     

    Cora entretient une relation avec les deux hommes jusqu’en 1865, lorsque le prince doit partir pour l'Afrique sur l'ordre de l'empereur, pour rejoindre son nouveau régiment.

     

     

    Charles de Morny, Duc de Morny. C1860. He was another Napoleonic royal, as an illegitimate son of Hortense de Beauharnais, "Emperor" Napoleon Bonaparte's stepdaughter and sister-in-law. He was a very intelligent man, amassed a fortune, and married a Russian princess.:  

    Cora qui se lasse du duc, poursuit néanmoins leur relation.

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    Elle fait la connaissance du duc de Morny, le demi-frère de

    Napoléon III,

    en décembre 1864.

    Duc et Duchesse de Morny 1863:  

     

    Duc et Duchesse de Morny 1863

    Elle devient sa maîtresse, mais aussi son amie ainsi que

    celle de son épouse, la princesse Sophie.

    Le duc et la duchesse de Morny:  

     

    Grâce aux générosités d'Auguste de Morny, Cora est la locataire à la fin de l’année 1864, du château de Beauséjour à Olivet,

    dans le Loiret, dont elle sera la propriétaire de 1875 à 1885.

     

     

    Duc Charles de Morny (9-17-1811   -  3-10-1865):  

    Elle organise dans son nouveau domaine des fêtes

    somptueuses et dépense des sommes astronomiques dans les travaux.

    Louvre - salon d'apparat Duc de Morny - Aile Richelieu. Tapis savonneries by Leone, à l'identique www.leone-edition.com:  

    Appartement du Duc de Morny au Louvre

     

    Pour la décoration, le visiteur ne manque pas

    d'admirer les marbres,

    le cuivre et l'or à profusion.

    Cora Pearl (Emma Elizabeth Crouch) (1842- 1886) UK became a prostitute in France. She was mistress of Edward VII (Albert Edward) (1841-1910) UK.  She once arranged to be "served" naked on a huge silver platter during his dinner. She had restless nature and innate curiosity that led her to rebel against the conventional morals of the time. Her goal was to become the kept woman of select dedicated lovers, ones with the financial means to keep her in extreme luxury.:  

     

    Elle fait même installer une vaste baignoire en bronze,

    gravée de son monogramme : trois Centrelacés.

    Les extravagances de Cora ne se comptent plus.

     

     

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    Elle prend par exemple un bain de champagne ou elle fait teindre son caniche en bleu pour qu'il soit assorti à sa robe.

     

    Elle introduit également la mode du maquillage.

    The Death Of Emperor Napoléon III’s Brother, Duc Charles de Morny:  

    Cora Pearl est surnommée« la grande horizontale », ou « le plat du jour »

     

    .

    Achille Murat, 2nd Prince Murat.(1801-1847)

     

    Elle fréquente les restaurants à la mode dont le Café Anglais

    qui offre à sa clientèle des cabinets particuliers.

     

     

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    La renommée de Cora est telle que le tout Paris raconte :

     

    « à une occasion, elle s'était fait servir elle-même, étendue nue sur un immense plat d'argent, dans le célèbre cabinet numéro seize, dit le Grand Seize, au Café Anglais. Elle y aurait également dévoilé ses seins, lors d'un dîner entre femmes, ce qui laisse entendre qu'elle aimait à se mettre en avant pour le plaisir, et non pas nécessairement pour appâter le client » .

     

     

     

    L'APOGEE

     
    Photographie originale de Cora Pearl
    par Eugène Disdéri.
     
     
     
    Extrait de la fiche de police
    d'Emma Crouch ou Cruch dite Cora Pearl,
    au mois de septembre 1865.
    La photographie est d'Eugène Disdéri
    Archives et musée de la
    Préfecture de police de Paris.

     

     

     

    La publication de son acte de naissance dans son autobiographie en 1886, commence par une falsification.

     Née à Plymouth en 1835, Emma est envoyée dans un couvent français à Boulogne sur Mer. Dans ses "Mémoires", elle révèle à la page 17, qu'elle a débuté dans la prostitution dès l'age de 14 ans avec un diamantaire nommé Saunders d'après elle... ....................... Le Journal des Goncourt ne la mentionne qu'une seule fois le 15 août 1864 de façon plutôt ordurière : "Elle toujours elle ! dans la rue, au Casino, à Deauville à Trouville, à pieds en voiture, sur la plage (ce monstre qui n'est rien et qui n'a rien, ni grâce, ni élégance ni esprit de bienfaisance, qui n'a l'élégance que lui vend cent mille francs par an son costumier (...)cette fausse lorette qui comme la lorette fume dezs cigarettes, conduit comme Cora et, vide comme les filles, tue le temps comme elles avec le monde des Morny, à jouer au misti jusqu'à trois heures du matin--l'entraîneuse de toutes ces samopes creuses du monde officiel d'aujourd'hui' (...)

    LA MAIN ET QUELQUES AUTRES DETAILS DE L'ANATOMIE DE CORA PEARL

     

    image: http://media.paperblog.fr/i/383/3839255/cora-pearl-scandaleuse-L-yqDSMB.jpeg

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    En janvier 1869, Emma Crouch, voulut, pour offrir à ses admirateurs faire le moulage de sa main. Pour ce faire, elle fit appel au sculpteur Louis-Edmond Cougny*. Vingt quatre épreuves furent réalisées en terre cuite qui furent dit-on rapidement épuisées. L'une d'elle, avec cette inscription :" souviens-toi" était destinée à un prince bien connu qui le plaça dans son musée secret. Sachant que la beauté est éphémère, Cora décida de faire pour sa gorge ce qu'elle avait fait de sa main. Sous la surveillance de Cougny, un mouleur emprisonna dans un corset de plâtre les parties à reproduire et en fit ressortir une épreuve aussi vraie que nature. "J'ai fait faire le moulage de ma poitrine et de ma main. La main en l'air tient un sein, l'autre sein fait le couvercle. Le tout en onyx. Un monsieur me l'a pris et l'a donne au "Phoque". J'ai su depuis que la maison d'onyx a fait faillite. Quand à ma statue en marbre, je l'ai fait faire par Gallois en douze séances"  Au cours de ces séances, Cora Pearl indique à mots couverts la présence d'une femme qu'elle nomme Desmard (nous savons qu'elle transformait tous les noms), qui prenait du plaisir à la contempler "tout cela par obligeance et sans autre application de son oreille sur ma poitrine" La fabrication de ces objets fut confié à Messieurs Cornu & Cie, fabricant d'objets d'art, dont la facture est reproduite 

    plus haut. Cette créance n'ayant pas été recouverte en 1872, après le départ précipité de Cora Pearl en raison de la tentative de suicide du jeune Duval, l'héritier des "Bouillons" du même nom, les créditeurs se manifestèrent et demandèrent une saisie conservatoire des biens de la débitrice, par l'huissier Larguillat, de tableaux, meubles luxueux, lustres et girandoles, peaux d'ours blanc, peaux de tigre et trois grands billards anglais. De plus deux immeubles d'une valeur considérable, rue de Chaillot et à Maison-Laffitte étaient concernés par cette saisie. Le tribunal civil de la Seine sous la présidence du juge Guérin la condamna le 4 avril 1873, à payer la somme de 3300 francs aux plaignants, les frais de la saisie furent à la charge de Cornu. Nous ignorons s'il reste aujourd'hui des traces de ces oeuvres ?

    Cora Pearl

     

     

    Dix jours après la disparition du duc de Morny, le 10 mars 1865,

    Cora est abordée par

     

    Ludodvic de Gramont

    5) Ludovic de Gramont

    le duc Emmanuel de Gramont-Caderousse avec qui elle a une relation purement « professionnelle »,

    jusqu’au 25 septembre 1865, date de son décès à Paris.

     

     

    Le Prince Achille Murat et Cora Pearl, 1865, tirage photographique moderne d'après plaque de verre © J. Delton / Archives Hermès (Paris) - 201

     

    Cette même année 1865, Cora rencontre le prince Napoléon, cousin de l’empereur. Il sera plusieurs années durant, l'amant de Cora Pear.

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    Le prince en tant que bienfaiteur et protecteur,

    n'hésite pas à lui offrir deux splendides hôtels particuliers,

    l'un au no 101 rue de Chaillot (16e arrondissement)

    et l'autre, rue des Bassins

    (voie disparue de nos jours).

     

     

    Les années 1865 à 1870 consacrent la période faste et l'apogée de Cora Pearl. Sa fortune s’accroît considérablement et comme la plupart

    des demi-mondaines, elle dilapide des sommes folles.

     

     

     

     

    Au cours de cette période, elle achète plus de soixante chevaux et dépense même pour l'un d'entre eux la somme de 90 000 francs.

     

    Elle justifie son appât du gain uniquement pour assurer le même train de vie imposé par la fréquentation des hommes les plus riches et les plus influents de l'Empire.

    Cora Pearl:  

     

     

    La réussite des puissants, se voyait dans la magnificence de leurs maîtresses.

     

     

     

     

    Ludovic de Gramont(1834-1865)

    a.k.a. Emmanuel-Jean-Ludovic de Gramont-Caderousse

     

    Cora Pearl se produit au théâtre dans une production

    de 1867 d'Orphée aux Enfers de Jacques Offenbach.

     

    Elle a hérité d'assez de talent musical pour interpréter le rôle

    de Cupidon et apparaît sur scène seulement vêtue de ses diamants.

     

    Chaque soir, un diamant tombe et roule, jamais elle ne le ramasse :

    c'est le pourboire des machinistes.

    Elle plaisait à l'empereur et on l'avait vue à ses côtés au bois, dans sa calèche.

     

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    Le DECLIN

     

    La guerre franco-allemande éclate le 19 juillet 1870. Cora Pearl est présente au moment du siège de Paris.

     

    Elle transforme son hôtel rue de Chaillot en hôpital et s'improvise infirmière. L'effondrement de l'Empire amorce le déclin de Cora Pearl.

     

    Elle finit par quitter Paris et rentre finalement en Angleterre.

     

    Elle revient en France, au moment de la Commune en 1871.

     

    Cora Pearl est dans une situation précaire.

     

    Le reste de sa fortune a financé les travaux de son hôtel particulier en hôpital et elle se retrouve sans protecteur depuis son retour à Paris.

    L'affaire Duval

    Cora Pearl rencontre en 1872, Alexandre Duval, riche propriétaire.

     

    Son père, Louis Duval, avait fait fortune en ouvrant à Paris,

    les Bouillons Duval, une chaîne de restaurants à bon marché.

    À la mort de son père en 1870, Alexandre Duval

    est à la tête de douze restaurants dans la capitale.

    Cora Pearl - headstuff.org

     

    Âgé de vingt-cinq ans, alors que Cora a environ trente-sept ans,

    Alexandre devient son amant.

    En plus de son héritage familial, Alexandre Duval

    possède une fortune personnelle.

     

    Cora Pearl n'a pas mis longtemps à ruiner le jeune restaurateur.

    Il paye l'entretien de son hôtel rue de Chaillot et d'une maison de campagne à Maisons-Laffitte.

     

    Alexandre lui offre également des cadeaux : voitures, attelages et même un livre composé de cent billets de 1 000 francs reliés.

    Il contracte des dettes exorbitantes pour sa promise.

    Inexorablement, les finances viennent à manquer et la famille d'Alexandre décide de lui couper les vivres.

     

    Cette nouvelle situation n'arrange pas les affaires de Cora qui, sans le moindre remords, met un terme à cette liaison et refuse de revoir Alexandre.

     

    Désespéré, Alexandre réussit à forcer la porte de Cora le 19 décembre 1872, malgré l'opposition des domestiques.

     

    Armé d'un révolver, il se dirige vers la chambre de Cora et

    suppose qu'elle se trouve avec un autre homme.

     

    Alexandre tire une première fois dans cette direction

    et ne blesse personne.

     

    Face à son échec, il retourne alors l'arme contre lui et

    se tire une balle dans le côté, devant sa maîtresse.

     

    La tentative de suicide échoue, la blessure n'est pas mortelle.

     

    Cette histoire inspire Émile Zola pour le suicide de

    Georges Hugon dans son roman,Nana.

     

    Les conséquences de ce fait divers tragique ne se sont pas fait attendre.

     

    Les autorités ordonnent l'expulsion du territoire de Cora Pearl.

     

    Deux jours après le drame, elle reçoit la visite d'un commissaire de police qui lui intime l'ordre de quitter la France sans délai.

     

    Cora loge d'abord chez une amie à Monte-Carlo, puis part pour Nice et enfin, Milan.

     

    Son expatriation est de courte durée mais sa réputation ne se remet pas de cette frasque trop publique.

     

    Ses meubles et effets mobiliers de son hôtel rue de Chaillot sont saisis à la demande de ses créancier.

     

    Cora Pearl porte plainte et reprend possession de ses biens dès 1873.

     

    Elle vend néanmoins sa propriété de Maisons-Laffitte et le

    dernier visiteur n'est autre que le prince Napoléon,

    qui passe la nuit avec Cora Pearl.

    Jerome Napoleon - headstuff.org

    Les dernières années

    Cora Pearl réussit à revenir à Paris, après son

    exil forcé et reprend les activités de ses débuts, la prostitution.

    Elle ne retrouvera jamais plus sa position

    dans la haute société et son existence de luxe.

     

    Cora met en vente à Drouot toute son argenterie en 1877,

    afin de s'acquitter de ses dettes.

     

    Elle se sépare également de son château de Beauséjour en 1885, déjà fortement hypothéqué.

    Peu de temps après la publication de ses mémoires, Cora Pearl devient gravement malade d'un cancer à l'estomac.

     

    Elle meurt oubliée, au premier étage de son domicile parisien

    au no 8 rue de Bassano dans le 16e arrondissement,

    le 8 juillet 1886.

     

    Cora Pearl est inhumée dans une concession

    temporaire de cinq ans au cimetière des Batignolles.

     

    Trois mois plus tard, le reste de ses biens, lingerie, draps de lit, son unique collier de perles, son portrait à cheval peint par Lansac, une cravache, une tenue d'amazone, sa bibliothèque de quatre-vingts livres et plusieurs perruques blondes, sont mis aux enchères.

     

     

    « Je n'ai jamais trompé personne, car je n'ai jamais été à personne.

    Mon indépendance fut toute ma fortune :

    je n'ai pas connu d'autre bonheur. »

    — Cora Pearl, citation extraite de ses Mémoires, 1886.

     

     

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Cora_Pearl

     

     

    Cora Pearl - headstuff.org 

     

     

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  • La tuberculose, maladie romantique du 19ème siècle

    La tuberculose, maladie romantique au XIXe siècle
    Quelques héros de la littérature romantique atteints de tuberculose

    I. INTRODUCTION

    1. Définition du Romantisme

    Le terme Romantisme désigne un ensemble de mouvements artistiques et littéraires qui se sont épanouis en Europe au XIXe siècle sur la base d’un rejet du rationalisme et du classicisme.

    Le romantisme se caractérise par le libre cours donné à l’imagination et la sensibilité individuelles, qui le plus souvent traduisent un désir d’évasion et de rêve (réveil de la poésie lyrique, rupture avec les règles et les modèles, retour à la nature, recherche de la beauté dans ses aspects originaux et particuliers).

    Après la période romantique, la littérature et l’art ont évolué vers le Réalisme.

    2. Définition de la tuberculose

    La tuberculose est une infection des poumons et d’autres organes. Elle est due à une bactérie qui détruit les tissus et crée des cavités.

    La maladie serait aussi vieille que l’humanité ; elle est connue et décrite depuis l’Antiquité. Dans le cas de la tuberculose osseuse, le diagnostic est possible sur les ossements (par exemple sur les momies égyptiennes).

    L’épidémie a atteint son apogée au XIXe siècle, où elle a été responsable de près d’un quart des décès des adultes en Europe.

    Elle tue encore près de deux millions de personnes chaque année dans le monde. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) :

    On compte dans le monde une nouvelle infection par le bacille tuberculeux chaque seconde
    Un tiers de la population mondiale est actuellement infecté
    De 5 à 10 % des sujets infectés (non infectés par le VIH) développent la maladie ou deviennent contagieux au cours de leur existence

    3. Existe-t-il un lien entre Romantisme et tuberculose ?

    Pour répondre à cette question, nous étudierons les symptômes de la tuberculose et les caractéristiques du Romantisme. Le lien apparaîtra grâce à la mise en parallèle des deux.


    II. LA TUBERCULOSE AU XIXe SIÈCLE : IMAGE ET RÉALITÉ

    Au XVIIIe et XIXe siècle, une personne sur quatre était atteinte de la tuberculose. L’épidémie a atteint son apogée au XIXe siècle. Première cause de mortalité aux Etats-Unis à l’époque, il était rare que, dans une famille, il n’y ait pas au moins un cas de tuberculose.

    Le terme de « tuberculose » n’est d’ailleurs apparu qu’au XIXe siècle (après 1830 plus précisément). Auparavant, la maladie était appelée :

    Phtisie (terme qui vient du grec et signifie « dépérissement »)
    Consomption (de « consumer »)
    Peste blanche

    L’image de la tuberculose a été romantique pendant le XVIIIe siècle, lorsque la maladie n’était pas encore trop répandue, et jusqu’au milieu du XIXe siècle, où elle est devenue une épidémie. Cette image n’était pas seulement véhiculée par les écrivains et les peintres, mais aussi par les médecins. Avec la propagation massive de la tuberculose, plus particulièrement dans les classes laborieuses, l’image de la maladie a changé, bien que les deux images (maladie romantique et maladie du prolétariat) aient cohabité un certain temps.

    Vers 1820, sous la Restauration, on pensait qu’elle était héréditaire, qu’elle frappait les êtres sensibles et fragiles et « consumait les êtres brûlants de passion ». C’est dans les années 1830, sous la Monarchie de Juillet, que l’on a remarqué que la maladie était plus fréquente dans les couches sociales les plus pauvres. Dans les années 1840, la femme atteinte de tuberculose était encore associée, dans certains milieux, à la vision romantique. De la fin des années 1860 au début des années 1880 (Troisième République), la probabilité de contagion était évoquée. Aux alentours de 1900, par contre, la tuberculose était considérée comme un fléau national et reconnue comme étant très contagieuse.

    Au début du XIXe siècle, la tuberculose s’est répandue en masse en Angleterre et en particulier à Londres, à cause de l’industrialisation et ses conséquences (mauvaises conditions d’habitation, carences alimentaires, travail long et difficile). Puis elle a atteint les grandes villes du continent. Les personnes âgées de 20 à 40 ans, économiquement productives, étaient particulièrement touchées. Leur mort avait alors des retombées économiques.

    Le diagnostic précoce de la maladie était primordial pour lutter contre la tuberculose. Une campagne d’information et de prévention a également été nécessaire. Des tracts ont été distribués et des affiches interdisant de cracher ont été accrochées dans les bâtiments publics et les transports en commun. L’information est passée non seulement au moyen de brochures et de livres, mais aussi par l’intermédiaire de films et de pièces de théâtre. La propreté, l’aération et l’ensoleillement ont aussi eu un rôle important dans la prévention et la lutte contre la tuberculose.

    III. DESCRIPTION DE LA MALADIE

    La tuberculose est une infection des poumons et d’autres organes.

    Les autres organes qui peuvent être atteints sont :

    La plèvre
    Les os
    L’appareil urinaire
    L’appareil génital
    Les méninges
    Les ganglions lymphatiques
    Les reins
    Le tube digestif

    La maladie est due à une mycobactérie acido-alcoolorésistante aérobie, Mycobacterium tuberculosis, ou bacille de Koch (BK). Elle a une taille de 1 à 4 µm de long et 0,2 µm de large et sa croissance est lente. Il existe deux autres vecteurs de la tuberculose, Mycobacterium africanum, qui est très proche du précédent, et qui est fréquent chez les malades d’Afrique de l’ouest et du centre, et Mycobacterium bovis, l’agent de la tuberculose bovine, qui peut infecter l’homme et d’autres animaux.

    La transmission se fait par voie respiratoire ou alimentaire (lait contaminé) :

    Par voie aérienne, les bactéries sont transmises par l’intermédiaire des sécrétions d’origine nasale, salivaire ou par les expectorations pulmonaires, lors d’éternuements ou de toux. Les bactéries pénètrent par le nez et la bouche et atteignent les poumons, à partir desquels les germes peuvent être disséminés par la circulation sanguine vers d’autres régions de l’organisme. Dans les semaines qui suivent l’infection, le système immunitaire réagit à la présence des germes et empêche dans 90 % des cas leur multiplication et leur dissémination. Certains cas seront porteurs de la bactérie toute leur vie.

    Autrefois, la contamination était possible par consommation de lait contaminé, dans le cas de contamination par M. bovis. Dans ce cas, le temps d’incubation est de deux ans.

    L’infection se fait en deux temps. Il y a d’abord la tuberculose primaire ou primo-infection : c’est le premier contact entre l’organisme et la bactérie. La primo-infection peut être latente (asymptomatique, 90 % des cas) ou patente (10 %). Dans le premier cas, il n’y a pas de symptômes apparents, seulement une réaction immunitaire. Dans 9 cas sur 10, la primo-infection évolue vers une guérison définitive de la maladie. Dans le cas contraire se développe la tuberculose de réinfection ou tuberculose-maladie.

    Les symptômes de la tuberculose sont :

    Fatigue
    Perte de poids
    Perte d’appétit
    Toux grasse
    Fièvre

    Les symptômes de la maladie sont assez discrets et peuvent être confondus avec les symptômes d’autres maladies, ce qui empêche souvent la détection à un stade primaire. Ils sont liés à la production de lymphocytes par le corps.

    Il existe plusieurs formes de tuberculose dont voici les plus fréquentes :

    La tuberculose pulmonaire est la seule forme de tuberculose qui soit contagieuse. Elle représente 90 % des tuberculoses. Elle se traduit par une exsudation dans les alvéoles pulmonaires et dans l’espace pleural. Les bronches sont ensuite atteintes.

    La diffusion du bacille par voie sanguine entraîne l’apparition de tuberculoses extra-pulmonaires. Elles sont très peu contagieuses. Parmi elles figurent la tuberculose osseuse, ganglionnaire, uro-génitale, pleurale, méningée, séreuse, rénale, articulaire, cutanée…

    IV. PREMIERS DIAGNOSTICS ET TRAITEMENTS

    Le diagnostic stéthoscopique a été réalisé pour la première fois par le médecin français René Laennec (l’inventeur du stéthoscope) en 1819.

    En 1882, le chercheur allemand Robert Koch a isolé le bacille responsable de la maladie, Mycobacterium tuberculosis.

    Le premier sanatorium gratuit a été fondé en Allemagne, le 15 août 1892, à la suite des lois sociales de Bismark qui, le premier en Europe, a mis en place un système d’assurances contre la maladie (1883).

    En 1890, Koch a cru découvrir un traitement contre la tuberculose : la tuberculine. Mais les vaccinations à la tuberculine ont causé la mort de beaucoup de malades, et le discrédit de Koch. La tuberculine a ensuite été utilisée pour le diagnostic de la maladie.

    Robert Koch a eu le prix Nobel de médecine en 1905 pour la découverte du vecteur de la tuberculose.

    Ensuite, de nouvelles thérapies ont été utilisées, comme le pneumothorax thérapeutique (qui est un épanchement d’air dans la plèvre, la séreuse tapissant d’un côté la cage thoracique et de l’autre les poumons), utilisé jusqu’aux années 1950. Elles ont fait concurrence aux sanatoriums.

    Les rayons X, découverts en 1895 par Wilhelm Conrad Röntgen, ont permis le diagnostic de la maladie et le contrôle de son évolution d’une manière plus exacte que la méthode de René Laennec.

    En 1921, Albert Calmette et Camille Guérin ont essayé avec succès le premier vaccin contre la tuberculose, baptisé BCG. Cette découverte a permis de faire avancer considérablement les traitements antituberculeux.

    La streptomycine, découverte par Selman A. Waksman en 1943, a été le premier antibiotique utilisé contre la tuberculose.

    V. COMMENT UNE MALADIE MORTELLE PEUT-ELLE ETRE ROMANTIQUE ?

    La tuberculose tue beaucoup mais discrètement, car lentement et « proprement ». En effet, la personne malade n’est pas physiquement enlaidie. Ce serait même l’inverse : la maladie peut lui apporter une certaine beauté, un certain charme. Par exemple, elle devient pâle, s’amincit, son regard devient brillant et ses gestes, traduisant sa faiblesse, peuvent montrer une certaine grâce. L’aspect fragile, lascif, tout comme celui, passionné, de ses yeux à l’éclat fiévreux, contribuent à l’attrait que donne la consomption. Bien que cette apparence ne traduise pas la réalité, ni la gravité de la maladie, elle a influencé les artistes de l’époque, qui ont fait de la femme phtisique une véritable icône.

    1. Lien entre tuberculose et romantisme

    A propos de la tuberculose, on peut dire que :

    L’épidémie a atteint son apogée au XIXe siècle, à l’époque du Romantisme
    La maladie a notamment les symptômes suivant :
     Fatigue
     Perte de poids
     Perte d’appétit
     Fièvre
    Il n’y avait pas beaucoup de traitements à l’époque : l’issue était très souvent fatale…

    Ainsi, les symptômes de la tuberculose sont proches de ceux du « Mal de vivre », très répandu au XIXe siècle et qui constitue caractéristique du romantisme, et de ceux de la dépression, dont le « Mal de vivre » est proche.

    Les symptômes du « Mal de vivre » ou le « Mal du siècle » sont :

    Désillusion
    Insatisfaction
    Pessimisme
    Mélancolie (spleen)
    Désespoir
    Désir de mourir
    Autodestruction

    Et ceux de la dépression :

    Humeur dépressive
    Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir
    Troubles de l’alimentation
    Troubles du sommeil
    Agitation ou ralentissement psychomoteur
    Fatigue ou perte d’énergie
    Auto-dévalorisation ou sentiment de culpabilité excessive
    Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision
    Pensées morbides (dans 60 % des cas)
    Pensées suicidaires (dans 15 % des cas)

    Par ses symptômes, la tuberculose s’inscrit donc parfaitement dans le mouvement romantique.

    De plus, la passion, dont certaines manifestations physiques sont proches des symptômes de la tuberculose, est également caractéristique du romantisme.

    Georges Gusdorf, philosophe et épistémologue français né en 1912 et mort en 2000, a très bien exprimé le lien entre tuberculose et romantisme lorsqu’il a écrit, dans L’homme romantique, ouvrage paru en 1984, qu’« avec le romantisme, l’atteinte au poumon est considérée comme une maladie de l’âme. La mort des tuberculeux prend ainsi une dimension esthétique. C’est une mort magnifique ».

    VI. QUELQUES ARTISTES DU XIXe SIECLE VICTIMES DE LA TUBERCULOSE

    Frédéric Chopin, compositeur et pianiste franco-polonais mort en 1849

    Les sœurs Brontë :
     Anne Brontë, romancière britannique décédée en 1849
     Emily Jane Brontë, poétesse et romancière britannique décédée en 1848
     Charlotte Brontë, romancière britannique décédée en 1855

    Friedrich Von Schiller, poète et écrivain romantique allemand disparu en 1805

    Rachel (Elisabeth Rachel Félix), actrice de théâtre suisse éteinte en 1858

    Anton Tchekhov, nouvelliste et dramaturge russe mort en 1904


    VII. LA LITTERATURE ROMANTIQUE ET LES PHTISIQUES

    Les auteurs romantiques ont aimé mettre en scène des « poitrinaires », car ceux-ci étaient souvent des jeunes gens dont le destin était brisé par la maladie. Il s’agit surtout de femmes et ce n’est peut-être pas un hasard, car la tuberculose a tué plus de femmes que d’hommes pendant la majeure partie du XIXe siècle.

    Nous allons découvrir quelques héroïnes romantiques atteintes de tuberculose, comme Marguerite Gautier, La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils (1848), Madame de Beaumont issue des Mémoires d’Outre-tombe de François-René de Chateaubriand (1848) et Fantine, l’un des personnages les plus misérables parmi Les Misérables de Victor Hugo (1862). Puis, dans un genre plus réaliste, Francine, dans les Scènes de la vie de bohème de Henry Murger (1851).

    Après l’époque Romantique, d’autres romans ont décrit le destin tragique de personnages atteints de la tuberculose : Germinie Lacerteux (1865) et Madame Gervaisais (1869) d’Edmond et Jules de Goncourt et L’Aiglon d’Edmond Rostand (1900) en sont des exemples (non évoqués plus loin).

    1. La Dame aux Camélias, Alexandre Dumas fils, 1848

    La Dame aux camélias est un roman d’Alexandre Dumas fils publié en 1848.


    Il raconte l’histoire d’amour d’une courtisane atteinte de la tuberculose, Marguerite Gautier et d’un jeune bourgeois, Armand Duval. Il s’agit d’un récit dans le récit, puisqu’Armand Duval narre son aventure au narrateur initial du roman.

    Amoureux de Marguerite, Armand devient son amant et la convainc de renoncer à sa vie de courtisane pour venir habiter à la campagne avec lui. L’idylle est rompue quand le père d’Armand, soucieux de la réputation de sa famille, obtient de Marguerite qu’elle renonce à son fils. Ce dernier croit alors qu’elle n’était pas amoureuse de lui et qu’elle a un nouvel amant. Lorsqu’il comprend la tragique vérité, il se rend chez elle et arrive juste à temps pour recueillir ses derniers soupirs.

    Le roman est inspiré d’un fait divers réel : l’amour d’Agénor de Gramont (1819-1880), duc de Guiche, futur ministre des Affaires étrangères de Napoléon III, pour la courtisane Marie Duplessis. Dans les faits, un oncle du jeune homme intervint pour mettre un terme à cette liaison jugée scandaleuse. Agénor de Gramont fut envoyé pour quelque temps à Londres, où il oublia Marie Duplessis. Celle-ci se maria avec le comte Édouard de Perrégaux et mourut de phtisie en février 1847.

    Le roman a fait l’objet de nombreuses adaptations (ballet, opéra, théâtre, cinéma). On peut citer notamment le célèbre opéra de Giuseppe Verdi, La Traviata (1853). Au cinéma, de nombreuses adaptations ont été réalisées, dont Le Roman de Marguerite Gautier (Camille) de George Cukor, avec Greta Garbo et Robert Taylor (1936) et même Moulin Rouge, une adaptation libre de Baz Luhrmann, avec Nicole Kidman et Ewan Mc Gregor (2001).

    Voici la description qu’Alexandre Dumas fils fait de Marguerite dans son roman :

    « Or, il était impossible de voir une plus charmante beauté que celle de Marguerite.
    Grande et mince jusqu’à l’exagération, elle possédait au suprême degré l’art de faire disparaître cet oubli de la nature par le simple arrangement des choses qu’elle revêtait. Son cachemire, dont la pointe touchait à terre, laissait échapper de chaque côté les larges volants d’une robe de soie, et l’épais manchon qui cachait ses mains et qu’elle appuyait contre sa poitrine, était entouré de plis si habilement ménagés, que l’œil n’avait rien à redire, si exigeant qu’il fut, au contour des lignes.
    La tête, une merveille, était l’objet d’une coquetterie particulière. Elle était toute petite, et sa mère, comme dirait De Musset, semblait l’avoir faite ainsi pour la faire avec soin.
    Dans un ovale d’une grâce indescriptible, mettez des yeux noirs surmontés de sourcils d’un arc si pur qu’il semblait peint ; voilez ces yeux de grands cils qui, lorsqu’ils s’abaissaient, jetaient de l’ombre sur la teinte rose des joues ; tracez un nez fin, droit, spirituel, aux narines un peu ouvertes par une aspiration ardente vers la vie sensuelle ; dessinez une bouche régulière, dont les lèvres s’ouvraient gracieusement sur des dents blanches comme du lait ; colorez la peau de ce velouté qui couvre les pêches qu’aucune main n’a touchées, et vous aurez l’ensemble de cette charmante tête.
    Les cheveux noirs comme du jais, ondés naturellement ou non, s’ouvraient sur le front en deux larges bandeaux, et se perdaient derrière la tête, en laissant voir un bout des oreilles, auxquelles brillaient deux diamants d’une valeur de quatre à cinq mille francs chacun.
    Comment sa vie ardente laissait-elle au visage de Marguerite l’expression virginale, enfantine même qui le caractérisait, c’est ce que nous sommes forcés de constater sans le comprendre. »


    2. Mémoires d’Outre-tombe, François-René de Chateaubriand, 1848

    Grâce à son roman René, publié en 1802, Chateaubriand est devenu un modèle pour les auteurs romantiques.

    L’auteur a décidé d’écrire ses Mémoires après la mort de Madame de Beaumont, c’est-à-dire en 1803. Celle-ci est morte de la tuberculose. Les Mémoires d’Outre-tombe sont parues en 1848, après la mort de leur auteur.


    Chateaubriand la décrit ainsi :

    « Madame de Beaumont, plutôt mal que bien de figure est fort ressemblante dans un portrait fait par madame Lebrun. Son visage était amaigri et pâle ; ses yeux, coupés en amande, auraient peut-être jeté trop d’éclat, si une suavité extraordinaire n’eût éteint à demi ses regards en les faisant briller languissamment, comme un rayon de lumière s’adoucit en traversant le cristal de l’eau. Son caractère avait une sorte de raideur et d’impatience qui tenait à la force de ses sentiments et au mal intérieur qu’elle éprouvait. Ame élevée, courage grand, elle était née pour le monde d’où son esprit s’était retiré par choix et malheur ; mais quand une voix amie appelait au dehors cette intelligence solitaire, elle venait et vous disait quelques paroles du ciel. L’extrême faiblesse de madame de Beaumont rendait son expression lente, et cette lenteur touchait ; je n’ai connu cette femme affligée qu’au moment de sa fuite ; elle était déjà frappée de mort, et je me consacrai à ses douleurs. »

    3. Les Misérables, Victor Hugo, 1862

    Les Misérables, roman de Victor Hugo paru en 1862, est l’une des œuvres les plus populaires de la littérature française. C’est un roman historique, social et philosophique dans lequel on retrouve les idéaux du romantisme et ceux de Victor Hugo.

    Le destin tragique de Fantine ouvre le roman (tome 1).

    À Paris, Fantine est la maîtresse d’un riche et volage étudiant, Thomolyès, qui l’abandonne. Elle donne naissance à une fille : Cosette. En route pour Montreuil-sur-Mer, sa ville natale, elle est contrainte de laisser sa fille en garde chez des aubergistes de Montfermeil, les Thénardier, afin de pouvoir trouver du travail.

    Malheureusement, les Thénardier, des individus peu recommandables, vont utiliser les moyens les plus sordides pour soutirer le plus d’argent à Fantine, prétextant des maladies de Cosette qui nécessiteraient des soins et des médicaments coûteux. Dans la réalité, ils ont fait de Cosette leur servante et la brutalisent. Fantine va s’épuiser à ne vivre que pour sa fille et, lorsqu’elle perdra son travail, durant les derniers mois de sa vie, elle vendra tout ce qu’elle a, y compris ses dents et ses cheveux. Enfin, à bout de ressources, elle se fait fille publique.

    À la suite d’un incident dont elle n’est pas responsable, l’intransigeant inspecteur de police Javert l’arrête et veut l’incarcérer. Le maire de Montreuil, monsieur Madeleine (alias Jean Valjean), s’oppose à son emprisonnement et la prend sous sa protection, car elle est gravement malade. Il lui promet de lui ramener Cosette. Malheureusement, Fantine mourra sans avoir revu sa fille.

    La fosse publique reçoit la fille publique…

    La maladie est symboliquement associée à la maternité : « Fantine avait nourri sa fille ; cela lui avait fatigué la poitrine et elle toussait un peu ».

    « La phtisie sociale s’appelle misère »

    4. Scènes de la vie de bohème, Henry Murger, 1851

    Henry Murger (1822-1861) passe sa jeunesse parmi les « Buveurs d’Eau », un groupe d’artistes-bohémiens du Quartier Latin que fréquentera notamment le photographe Nadar. En 1851, il publie les Scènes de la vie de bohème, un feuilleton de l’École Réaliste dans lequel il met en scène ses amis, sous des noms les masquant à peine. Le compositeur italien Giacomo Puccini en tirera son fameux opéra, La Bohème, en 1896.

    L’une des « scènes » raconte l’histoire d’amour entre Francine, atteinte de tuberculose, et Jacques, un artiste. Celle-ci minimise la gravité de sa maladie afin de passer les derniers temps qu’il lui reste à vivre le plus joyeusement possible avec l’homme qu’elle aime. Après sa mort, Jacques sera incapable d’achever une seule œuvre d’art.

    Voici quelques passages de l’œuvre :

    « Elle rencontra Jacques et elle l’aima. Leur liaison dura six mois. Ils s’étaient pris au printemps, ils se quittèrent à l’automne. Francine était poitrinaire, elle le savait, et son ami Jacques le savait aussi : quinze jours après s’être mis avec la jeune fille, il l’avait appris d’un de ses amis qui était médecin.
    Elle s’en ira aux feuilles jaunes, avait dit celui-ci.
    Francine avait entendu cette confidence, et s’aperçut du désespoir qu’elle causait à son ami.
    - Qu’importent les feuilles jaunes ? Lui disait-elle, en mettant tout son amour dans un sourire ; qu’importe l’automne, nous sommes en été et les feuilles sont vertes : profitons-en, mon ami… »

    « … nous irons demeurer dans un bois de sapins : les feuilles sont toujours vertes »

    « C’était le matin du jour de la toussaint, Francine venait de mourir. »

    VIII. CONCLUSION

    Par ses symptômes, à la fois proches du « Mal de vivre » et de la passion, ainsi que par son issue fatale et sa manière de tuer « proprement »,

    en embellissant, la tuberculose est la maladie idéale selon les artistes romantiques du XIXe siècle.

    Jamais, probablement, une maladie n’a à ce point

    représenté les idéaux d’une époque.

    Georges Gusdorf a écrit, dans L’homme romantique, que

    « les romantiques vieillissent mal, et sans doute les romantiques les plus authentiques sont-ils ceux qui ne vieillissent pas.

    La solution est de mourir jeune.

    La tuberculose, la consomption, maladie romantique par excellence, propose une issue radicale ;

    le poète jette son cri, et la maladie même atteste que l’existence, en sa banalité, a quelque chose d’insupportable ».

    IX. SOURCES

     http://arcaneslyriques.centerblog.net/2788281-La-tuberculose--maladie-romantique-du-19eme-siecle

     

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