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    I ❤JAPAN 日本

     

    La signification du terme « geisha »  (芸者)  renvoie à une 

     

    « personne exerçant les arts ». 

     

     

     

     

    Leur origine remonte au  XVIIème siècle au moins.

     

    Leur fonction n’a d’autre objectif que celui de servir et divertir une clientèle aisée par la conversation, les arts et le jeu. 

     

    Il est donc établi qu’une « Geisha » ne se livre pas à la prostitution. 

     

    On estime au jour d'aujourd'hui le nombre de Geisha à moins de 15 000. 

     

    Chaque grand parti politique entretient un certains nombres de Geisha.

     

     

    Un peu d’Histoire…

     

    Il est possible de trouver trace de l’existence de « Geisha » dès le XVème siècle. Elles sont alors considérées, comme aujourd’hui comme un exemple d’élégance et de bienséance. 

     

    Avant elles leur avaient précédés les « taikomochi » (太鼓持), hōkan (幇間),

     ou « otoko-geisha ». 

     

    Les « taikomochi », ou « otoko-geisha » étaient à l’origine (vers le XIIIème siècle) des hommes en charge de servir les Daimyô (seigneur) avant d’évoluer (plus tardivement) vers le « badinage » et la distraction du public. 

     

     

     

    Le rôle qu’occupaient ces hommes échoit avec le temps aux femmes, c’est ainsi que vont naître les premières Geisha.

    Elles se nomment alors « onna-geisha ».

     

    L’apprentissage.

     

    Devenir  « geisha » est un enseignement long et difficile. 

     

    C’est aujourd’hui une démarche volontaire de la part de certaines jeunes filles de suivre l’enseignement conduisant au métier de « Geisha ». 

     

     

    Historiquement, certaines familles modestes vendaient leurs enfants à des maisons de Geisha «okiya» (置屋). 

     

    Ces maisons veillaient alors à l’éducation, au gîte et au couvert ces enfants.

     

    Une stricte éducation commençait alors sous la direction d’une « matrone » (Okaasan).

     

     

     

    - Shikomi

     

     Au début de leur formation les jeunes filles sont astreintes à de lourdes taches ménagères.

    Les plus jeunes étant plus corvéables que les ainées. 

     

    Elles sont au service des Geisha. 

     

    Cette phase et supposée briser et former la futur apprentie Geisha.

    Cette étape, autrefois assez longue, existe encore aujourd’hui mais n’excède pas quelques mois.

     

     

    - Minarai

     

     Après avoir fait montre de certains talents (notamment en dance) lors d’un examen de passage, les nominées deviennent des Minarai.

     

    Elles sont relevées de leurs tâches ménagères et suivent une instruction plus artistique.

     

     Les Minarai sont souvent rattachées à une maison de thé elles apprennent notamment la cérémonie du thé… 

     

    Au terme de la courte formation de Minarai, elles deviennent des Maiko (apprentie Geisha). Le terme de « Maiko » est propre à Kyôtô à Tokyô (anciennement Edo) on lui préfère le terme de « hangyoku » ou de « oshaku ».

     

    Lors de cette période d’apprentissage la Maiko est assignée à une Geisha qui lui transmettra son savoir et ses connaissances.

    La relation ainée/apprentie 

     

    (onee-san/imôto-san) est une facette importante de l’éduction de la Maiko. C’est de son ainée que la Maiko apprendra l’art de la conversation, perfectionnera sa dance, et sa façon de jouer du Shamisen du shakuhachi. 

     

    C’est son ainée qui l’aidera sans doute à trouver son nom de Geisha et trouvant les Kanji appropriés au regard de son nom et ses qualités. 

     

    L’apprentissage des Maiko est aujourd’hui largement plus court qu’au début du siècle.

     

    - Geisha

     

     La Maiko ne devient « Geisha » (Geiko   "芸妓"  à Kyôto) ou encore « ippon » qu’au terme d’un examen sanctionnant sa maîtrise d’un ensemble de matières artistiques (musique, danse…) et de la cérémonie du « mizu-age ». 

     

    Cette cérémonie ne pouvait se tenir que si la Geisha en charge du suivi et de la formation de la Maiko, estimait son élève  devenue apte. En devenant Geisha les vêtements et la coiffure de la Maiko vont changer.

     

    « Mizu-age » (水揚げ) signifie défloraison. Cette cérémonie est éminemment symbolique et marque le passage de l’état d’apprentie à celui de « Geisha ». Lors de cette cérémonie la virginité de l’apprentie geisha est mise à prix.

     

    Un « parrain » pouvait alors déboursée une importante somme d’argent afin d’acheté cette virginité. Dans les faits cet achat n’impliquait pas nécessairement  des relations sexuelles. Au cours de cette cérémonie le chignon porté par la Maiko est coupé. Il s’ensuit une fête en l’honneur de   la nouvelle Geisha.

     

    - Tôkyô/ Kyôto deux écoles.

     

    L’apprentissage des Geisha à la réputation d’être plus aisée à   Tôkyô   qu’à   Kyôto. Encore aujourd’hui certain maison de Geisha (Okiya) dispensent le même enseignement traditionnel à ses pensionnaires qu’au début du siècle. La formation des Geisha de Tôkyô est plus courte que celle de Kyôto.

     

     Etonnement, les Geisha de Tôkyô ont la réputation d’être plus âgée que celle de Kyôto. De même les Geisha de Tôkyô passent pour être plus effrontées que celles de Kyôto, qui mettent en avant leur « modestie » et un caractère plus  réservé.

     

    - Les maisons de Geisha (okiya).

     

    Les okiya (置屋) sont situés dans un quartier généralement nommé hanamachi (ville des fleurs -  花街) ou kagai (à Kyôto). Les quartiers nommés hanamachi sont les quartiers de Gion (Gion Higashi et Gion Kobu), Kamishichiken (上七軒), Miyagawachō (宮川町), Pontochō (先斗町) et Shimabara (嶋原) à  Kyôto.

     

    A  Tôkyô les quartiers accueillant les okiya sont les quartiers de Akasaka (赤坂), Asakusa (浅草), Kagurazaka (神楽坂), Mukôjima, Shinbashi (新橋),  Yoshichō.

     

    A  Osaka les okiya sont situés dans les quartiers Kita Shinchi, Minami Shinchi et Shinmachi (新町).

     

    Les Oyiya sont entièrement gérés par des femmes. A leur tête l’ « Okaasan » veille au respect de la discipline et au bien être de ses pensionnaires. Ces pensionnaires sont des femmes exclusivement célibataires. Si l’une d’entre elles désirent se marier, elle devra « démissionner » et quitter l’établissement. 

     

    L’ensemble des taches à l’intérieur de l’Okiya sont attribuées en fonction de la position hiérarchique et l’ancienneté dans l’établissement.

     

     L’entretient de la maison est financièrement assuré par une quote-part prélevé sur gages des « Geisha » en exercice. 

     

    De même, les domestiques et les « Geisha » retirés de la vie active sont entretenus sur les gages des « Geisha » en exercice.

     

     Les gages de la Geisha sont fonctions de ses qualités, donc de sa réputation, de son expérience et de la durée de sa prestation. Autrefois, la rémunération versée était fonction du nombre de bâtons d'encens consommés. 

     

    Chaque bâton ayant, selon la Geisha, une équivalence monétaire plus ou moins importante.

     

    - Le maquillage.

     

    Le maquillage de la Geisha va évoluer avec son expérience. Lors de son apprentissage la Maiko est lourdement fardé. Lors de son intronisation comme Geisha, le maquillage change pour devenir plus sobre. 

     

    Ce changement n’est pas anodin, il marque la maturité acquise par l’ancienne apprentie et souligne sa beauté sans artifices. 

     

     L’apprentie Geisha (Maiko) à un maquillage assez distinctif. Le visage est maculé de blanc, la lèvre inférieure est pour partie empourprée, la lèvre supérieure laissée blanche et les sourcils rehaussés de noirs. Au début de leur apprentissage, certaines Maiko se noircissent les dents. 

     

    Cette pratique se nommait  « ohaguro » (お歯黒).  Lors de son apprentissage la Maiko se fait aider de sa "grande sœur" (onee-san) une Geisha plus expérimenté lui servant de tuteur.

     

    Les Geisha ne sont pas nécessairement fardées de blanc. Certaines danses ou événements impliquent néanmoins que la geisha soit nécessairement ainsi maquillée. 

     

    Les lèvres. Dans sa première année de formation la Maiko (apprentie geisha), pour partie, se colore de rouge la lèvre du bas. 

     

    La lèvre du haut est ainsi laissée en blanc. Passé la première année de formation  la lèvre du haut vient aussi à être, en partie, rougie. Le maquillage des lèvre va encore évoluer lorsque la Maiko sera admise Geisha. 

     

    C'est ainsi que, dans ses premières années,  seule la lèvre du haut   de la Geisha est maquillée tandis que celle du bas reste blanche. 

     

    La fraîcheur des premières années terminée la plupart des Geisha modifient le maquillage des lèvres. La lèvre du haut est alors souvent complètement empourprée tandis que la lèvre inférieure est surlignée au crayon, sans que le trait suive la courbure de la lèvre.

     

    Le fond de teint de couleur blanc était à l’origine composé de plomb. Engendrant de graves problèmes de santé, celui-ci fut remplacé par un maquillage élaboré à base de poudre de riz. 

     

    La poudre est alors mélangé à de l’eau jusqu’à former une pâte. Cette pâte est ensuite appliquée sur le visage préalablement enduit d’huile ou de cire. Afin de  lui donner un aspect plus  lisse et uniforme, on utilise une petite éponge.

     

    Le fond de teint recouvre le visage, le haut du torse, la nuque et le haut du dos. Seul un emplacement, situé au niveau de la nuque à la racine des cheveux, est laissé vierge de tout maquillage. Cette « espace » sans maquillage prend la forme d’un « V » ou plus souvent d’un « W ». Il est laissé ainsi pour accentuer la charge « érotique » de la Geisha. 

     

     Afin de protéger le Kimono, le fond de teint est appliqué avant que celui-ci soit revêtu.

     

    - Tenue vestimentaire.

     

    Pratique de l'éventail par une geisha - Japon - Kanazawa.Maiko (apprentie Geigha) et Geisha portent le kimono. L’ensemble des règles vestimentaires applicables au kimono reste applicable aux Maiko et aux Geisha (pour en savoir plus cliquer ici). Le kimono des Maiko est particulièrement coloré.

     

    Le Obi servant de ceinture est toujours d’une couleur plus clair que le kimono. Le nœud maintenant l’obi en place est assez spectaculaire. Ce type de nœud se nomme « darari ».  

     

    La Maiko chausse un type de sandales en bois nommé « okobo » à l’extérieur et des tabi (chaussette au gros orteil séparé). Les lanière des "okobo" sont rouge pour les toutes jeunes Maiko et jaune pour les Maiko plus expérimentées.

     

     Les Geisha arborent des kimonos aux dessins simples et aux couleurs plus sobres. L’obi, toujours plus clair que le kimono, est noué simplement sans extravagance.   Dans certaines occasions il est possible que la geisha revête un kimono plus coloré et plus long nommé "Susohiki".    

     

    Les Geisha portent, en fonction des conditions météorologiques, des « Zôri » ou des « Geta » pour l’extérieur et des tabi en intérieur.

     

    Couleurs et dessins du kimono changeront régulièrement au rythme des saisons et des événements. Le col des kimonos change selon le niveau d’apprentissage de la Geisha. 

     

    Le col du kimono de la Maiko est rouge et blanc rehaussé d’or et/ou d’argent celui des Geisha est entièrement blanc. 

     

    Pour les cérémonie les plus importante, il est possible que l'"okiya" (maison de geisha) prête à ses pensionnaires geisha, un kimono frappé du blason   "mon" (紋) de la maison. Le blason est placé à 5 endroits (sur chaque manche, au devant de chaque épaule et au milieu du dos). 

     

    Ces kimonos sont de type  Kurotomesode (黒留袖). cela signifie qu'il sont noir uni, les seul motifs autorisés se trouvant sous ou au niveau des hanches.

     

    - Shimada, la coiffure des GeishaCoiffure.

     

    Aujourd’hui les Geisha portent le plus souvent des perruques. En revanche les coiffures des Maiko sont élaborées à partir des leur propre cheveux. La maîtrise de ce type de coiffure est aujourd’hui un art moribond. 

     

    Autrefois, afin de préserver la coiffure intacte, les Geiha étaient entraînées à dormir sur un repose nuque sans bouger.

     

     

     

    La coiffure des Geisha à évolué selon les époques. Depuis le XVIIème siècle, les cheveux sont relevés pour former une sorte de chignon nommé "shimada" (voir photo ci-contre).

     

     On distingue au moins 4 types de shimada : le « shimada » porté par les jeunes femmes célibataires, le « tsubushi shimada » moins haut, il est porté par les femmes plus âgées, le « uiwata » agrémenté de tissu, et un « shimada » ressemblant à une pêche qui et exclusivement porté par les Maiko. 

     

     Ces coiffures sont ornées de peigne et d’épingles à cheveux (Kanzashi - (簪)) très élaborées dont les couleurs et les thèmes varient selon les saison, les mois et les occasions. Pour avoir un aperçu des  Kanzashi, Ce que les Geisha ne sont pas.

     Il est une (fausse) idée largement répandue selon laquelle les Geisha se livreraient à  la prostitution. 

     

     

    Les Geisha n’offrent pas ce type de service et encore moins contre une somme d’argent.

     

    Elles ne sont la que pour divertir leur clientèle par la musique, le chant, la poésie, la danse et des conversations légères.

     

    La clientèle se satisfait de ces moments et du plaisir de ce qu’elle ne peut avoir. 

     

    Les Geisha peuvent entretenir des relations plus intimes avec certains de leurs clients.

     

     

    Ces relations lui sont alors purement personnels, ne sont pas obligatoires, ne font pas partie de leur prestation et ne sont pas conditionnées au paiement d’une somme d’argent. 

     

    La confusion viendrait notamment de la pratique de certaines courtisanes nommées Oiran (花魁). Ce mot était originellement utilisé uniquement dans l'univers des Geisha pour viser les Geisha expérimentées.

     

    Le terme fut par la suite galvaudé pour finalement désigner des courtisanes «yûjo». Les Oiran était néanmoins des courtisanes particulières. Elles possédaient en effet un très haut niveau d'éducation et de culture.  

     

    De haut rang, ces courtisanes de luxe,

    à l'instar des Geisha, revêtaient le kimono. 

     

     

     

    La seule chose permettant de distinguer visuellement Geisha et Oiran était le Obi (large bande de tissu formant un nœud et servant de ceinture). Alors que les Geisha portent classiquement le Obi sur l’arrière du kimono, les Oiran le portent sur l’avant.

     

     Sous l’ère Edo, les Oiran pouvait pratiquer leur métier sous réserve de s’être préalablement enregistrées et d’avoir obtenu une autorisation. 

     

    A contrario, durant cette même période, les Geisha ne pouvaient « normalement » par obtenir ce type d’autorisation et il leur était fait interdiction d’avoir quelconque relation intime. 

     

     Un autre facteur à sans doute contribué à la confusion des genres. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le Japon occupé par l’armée américaine voit se développer le phénomène des « Geesha girls ». 

     

    Le terme « Geesha » vient de la déformation de la prononciation du terme 

    « Geisha ». 

     

    Les « Geesha » qui se livrent à la prostitution, s’habillent et se maquillent comme les « Geisha ». 

     

    Ce mimétisme avait sans-doute un caractère exotique pour la soldatesque occupante.

     

    La plupart des "Geisha" que les touristes aperçoivent dans les rues ne sont la plupart du temps que des femmes prenant l'apparence de Geisha pour notamment divertir certains touristes. 

     

    Certains prestataires leur  offre même la possibilité de se farder et de s'habiller comme des Geisha.

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • Concrètement, avant le moyen-âge, c’était les romains. Les mecs bien coiffés, pas un poil au menton. La grande classe. Puis après, il y a eu les invasions barbares, avec les peuples germaniques, les francs, les wisigoths. C’est un autre style, genre barbouse et longue crinière de feu. Et pour les meufs, une longue tignasse. Cette mode va envahir le territoire, et au fur et à mesure que les siècles passent, on travaille les différentes coiffures.

     Les cheveux au fil des siècles

    Les peuples germaniques, ils ne rigolent pas avec leurs cheveux. Ils établissent même les hiérarchies militaires avec la tignasse. Plus tu as les cheveux longs, plus tu es gradé. Les mecs ils se nouent aussi les cheveux sur le dessus de la tête pour avoir l’air plus grands, et au contraire, les esclaves et les prisonniers sont totalement rasés, en signe de soumission. Les femmes, elles, sont majoritairement blondes, un idéal veut que les cheveux soient ondulés. 

    La fin du Vème siècle

    Les mérovingiens portent les cheveux très longs, surtout les Rois. Et quand ils voient que ça marche mal pour eux, ils rasent leurs adversaires. C’est souvent le cas des descendants qui kifferaient bien monter sur le trône. Uns fois les cheveux coupés, ils sont à tout jamais bannis du pouvoir. Les cheveux rasés sont un signe de soumission, c’est le cas des moines catholiques qui utilisent la tonsure. Tu sais le trou parfaitement rond sur leur haut de crane ? Bin voilà, c’est pour prouver leur soumission à Dieu et effacer leur péchés. En plus, le rond rappelle les auréoles saintes. Au cas où ils oublieraient ce pourquoi ils sont là. 

    Clodion Ier (390-450) est appelé le chevelu car il avait les cheveux encore plus longs que ces prédécesseurs.

     Entre le VIème et le XIème siècle

    La mode est aux grands fronts et aux cheveux très longs pour les femmes. Le problème de la mode, c’est qu’il y a toujours des dérives. Les meufs se rasent les bords du front pour qu’il soit plus grand. Mais est-ce beaucoup plus con que de s’épiler les sourcils ? Je ne pense pas. Dans tous les cas, on orne le front de couronne de fleurs, de pierres précieuses, et ça rend très bien avec des cheveux tressés.

    Aussi, les cheveux ont un caractère très érotique, donc si tu les laisses détacher, tu peux vite passer pour une chaudasse, une allumeuse, alors les femmes mariées les recouvrent d’un voile. La crinière de l’épouse devient alors la propriété de l’époux…

     

    « Toute femme qui prie sans avoir la tête voilée déshonore sa tête » Saint Paul, Première Épître aux Corinthiens, XI, 5). Mais oui.

    Aux XIIIème et XIVème siècles

    La coiffure en vogue est de faire deux tresses de chaque coté de la tête et de les faire se rejoindre sur le dessus du crane. On les attache alors avec des fils d’or ou de soie. Et on est à la pointe de la mode. Mais il existe plein d’autres coiffures. Vu que je suis vraiment très sympa, les voici. Si tu cliques sur le nom, tu as une illustration. La magie d’internet ! Truffau et barbettele voilela guimpela barbettele voile et la barbette, et ci-dessous, un hennin. Un bonnet pointu quoi. Avec un voile plus ou moins long. S’il touche le sol, la femme est reine ou princesse, aux pieds c’est une femme de chevalier, à la ceinture c’est de la simple bourgeoise.

    Les soins

     Se laver les cheveux

    Pour laver des cheveux, il n’y a pas dix mille solutions, soit tu les laves avec de l’eau et du savon, soit tu les nettoies à sec, avec de la poudre d’iris. La poudre d’iris est reconnue pour parfumer, mais aussi pour absorber l’excès de sébum. Le principe est le même que n’importe quel shampoing sec que tu trouves à Carrefour, sauf qu’il est bien plus naturel et bien moins agressif pour ton crane. Tu appliques donc de la poudre d’iris sur ta crinière, tu masses, tu masses et tu enlèves la poudre en trop avec un peigne. Rien de plus simple.

    Aussi, pour se débarrasser des pellicules, on utilise du jus de fleurs de genêt avec du vinaigre.

    En ce qui concerne les poux, on faisait pas grand chose en fait… L’épouillage, oui. Entre amoureux, mère et fille, ou bonniche et maîtresse. De manière générale, le pou avait bonne réputation, il permettait de se libérer du mauvais sang et d’éloigner les démons.

    Mais bon… ça démange…

     Se coiffer

    La brosse à cheveux n’existe pas, en revanche, le peigne oui. Il est souvent en bois, parfois en corne ou en os et ses dents sont plus ou moins espacées. Comme aujourd’hui, en fait. Les cheveux des femmes (surtout) étant très longs, c’est toujours un peu lent et chiant pour démêler le tout, du coup, on ruse. On fait des tresses ou des chignons pour limiter les nœuds. Porter un voile ou une coiffe en tissus permet de les protéger de la poussière et donc de les laver moins souvent #Astuce.

     Les artifices

    Vous le savez, l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Aussi, les personnes brunes veulent avoir les cheveux clairs et les blondes veulent être brune. C’est une constante, l’humain est tellement prévisible. Il existe différentes méthodes pour modifier la couleur de ses cheveux. Voici quelques recettes.

    La décoloration

    Ah la décoloration, alors pour un blond de Cagole des plus parfaits, tu peux utiliser ton pipi. Ou celui de n’importe qui. Tu laisses reposer un bon litre d’urine quelques jours, et hop, tu as de l’ammoniac ! On utilise cette méthode en Italie et tout particulièrement à Venise. C’est d’ailleurs de cette technique que vient le nom du « blond vénitien ».

    Autre recette, du XIIIème siècle. Elle est tirée de l’Ornatus Mulierum. Je te la détaille.

    Il te faut faire bouillir la coque d’une noix avec de l’écorce de noyer. Ensuite, tu rajoutes dans l’eau de l’alun et des pommes de chêne. Et là tu te laves les cheveux comme d’habitude. Tu les essores et tu les enduis de ta mixture. Tu saupoudres le tout de safran, sang-dragon ou henné. Et là, tu laisses reposer 48h, puis tu rinces à l’eau chaude. Faut l’avouer, c’est un peu contraignant. Il te faut avoir une semaine juste pour tes cheveux quoi…

    Les colorations

    Pour les personnes blondes, ou celles qui ont plein de cheveux blancs alors qu’elles sont jeunes et fraîches (genre moi), il existe aussi des recettes plus ou moins miracles. Surtout moins.

    Pour avoir des cheveux châtains, on a besoin de noix de galle torréfiées et de feuilles de noyer que l’on fait bouillir. Et puis tu te laves les cheveux avec ça.

    Si tu veux avoir des cheveux vraiment noirs, il faut de la rouille de fer, des noix de galle, de l’alun et faire bouillir le tout dans du vinaigre et te laver les cheveux avec. Le mieux c’est de ne rincer qu’au bout de deux ou trois jours, comme ça, ça marque bien.

    Autre petite recette sympathique, ma préférée. Il faut fabriquer une petite mixture avec un petit lézard auquel tu as enlevé la tête et la queue et que tu as fait revenir dans l’huile. Tu prends des pommes de chêne et tu les fais frire. Ensuite tu mélanges le tout avec du vinaigre et tu laisses reposer quelques heures sur ta crinière.

    Tout ça alors que les cheveux sont presque toujours planqués sous quelques tissus…

    Recette bonus

    Pour favoriser la croissance des cheveux.

    Il te faut faire chauffer du pain d’orge, du sel, et de la graisse d’ours. Le cheveu deviendra plus gros et prendra une texture consistante en l’enduisant d’un mélange d’écorce d’orme, d’aigremoine, de racines de saule, et d’huile de graines de lin. Il faut cuire tout ça dans du lait de chèvre, laver et raser la partie que tu veux faire pousser, et puis tu enduis et tu rinces.

    Et si ça marche pas, bin… tu peux essayer de le transformer en dentifrice.

    sources /

    http://www.racontemoilhistoire.com/2015/03/02/coiffures-shampoing-moyen-age/

     

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    A Paris, l’Eglise catholique exploitait 3000 bordels

    et 40 000 prostituées :

    mères célibataires, vierges violées, veuves ou répudiées

     

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    « On ne peut traverser le pont d’Avignon sans rencontrer deux moines, deux ânes et deux putains. » 

     

    Ce célèbre adage médiéval témoigne de la vitalité du « plus vieux métier du monde » dans la cité des papes. Mais bien d’autres villes de France peuvent se targuer d’une telle réputation. S’il est certain que l’Église et l’État exploitaient les bordels et prostituées déclarées, rien n’atteste qu’ils géraient la totalité des 3000 bordels parisiens du 15e siècle, et des 40 000 prostituées parisiennes du 18e siècle, pour la plupart clandestines.

     

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    BIBLIOGRAPHIE :

    • Jacques Rossiaud, La prostitution Médiévale, édition Flammarion 1988
    • Brigitte Rochelandet, Histoire de la prostitution du Moyen Age au XX° siècle, édition Cabédita 2007
    • Séverine Fargette travaille sur le thème « Violence, justice et société en France au Moyen Age ». Elle prépare une thèse sur le conflit entre armagnacs et bourguignons (1407-1420).
    • Erica-Marie Benabou, « La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle »
    • Charles Jérôme Lecour, « La Prostitution à Paris et à Londres »
    • Alexandre Parent du Châtelet, De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration : ouvrage appuyé de documents statistiques puisés dans les archives de la Préfecture de police
    • Jean-Marc Berlière, La police des mœurs sous la IIIe République. Limites et réalités d’une « Police Républicaine »

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    Les causes anthropologiques

    L’Église contrôle la sexualité pour garantir des héritiers légitimes

    Le Moyen-âge s’étend sur près d’un millénaire, de 476 (chute de Rome) à 1453 (fin de la guerre de Cent-Ans). Compte tenu du rôle de l’Église dans la prostitution, il est utile de marquer son début en France avec la conversion chrétienne (496) de Clovis, roi des Francs. Ce baptême marque en effet le début du lien entre le clergé et la monarchie française, dorénavant le souverain règne au nom de Dieu et seuls ses descendants légitimes (fils conçus dans le mariage) peuvent accéder au trône. La légitimité passe par la foi catholique et par les liens sacrés du mariage (seul garant de la reconnaissance de paternité).

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    On remarquera qu’au Vatican, l’âge du mariage est aujourd’hui encore de 14 ans pour les filles, il était de 12 ans jusqu’au début du XXe siècle. 

     

    Fort de l’autorité divine, le clergé catholique se donne comme mission sociale

    de réglementer la sexualité (virginité & chasteté).

     

    Cette réglementation se colore à la fois du rôle sexuel pervers attribué à la femme dans la chute biblique de l’homme (la pomme d’Ève) et d’une application confrontée aux débauches et contingences de l’époque (la paternité n’est plus garantie). Inutile de dire que la prostitution n’a officiellement pas droit de cité.

    Lire Le serpent de la tentation, compagnon de la Déesse-Mère primordiale

    En croisade contre le sexe

    Durant ce millénaire, pas moins de 25 conciles, dont quatre des conciles du Latran, vont en effet exiger la chasteté avant le mariage, condamner le plaisir sexuel et interdire les positions qui ne servent pas uniquement à la procréation.

     

    Toutefois, malgré les nombreux interdits et exigences de l’Église, tous les actes sexuels illicites se pratiquent, et pas toujours en cachette, loin de là! Ainsi en est-il de la prostitution, une pratique hautement dénigrée par l’Église, et pourtant répandue à travers toute la France, y compris par les bons offices des religieux et religieuses, avec le soutien dévoué de la noblesse…

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    Pour prévenir les viols collectifs

    Le terme « viol » n’apparaît qu’au XVIII° siècle. Avant on parle d’efforcement ou de défloration si le viol a lieu sur une femme vierge. Le viol est très courant à l’époque médiévale, cependant peu de plaintes sont à noter : peur des représailles, honte sur la famille… Ces viols sont le fait des jeunes hommes.

     

    En bande, ces jeunes citadins « chassent la garce ».

     

    On les appelle les « hommes joyeux ».

    L’affirmation de la virilité entraîne fréquemment un déchaînement de violence et se traduit par des viols collectifs commis sur des femmes isolées et faibles, réputées communes. Soucieuses d’éviter ces dérapages, les autorités encouragent l’essor d’une prostitution officielle.

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    La prostitution est un phénomène de sécurité publique et donne satisfaction aux pulsions les plus enfouies. Comme certains le disent, la prostitution est un mal nécessaire.

     

    Les prostituées ont une responsabilité sociale : 

     

    défendre l’honneur des femmes « d’estat » (femme de vertu) et lutter contre l’adultère.

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    Le prostibulum peut être alors considéré comme une institution de paix où les jeunes tempèrent leur agressivité.

    Femmes sans maris, femmes sans honneur

    Les femmes victimes de ses viols sont rarement des fillettes car l’homme sera réprimé très sévèrement, ni des femmes de milieu aisée car cela peut être parfois considéré comme un crime. Le plus souvent, les victimes sont des femmes célibataires, des veuves ou des épouses délaissées, des femmes qualifiées de déshonnêtes car elles n’ont plus de maris. Seul le statut d’épouse ou de mère est valorisé et reconnu. 
     
    Ces femmes sont souvent issues de milieux démunis, servante ou épouse d’ouvrier car la sanction sera faible voire inexistante.
     
    Par conséquence, La femme est diffamée par le viol, elle y perd son honneur (la Fame Publica). Ainsi, une femme célibataire aura des difficultés à trouver un époux et une femme sera vraisemblablement abandonnée par son mari.

    Une nécessité sociale de la chrétienté

    Un mal nauséabond pour prévenir la fornication et l’adultère

    Saint Augustin à propos de la prostitution au 5ème siècle : 

    « Supprimez les prostituées, vous troublerez la société par le libertinage ».

    À partir de la fin du XIIIe siècle, et ce, jusqu’au XVe,

    le métier est vu plutôt comme une pratique immuable.

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    La tradition chrétienne considère la prostitution comme un moindre mal nécessaire.

     

    Les Pères de l’Église en témoignent, d’Augustin d’Hippone au IVe siècle qui estime qu’elle est naturelle et permet de protéger les femmes honorables et les jeunes filles du désir des hommes, jusqu’à Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, qui juge qu’elle est nécessaire à la société comme les toilettes à une maison :

    « Cela sent mauvais, mais sans elle(s), c’est partout dans la maison que cela sentirait mauvais. »

    La prostitution est d’ailleurs tellement naturelle que, pour plusieurs théologiens, il est préférable qu’une femme y pousse son mari plutôt que de consentir à certains rapports sexuels considérés, eux, comme de graves péchés. Dans une perspective du moindre mal, ces femmes sont sacrifiées pour un bien supérieur, l’ordre public.

     

    Souvent, en effet, c’est la permanence des viols par bandes organisées qui amène les municipalités à se poser la question d’organiser la prostitution afin de canaliser l’agressivité sexuelle des hommes.

    Les bordels de l’Église, un mal naturel pour éviter le péché

    Au Moyen Âge, les responsables de l’ordre public, municipalités, seigneurs laïcs ou ecclésiastiques (évêques, abbés et pape), organisent progressivement la prostitution,déjà à partir du XIIe siècle, et surtout à partir du XIVe siècle, en tirant un profit financier.

     

    On trouve même des bordels possédés par des monastères ou des chapitres. La prostitution est toujours considérée comme naturelle, comme un moindre mal.

     

    Au cœur des cités méridionales, les maisons de fillettes, les châteaux gaillards et autres maisons lupanardes deviennent des institutions municipales, entretenues et inspectées par les consuls. On précisera que la majorité sexuelle est toujours de 12 ans au Vatican (elle était de 11 ans en France en 1832). 

    En Italie du Nord, les autorités expliquent même que le recrutement de prostituées attirantes permettra de convaincre les jeunes gens de se détourner de l’homosexualité. Les villes et les bourgs ouvrent ainsi officiellement des maisons municipales de prostitution ou bien désignent les quartiers de la cité, généralement ses faubourgs, où la prostitution sera tolérée.

    Lire Exclusion des filles mères, mères célibataires, mères seules : avortement et abandon des enfants sans père

    Dieu vous le rendra

    Une richesse pour le clergé et les municipalités

    Les municipalités profitent de ce commerce et s’enrichissent en prélevant des taxes sur les maisons publiques ou en mettant les fillettes à l’amende. On constate souvent, en dépouillant les registres de comptes, que les loyers et les rentes tirés des maisons de prostitution sont traités au même titre que les autres revenus, y compris dans les registres des abbayes. Au XIIIe siècle, les canonistes admettent d’ailleurs la recevabilité des profits tirés de la prostitution à condition que la fille exerce par nécessité, et non par vice et plaisir. Les propriétaires des maisons, parfois des notables, n’ignorent rien des activités de leurs locataires, et encaissent sans vergogne les bénéfices. C’est le cas des familles Villeneuve et Baronnat à Lyon, de l’évêque de Langres ou de l’abbé de Saint-Etienne à Dijon.

    Bisous à l'haleine fraîche.

    Plus lucratif que les dons des fidèles

    D’ailleurs, Voltaire rapportait que l’évêque de Genève administrait tous les bordiaux de ces terres. Dominique Dallayrac va même jusqu’à avancer que la prostitution amena plus de richesse au clergé que tous leur fidèles réunis. St-Thomas d’Aquin raconte également que des moines perpignanais organisaient une collecte de fond pour ouvrir un nouveau bordel, dont ils vantaient le mérite; « oeuvre sainte, pie et méritoire ».

     

    D’ailleurs, La chose ira encore plus loin, car en 1510, le pape Jules II fit construire un bordel strictement réservé aux chrétiens.

    La Chapelle Sixtine financée grâce à la taxe sur la prostitution

     

    Pour renflouer les finances du Vatican et payer les corporations travaillant sur la chapelle qui portera son nom, le pape Sixte IV (1414 – 1484) eut l’idée géniale de taxer toutes les prostituées et les prêtres concubinaires dans les Etats Pontificaux, y compris Rome. 

     

    Cette taxe rapporta au Vatican 30.000 ducats par an. Une véritable fortune. Selon les données statistiques de 1477, il y avait 6.300 prostituées reconnues officiellement et des nombreux célibataires. Le projet avait été lancé en 1046 par le Pape Clément II, Suidger de Morsleben et Hornburg (1005-1048) d’origine allemande, qui avait obligé toutes les prostituées romaines à verser un impôt au saint-siège sur chaque rencontre avec un nouveau client.

    S.S. Sixte IV, un pape pédéraste, incestueux et proxénète

    Afin de profiter de cette manne financière, le pape Sixte VI (1414 – 1484) acquis lui-même une maison close devenant un proxénète. Jusqu’à son élection, Sixte IV jouissait d’une bonne réputation. Sous son pontificat, il fit l’objet de jugements controversés dus à l’emprise que ses neveux prirent sur lui. De fait, il nomma cardinal de nombreux jeunes gens, célèbres par leur beauté, parmi lesquels son neveu Raphaël Riario – cardinal à 17 ans, accusé d’être son amant.

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    On prétendit aussi que le goût du pape pour les garçons était notoire. Le théologien Balaeus (xvie siècle) assure de manière peu vraisemblable que Sixte IV aurait donné aux cardinaux 

    « l’autorisation de pratiquer la sodomie pendant les périodes de grandes chaleurs ».

     

    C’est ce que l’on appelait alors le « vice italien ». Aujourd’hui encore, la majorité sexuelle au Vatican est de 12 ans.

    La vie sexuelle des papes

    Meurtres, prostitution, pédérastie

    Tiré de « L’Écho des Cantons » no. 7, septembre 2000.

    Le palais papal, un lieu maudit

    C’est un pape aux mœurs corrompues, Léon III (du 26 décembre 795 au 12 juin 816) qui couronna à Rome au mois de décembre de l’an 800, l’empereur Charlemagne (742-814). Étant réputé pour aimer la bonne chère, le vin et surtout les plaisirs charnels, Léon III échappa à une tentative d’assassinat complotée par deux prêtres désireux de débarrasser Rome et l’Église de ce pape dépravé. Étienne IV (du 22 juin 816 au 24 janvier 817) ne fut pape que quelque mois, mais son successeur, Pascal 1er (du 25 janvier 817 au 11 février 824) mena une vie de débauche qui, pendant les sept années de son pontificat, fit de la ville sainte et du palais papal des lieux maudits où libre cours sexuel était donné a toutes formes de perversions inimaginables.

    Le lupanar privé du pape

    Venu a Rome pour se faire sacrer empereur, Lothaire (795-855), petit-fils de Charlemagne, fut scandalise par tout ce désordre et fit des remontrances très sévères a Pascal. Le saint-père promit a Lothaire de reformer ses mœurs mais des que celui-ci eut le dos tourné, Pascal Ier emprisonna deux humbles prêtres pour avoir dénoncé ses comportements pervers. Comme sentence exemplaire on leur arracha la langue et les yeux avant de les décapiter. Plus tard, le pontificat de Léon IV (du 10 avril 847 au 12 juillet 855) sembla être au-dessus de tout soupçon jusqu’au jour où certains chroniqueurs de l’époque affirmèrent que le pontife avait installé dans sa propre maison un couvent de religieuses afin de s’adonner avec celles-ci a des plaisirs sexuels  » très torrides « .

    La légende de la papesse Jeanne

    C’est a partir de la fin de la papauté de Léon IV que naquit plusieurs légendes a connotations sexuelles qui fortifièrent l’histoire de la papesse Jeanne. Il est très peu probable qu’une femme ait succédé a Léon IV sur le trône de la chrétienté, vers l’an 856, comme le veut la légende qui prit naissance au milieu du 13ème siècle, et racontée par l’entremise des chants des troubadours et des ménestrels.

    Un pape gay en prison, assassiné par ses « mignons »

    Celle-ci fut vraisemblablement inspirée par l’histoire malheureuse d’un pape dévergondé du nom de Jean VIII (du 14 décembre 872 au 16 décembre 882). Jean VIII fut reconnu comme étant un pape débauché qui fut jeté plusieurs fois en prison parce qu’il ne s’occupait pas de ses charges pontificales. Ce pape homosexuel, qui aimait les jeunes garçons, connut une fin tragique aux mains des membres de la famille de l’un de ses  »mignons  » qui, trouvant que le poison qu’ils lui avaient administre n’agissait pas assez vite, lui fracassèrent le crane a coup de marteau.

    Un pape drag-queen

    Les soeurs de la perpétuelle indulgence - solidays 2011

    D’autres sources mentionnent qu’au milieu du 9ième siècle, un prêtre anglais du nom de John, un homosexuel reconnu, avait gagne la faveur des cardinaux de Rome, a un point tel qu’il a failli être élu pape a la mort de Léon IV en l’an 855. C’est probablement a la mémoire de ce John aux allures très efféminées, communément appelé Jeanne par ses intimes, que naquit la légende de la papesse qu’on disait d’origine anglaise. Les troubadours et les ménestrels du 13ieme siècle ajoutèrent a cette histoire, en signe de dérisions et de moqueries, que John aurait pu accoucher d’un enfant le jour même de son couronnement car rien dans son comportement sexuel n’indiquait « … qu’il est un homme … ». Ainsi fut fomenté dans la confusion et par les esprits tordus la légende de la célébré papesse Jeanne.

    Rome, ville du vice et de la débauche

    Le calme revint a Rome sous le pontificat de Jean IX (du mois de janvier 898 a janvier 900) mais ce fut de courte durée car lorsque Benoît IV prit le trône de Saint-Pierre (du mois de février 900 au mois de juillet 903) la corruption redevint maîtresse dans la  »Cite éternelle » pendant, hélas, de très nombreuses décennies. Afin d’illustrer avec plus de précisions cette ambiance qui régnait a Rome pendant tout le 10ème siècle, citons ce roi d’Angleterre, Edgar dit le Pacifique (944-975) qui, s’adressant a ses évêques, donna une description peu flatteuse de ce qu’il avait vu lors d’un de ses voyages dans la ville des papes.

     » On ne voit a Rome que débauches, dissolution, ivrogneries et impuretés … les maisons des prêtres sont devenues les retraites honteuses des prostituées, des bateleurs, jongleurs, équilibristes, acrobates, etc… et des sodomites (homosexuels) … on joue nuit et jour dans la demeure du pape … les chants bachiques (chansons a boire), les danses lascives et les débauches de Messaline ont remplacé jeûnes et prières. C‘est ainsi que ces prêtres infâmes dissipent les patrimoines des pauvres, les aumônes des princes ou plutôt, le prix du sang du Christ. » – Edgar dit le Pacifique (944-975), roi d’Angleterre

    Messaline est l’épouse de l’empereur romain Claude (10-54), elle était reconnue pour se livrer a de la débauche de toutes sortes et même a la prostitution. Se sentant bafoué, son mari la fit assassiner lorsqu’il apprit qu’elle s’était mariée avec son jeune amant Silius.

    Jean XII : le pornocrate

    Jean XII est assurément un des papes ayant le plus choqué ses contemporains. Plusieurs fois d’ailleurs, des chroniqueurs l’ont qualifié « d’antéchrist siégeant dans le temple de Dieu ». Né Octavien, il accède à la papauté à l’age de 18 ans sous le nom de Jean XII. Le jeune pape est perçu comme un être grossier qui s’adonne à la débauche, transformant le palais du Latran en un véritable bordel. Déposé par un synode d’évêques qui le déclare coupable de sacrilège, de meurtre, d’adultère et d’inceste en 963, Jean XII parvient cependant à reprendre l’avantage sur Léon VIII, élu à sa place. Une légende raconte qu’il est mort d’une crise d’apoplexie en plain acte sexuel avec une femme mariée.

    La famille maudite des Borgia

    Borgia est le nom italianisé de la famille Borja, originaire du Royaume de Valence (Espagne), qui a eu une grande importance politique dans l’Italie du XVe siècle. Elle a fourni deux papes, ainsi que plusieurs autres personnages, dont quelques-uns ont acquis une fâcheuse renommée. La famille Borgia subi une réputation sinistre qui aurait été forgée par ses ennemis politiques. Les Borgia furent accusés d’empoisonnement, de fratricides, d’incestes… Ils furent les symboles de la décadence de l’Église à la fin du Moyen Âge.

    Enfants illégitimes, bordels et inceste

    C’était une puissante famille italo-espagnole de la Renaissance, dont sont issus des personnages célèbres qui étaient des champions de la « chasteté héréditaire ». Quelques exemples : un cardinal qui eut trois enfants, un pape qui en comptait neuf, et une duchesse qui accoucha de huit hommes différents dont, probablement, le pape et le cardinal déjà mentionnés, qui étaient, en plus, son père et son frère. Tristement célèbres. On les appelle Borja en Espagne, Borgia en Italie. Un nom qui, dans la Botte, jouit d’une très mauvaise réputation, non sans raison : le cardinal César (1475-1507), une fois abandonné l’habit de pourpre, devint un homme politique et un militaire au cynisme proverbial, qui inspira Le Prince de Machiavel. Son père Rodrigo (1431-1503), alias le pape Alexandre VI, réduisit Rome à une ville-bordel que Luther compara ensuite à Sodome ; enfin, la duchesse Lucrèce (1480-1519), intrigante et peut-être incestueuse, passa à la postérité comme un archétype de féminité négative.

    Le pape du diable

    Pope Alexander Vi.jpgAlfonso Borgia est intronisé pape sous le nom de Calixte III de 1455 à 1458. Il a un fils illégitime, François Borgia, cardinal-archevêque de Cosenza. Son neveu, Roderic Llançol i de Borja, le rejoint en Italie où il prend le nom de Rodrigo Borgia. Il est pape sous le nom d’Alexandre VI de 1492 à 1503. Un des témoins les plus crédibles de la conduite scandaleuse du pape Alexandre Borgia est Jean Burckhardt (ou Burchard), de Strasbourg. Ce prélat, maître des cérémonies de la cour pontificale, tint de 1483 à 1508, un journal très précis relatant jour par jour, parfois même heure par heure, tous les événements se passant au Vatican.

    Au moins 6 enfants illégitimes

    En 1470, alors qu’il a déjà été ordonné prêtre, Rodrigo Borgia fait la connaissance de Vannozza Giovanna Cattanei, jeune patricienne romaine, qui lui donnera ses quatre enfants préférés (Jean ou Joan, César, Lucrèce, et Geoffroi ou Jofre). En 1489, nouvelle liaison avec la jeune et jolie Giulia Farnèse qui n’a que 15 ans, dont la demeure était directement reliée à Saint Pierre. Rodrigo Borgia a alors 58 ans. De leur union naîtra une fille, Laura, qui sera présentée comme l’enfant légitime d’Orso Orsini, époux officiel de Giulia Farnèse. Il avait déjà eu un fils Pedro-Luis de Borja légitimé par Sixte IV. Une troisième amante, disait-on, était peut-être sa propre fille Lucrèce (1480 – 1519). Elle est célèbre pour sa beauté autant que pour ses mœurs dissolues : un fils né de ses amours incestueuses avec son frère César, quelques bâtards, une activité d’empoisonneuse, etc.

    Viol sodomite et danses orgiaques de 50 prostituées

    Les orgies étaient pour Alexandre VI, une distraction à plein temps, sans discrétion aucune, sans discrimination de classe ni tabou de parentèle. Francesco Guicciardini rapporte un épisode au cours duquel le pape attire au Château Saint-Ange le jeune et beau Astorre Manfredi, seigneur de Faenza, qu’il viole et fait jeter dans le Tibre. Mais il pourrait également s’agir de César Borgia qui tenait prisonniers les deux frères Manfredi. Les scandales continuent au Saint-Siège, et ce malgré les remontrances du frère dominicain Jérôme Savonarole :

    «Arrive ici, Eglise infâme, écoute ce que te dit le Seigneur […]. Ta luxure a fait de toi une fille de joie défigurée. Tu es pire qu’une bête: tu es un monstre abominable»

    Sans scrupules, ni remords, Alexandre VI fait face : Savonarole est arrêté, torturé et meurt sur le bûcher le 23 mai 1498. Selon Jean Burckhart, témoin muet, mais indigné, la débauche du pape Alexandre et de sa progéniture atteint son paroxysme en cette nuit orgiaque du 31 octobre 1501 avec l’évocation de la danse de cinquante prostituées entièrement nues et d’un concours arbitré par César et Lucrèce pour évaluer et récompenser les prouesses de virilité des assistants. Les dépêches envoyées aux cours d’Europe par leurs ambassadeurs et figurant dans de nombreuses archives diplomatiques confirment l’incroyable témoignage du Père Burckhardt. On comprend dès lors pourquoi tant de récits faisant référence à des pactes avec le Diable ont pu circuler à la mort d’Alexandre VI.

    Les types de prostitution

    Les historiens, scientifiques et sociologues Lombroso et Ferrero (1896) ont classifié la prostitution médiévale en quatre catégories :

    Les plaisirs charnels du Christ

    La prostitution sacrée issue du culte antique de la femme, avec, au début du Ve siècle, les nicolaïtes, femmes qui, attendu l’incarnation du Christ, prônaient que Jésus fait homme avait dû éprouver lui-même les voluptés du corps. Unies aux gnostiques, elles ont essaimé jusqu’au XIIe siècle, en plusieurs sectes vouées au contentement de la chair. En 1373, réapparaît en France une de ces sectes, anciennement les Picards devenus les Turlupins dont le plaisir était de forniquer en public. Dans le catholicisme, les femmes stériles et les maris impuissants ont longtemps prié les Saints Paterne, Guerlichon ou Guignolet, dignes héritiers du dieu Priape, dieu de la virilité, de la fertilité et de l’amour physique. Même réprouvées par l’Église, ces pratiques se sont poursuivies qu’à la Révolution.

    Garnir la couche de son hôte avec ses serfs

    Le second type de prostitution est appelé prostitution hospitalière : elle découle des coutumes ancestrales de l’hospitalité qui consistaient à « garnir la couche » de son hôte. Plus rarement pratiquée chez les paysans, elle était largement répandue chez les nobles et de nombreuses soubrettes et paysannes, tenues en servage, se prostituaient ainsi contre leur gré.

    Une épouse en CDD

    Le troisième type est la prostitution concubinaire. Le concubinage n’a jamais été, dans la France catholique, béni religieusement. C’est le versement d’une pension d’entretien qui servait de contrat nuptial que seuls un divorce ou la mort pouvaient rompre.

    Enfin, on trouve, sous quatre formes, la prostitution civile :

    • Les bordels privés de la noblesse et du clergé : L’abbé, l’abbesse, l’évêque, le baron, le seigneur féodal accueillent chez eux l’équivalent d’un bordel généralement payé par leurs fidèles ou leurs vassaux; les deux sexes y sont couramment représentés;

    • Les paysannes au service sexuel des curés : Dans les monastères, les bons pères réquisitionnent régulièrement les paysannes des alentours qu’ils convainquent de se taire de peur des foudres divines;

    • Les nonnes-putains pour un dieu proxénète : Plusieurs mères supérieures des couvents persuadent leurs religieuses de se prostituer pour amasser, au nom de leur divin époux auquel elles ont de toute façon livré à tout jamais leur corps vertueux, quelques compléments à la dîme;

    • Femmes-objets pour payer les impôts : Au Moyen-âge, le royaume de France est loin d’être consolidé et les guerres entre prétendants à la royauté livrent la paysannerie à des impôts ruineux, dont la taille. Plusieurs fuient la campagne pour la ville où la misère qui sévit contraint filles et jeunes femmes orphelines, abandonnées ou vendues, veuves et épouses désespérées à livrer leur corps en pâture. La prostitution foisonne avec ses classes de prostituées.

    Le statut des prostituées

    Durant la période médiévale, la quasi-totalité des prostitués est constituée de femmes. La prostitution masculine fleurit aussi, mais seulement dans la clandestinité en raison de la sévère condamnation de l’homosexualité par l’Église. Cette dernière entretient à l’égard des femmes un double discours qui explique, en grande partie, l’ambivalence de ses prises de position. La femme est certes synonyme de tentation et de luxure, mais curieusement elle occupe un rôle social plus égalitaire que celui qui va redevenir le sien à la Renaissance.

    La prostitution civile revêt quatre motifs, explicatifs des divers statuts et mécanismes différents de répression :

    • La luxure qui découle de la prostitution sacrée. Ses adeptes sont considérés comme des hérétiques et châtiés par l’Église et le pouvoir;
    • La pauvreté, lot des femmes démunies. Cette forme est plus ou moins tolérée par l’Église selon la sévérité de ses cardinaux du moment et réglementée par le pouvoir seigneurial ou royal selon ses humeurs et pénitences;
    • Le concubinage, lot de femmes devenues courtisanes, protégées par leurs concubins et par les apparences d’une vie de rentière; certaines prostituées de haut rang peuvent s’afficher dans la cour des gens de la noblesse. On peut d’ailleurs difficilement d’apparence les différencier d’autres femmes de leur entourage, même si la plupart du monde connaît leur identité;
    • Le commerce dont l’exercice est orchestré par des sources diversifiées : clergé, noblesse, bourgeoisie, tenanciers ou tenancières. Le clergé va, de temps à autre, procéder à de sévères répressions dans ses rangs, la noblesse graduellement se défaire de ses propres bordels pour choisir le concubinage ou la fréquentation plus ou moins discrète des maisons de débauche.
    • Les filles légères « prostitution libérale » : Ces filles travaillent pour leur propre compte, elles vont d’hôtel en hôtel ou possèdent leur propre chambre. Ces femmes deviennent petit à petit des courtisanes : prostituée de luxe, maîtresse de riches marchands ou notables. Les courtisanes deviennent réellement importantes à la fin du XV°.

    Lire La prostitution mondaine, une valeur éducative du patriarcat traditionnel avant le mariage

    Carrière d’une fille de joie

    Mères célibataires, vierges violées, veuves ou répudiées

    Les prostituées le sont pour des raisons financières, parce qu’elles sont sans ressources pour une raison ou une autre : tel est le cas pour les étrangères à la ville, les migrantes venant de la campagne, les filles exclues du système matrimonial parce qu’elles ont été violées, parce qu’elles sont des servantes enceintes et chassées, parce qu’elles sont veuves ou abandonnées. Mais il existe aussi une prostitution moins miséreuse, de femmes qui reçoivent discrètement chez elles des hommes de bonne condition, et que le voisinage tolère plus ou moins bien. La plupart des prostituées le sont, comme de nos jours, par utilité ou obligation. Dans ce contexte, la très grande majorité des prostituées est cantonnée dans les basses classes de la société, même si quelques-unes d’entre elles, devenues maîtresses de gens importants, parviennent à y échapper.

    Ne pas ressembler à une épouse légitime

    Faire commerce de ses charmes est longtemps vu comme une profession comme une autre. Les «putassières » demeurent cependant facilement identifiables. Il leur est, en effet, interdit de porter vêtements ou accessoires démontrant le luxe. Broches, fourrures et autres vêtements peuvent leur être sommairement confisqués.

    L’abbesse encaisse un tiers des gains pour un toit

    Les filles de joie racolent à peu près partout : bains publics, boisés, buissons, ruelle ou rue réservées à leur pratique, cour des nantis et autres endroits insolites. Cependant, les lieux dédiés aux habitués sont les bordels municipaux, que l’on appelle à cette époque «bourdeaux» ou «bon hostel». Ils sont souvent administrés par une maquerelle, souvent une femme mariée, appelée «abbesse», douce vengeance contre le clergé. Cette dernière encaisse le tiers des gains de ses filles en échange de leur pension. Il est donc très aisé de trouver remède à une envie pressante…

    La contraception naturelle

    Les pratiques sexuelles, pour ce que l’on peut en savoir, semblent être communément orales, anales, manuelles et interfémorales, les femmes fuyant le rapport vaginal pour des raisons contraceptives.

    Fin de carrière : abbesse, mariage ou couvent

    La fin de « carrière » est estimée autour de la trentaine, mais aucune source ne permet d’affirmer cet âge. Dès lors que les filles ne peuvent plus se prostituer, plusieurs choix de vie s’offrent à elles :

    • Devenir à leur tour tenancière – abbesse
    • Retraite dans le repentir « fondation Sainte Marie Madeleine
    • Le plus souvent, c’est le mariage qui les fait sortir de leur condition. En effet, épouser une fille de joie est considéré comme une œuvre pieuse par l’Eglise.

    La répression du vice

    Mais toléré au nom de la morale conjugale schizophrène

    Le rôle joué par l’Église et particulièrement ambigu.

    D’une part, et ce, depuis Saint-Au­gustin, elle voit la prostitution comme un mal inévitable qu’on ne peut enlever d’une société sous peine d’avoir d’autres maux. D’autre part, par son obligation morale, elle réprime à l’aide de ses tribunaux ecclésiastiques non pas les prostituées, mais les tenanciers et autres entremetteurs au nom de la morale conjugale.

     

    Les putains des soldats de Dieu

    En ces temps de guerres et de croisades, notons que les soldats et les croisés ne font pas exception à la tentation : un cortège de femmes suit l’armée, même celle de Dieu, lavandières comme prostituées. Les phases de défaites correspondent à un redressement des mœurs et vice-versa. Il faut comprendre que, lorsque les troupes commencent à perdre, les autorités le mettent sur le dos de leur honteuse débauche. Cependant, lorsqu’elles gagnent, les interdictions sont levées, et ainsi de suite, de victoires en défaites. Chose certaine, il y a du travail pour ces filles de joie qui vont parfois jusqu’à planter leur tente parmi celles des soldats. Leur réputation est cependant mauvaise, Jeanne d’Arc, par exemple, chassa les ribaudes qui suivaient son armée.

    Esclaves rasées pour laver leurs péchés

    Entre 1254 et 1269, Louis IX décide quand même d’éradiquer toute prostitution. Des lois qui permettent alors aux autorités d’incarcérer les demoiselles de joie sont mises en vigueur. Les prostituées qui sont capturées sont cependant envoyées dans des prisons toutes spéciales, où les conditions de vie sont misérables. Confiées à la garde de religieuses acariâtres et sadiques qui se croient désignées pour conjurer le vice, elles ont la tête rasée pour les humilier et on les fait travailler en quasi esclavage souvent jusqu’à une mort prématurée.

    Lire Les couvents de la Madeleine : camps de concentration pour mères célibataires et femmes libérées

    • 1254 : Ordonnance de Louis IX interdisant la prostitution, les personnes prostituées sont expulsées des villes et tous leurs biens sont saisis, jusqu’aux vêtements; et les proxénètes sont punis par des amendes équivalentes à une année de loyer.
    • 1256 : Nouvelle ordonnance de Louis IX qui revient sur l’interdiction stricte de la prostitution. La personne prostituée n’est plus que reléguée hors des murs des cités et loin des lieux de culte.
    • En 1269, Saint Louis, qui s’apprête à embarquer pour la huitième croisade, demande à nouveau d’extirper le mal du royaume. À nouveau, la clandestinité des prostituées et le désordre créé font fléchir le roi qui fait ouvrir des centres de reclassement pour les femmes publiques à Paris. Le pragmatisme fait d’ailleurs que les filles publiques sont non seulement admises, mais subsidiées pendant la huitième croisade. Les livres de comptes royaux font état de 13000 prostituées à payer pour le suivre à la guerre…

    L’inefficacité de la répression est patente. A la fin du Moyen Age, filles publiques, secrètes ou vagabondes pullulent dans les rues des villes, investissent étuves et hôtels princiers. Le temps où ces femmes, jugées impures, étaient interdites de mariage, semble désormais dépassé ; mais à bien y réfléchir, les ordonnances de Saint Louis étaient déjà en leur temps parfaitement irréalistes.

    Prisons pour prostituées, fornicatrices, adultères, pauvresses et célibataires

    Du XVIIe au XIXe siècle, la période moderne est marquée par la volonté de lutter contre la prostitution. Parfois les mesures visent son éradication, par l’emprisonnement ou le bannissement. Mais beaucoup de ces mesures sont assez vite oubliées ou pas du tout appliquées. Certains comportements sont nouveaux : des asiles s’ouvrent pour les femmes repenties, que vont bientôt rejoindre celles que l’on considère comme risquant de tomber dans la prostitution parce que pauvres et célibataires. Des ordonnances précisaient même de n’admettre que les jolies filles, les laides « n’ayant pas à craindre pour leur honneur ». L’Angleterre, puis l’Espagne, créent de tels établissements. En 1658, Louis XIV ordonne d’emprisonner à la Salpêtrière (Hôpital Général) toutes les femmes coupables de prostitution, fornication ou adultère, jusqu’à ce que les prêtres ou les religieuses responsables estiment qu’elles se sont repenties et ont changé.

    La Salpêtrière de Paris sous l’Ancien Régime : lieu d’exclusion et de punition pour femmes

    A son ouverture, en 1656, la Salpêtrière de Paris s’impose comme le plus grand établissement d’enfermement de femmes à l’époque moderne. Elle est chargée d’accueillir les femmes, jeunes filles et enfants mais aussi des couples sans ressources. En 1666, dix ans après l’édit d’établissement, la Salpêtrière accueillait 2322 pauvres. En 1684, Louis XIV ajouta à l’hospice, une prison, la « maison de force », pour les femmes prostituées, débauchées et condamnées, à laquelle on adjoignit un bâtiment pour les femmes et les filles détenues à la demande de leurs maris ou de leurs parents. La Salpêtrière comporta donc : un hospice et une prison pour les femmes.

    Les pauvres mendiants qui ne se seront pas rendus à la Pitié dans les délais prévus y seront amenés de force par les officiers de police. La loi interdit la mendicité « à peine du fouet contre les contrevenants, pour la première fois ; pour la seconde, des galères contre les hommes et garçons, et du bannissement contre les femmes et filles ».

    Pour changer la morale et les mœurs des femmes égarées


    Dès le règlement du 20 avril 1684, une nouvelle catégorie de la population parisienne est à enfermer : les femmes débauchées. Et c’est à la Salpêtrière qu’elles devront être « enfermées ». Comme la mendicité, la débauche et la prostitution sont combattues avec acharnement pendant tout le XVIIe siècle.

     

    Outre la déportation dans les colonies, l’Hôpital général devient le principal mode de mise à l’écart des prostituées jusqu’à la fin du XVIIIesiècle. Les prostituées étaient déjà mises en cause dans le 101e article de l’ordonnance de 1560 promulguée par François II puisque cette ordonnance interdisait tout simplement la prostitution.

     

    Cette mesure aurait été prise suite à la progression rapide de la syphilis.

    Et c’est tout naturellement qu’on s’est attaqué à ce qui ne pouvait être qu’à la base de ce développement : 

    La prostitution.

     

    Sous couvert de santé publique on épurait ainsi les rues de Paris d’un autre fléau,

    la « débauche publique et scandaleuse ».

     

    Les mesures d’internement contre les débauchés se multiplient dans ce siècle de moralisation de la société. Des maisons de force avaient déjà été créées et aménagées pour les débauchées. Ces établissements étaient ouverts, théoriquement, aux seules volontaires, et avaient pour objectif de changer la morale et les mœurs de ces femmes égarées. Le roi prévient que « les femmes d’une débauche et prostitution publique et scandaleuse, ou qui en prostituent d’autres, seront renfermées dans un lieu particulier destiné pour cet effet dans la maison de la Salpêtrière ». Les débauchées pourront y être enfermées sur décision de justice. Après l’ordonnance du roi du 20 avril 1684, un inspecteur est chargé de la police des mœurs. Il est chargé, jour et nuit, de les arrêter et de les conduire au dépôt Saint-Martin, passage obligé des futures condamnées. Le lendemain, les femmes arrêtées comparaissent à l’audience du grand Châtelet. Les femmes condamnées, escortées par des archers, sont alors emmenées en charrette, dont les planches sont recouvertes de paille, à travers les rues de Paris, à la vue de tous, jusqu’à la Salpêtrière.

    Pour réprimer la libération des femmes

    Avec le XVIIIème siècle, une grande liberté des mœurs oblige la société à réagir. La police va être une grande pourvoyeuse de nos hôpitaux : se moquer du roi, de la religion, contrevenir à l’ordre public, désobéir à l’autorité paternelle, manquer à l’honneur familial, se débarrasser de sa fille ou de sa femme, être protestante, hérétique, révoltée ou troubler l’ordre public sont très souvent des fautes méritant l’incarcération des femmes à la Salpêtrière. C’est de plus en plus un bagne pour les femmes avec des travaux forcés et de sévères châtiments. Pourtant dans le même temps apparaît une timide humanisation avec l’arrivée de Tenon à la Salpêtrière en 1748. Il va y améliorer l’hospitalisation de ses malades. Quant aux folles, elles arrivent à la Salpêtrière pour y achever, souvent enchaînées, le reste de leur vie.

    La déportation des filles de honte

    Les fillettes abandonnées à la naissance étaient recueillies, élevées, éduquées, placées pour un travail et mariées par l’institution après enquête sur le conjoint (« les noces des orphelines »). Colbert trouva bon de peupler nos nouvelles colonies d’Amérique avec quelques-uns de ces jeunes orphelins et orphelines en les mariant « à la chaîne » (60 couples dans une matinée) lors de grandes cérémonies à l’église Saint-Louis de la Salpêtrière. Cette pratique s’est poursuivie sous la Régence. L’Angleterre commence à déporter aux Antilles les filles des maisons fermées : elles sont 400 après la fermeture des maisons de Londres en 1650 ; on estime à 10 000 celles qui rejoignent de force l’Amérique de 1700 à 1780. L’aristocratie européenne semble particulièrement violente dans sa façon de vivre la sexualité et, contrairement au Moyen Âge, on a pour ces siècles des récits de brutalité dans les établissements où orgies, coups, flagellation, débauche de mineurs sont courants. La société dans son ensemble est caractérisée par la violence sexuelle et, dans les campagnes comme dans les villes, des bandes organisées attaquent les femmes isolées pour des viols collectifs accompagnés de sévices.

    Un métier commun

    3000 bordels parisiens

    Force est de constater que, malgré les interdictions et les principes moraux, tous les niveaux des autorités civiles et religieuses comptabilisent les revenus des bordels qu’ils gèrent sans scrupule, à titre de revenus standards, comme les taxes ou les dons.

    À la fin de Moyen-âge, au temps du poète et

    brigand François Villon (1431-1463?), Paris compte plus de 3000 bordels. Pendant très longtemps, on prétexte que la prostitution est un exutoire pour éviter le viol et l’adultère. C’est pourquoi elle est alors tolérée et pourquoi l’Église tente de réhabiliter les pécheresses repentantes.

    13% des femmes se prostituent

    À la veille de la Révolution française, on évalue à 30 000 les simples prostituées de Paris et à 10 000 les prostituées de luxe ; à Londres, elles seraient 50 000, ce qui est une preuve de l’échec des mesures de répression. A la fin du XVIIIe siècle, on évalue à 40 000 le nombre de personnes prostituées à Paris (13 % de la population féminine). Pour mesurer l’ampleur du phénomène, la plupart des historiens contemporains soulignent que si la proportion de prostituées était la même aujourd’hui (environ 13 % des femmes), on aurait pour Paris intra-muros une population de plus de 100 000 prostituées.

    Un quart de parisiens clients : des recettes juteuses pour l’État

     

    La IIIe République est l’âge d’or des maisons closes qui font partie intégrante de la vie sociale. L’État, et notamment le fisc profitait de ce commerce en prélevant 50 à 60 pour cent sur les bénéfices. À Paris, ils sont environ 200 établissements officiels, sous le contrôle de la police et des médecins, ainsi que d’innombrables bordels clandestins qui comptent alors 15 000 prostituées. De 1870 à 1900 environ, il y a 155 000 femmes officiellement déclarées comme prostituées, mais la police en a arrêté pendant la même période 725 000 autres pour prostitution clandestine (soit 30 000 par an). 

     

    En 1953, les estimations les plus basses sont de 40 000 prostituées à Paris (les plus hautes parlent de 70 000), tandis que les bordels clandestins (les clandés) se multiplient (500 à Paris). La police estime à 40 000 clients par jour la fréquentation des diverses maisons, ce qui équivaudrait à dire que le quart des hommes parisiens avait des relations avec les prostituées.

    sources

    https://matricien.org/patriarcat/sociologie/prostitution/bordel-eglise/

     

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  • Depuis longtemps, religieux et politiques ont tenté de légiférer sur le métier. Entre interdit moral, restrictions, et accommodements, petit rappel historique des moyens mis en œuvre pour endiguer la prostitution.

     

    "Le plus vieux métier au monde".

    C’est par ces mots généralement que la prostitution est qualifiée comme pour signifier que la pratique a toujours existé dans les sociétés humaines. 

    Sans doute cette formule est-elle exagérée, bien que certains animaux comme le chimpanzé s’échangent de la nourriture en faveur de relations sexuelles et que les hommes préhistoriques livraient le produit de leur chasse aux femmes désirés pour obtenir pareilles réjouissances.

    Quoi qu’il en soit, la prostitution existait belle est bien dans l’Antiquité comme l’attestent de nombreux écrits et fresques retrouvés.

     

    En Mésopotamie tout d’abord et même jusqu’en Inde, la prostitution n’avait pas cette connotation négative de notre époque, elle était même "sacrée", c’est-à-dire con-sacrée à la déesse de la fertilité. On en trouve trace dans les écrits (p. 199) d’Hérodote (Ve siècle avant J-C) :

     

    "Les Babyloniens ont une coutume bien honteuse. Il faut que chaque femme du pays, une fois dans sa vie, s'unisse à un homme étranger dans le temple d'Aphrodite (...). Lorsqu'une femme est assise là, elle doit attendre pour retourner chez elle qu'un étranger lui ait jetée de l'argent sur les genoux et se soit uni à elle à l'intérieur du temple (...)

    Lorsqu'elle s'est unie à l'homme, elle a acquitté son devoir à l'égard de la déesse et peut revenir chez elle." Selon l’historien Jean Bottéro (dansMésopotamie), les premières prostituées étaient des femmes stériles qui, ne pouvant féconder le foyer, devenait la femme de tous et trouvaient ainsi une place dans la société.

    Les civilisations gréco-romaines encadrent le métier

    Dans l’Ancien Testament, au moment où le monothéisme commence à s’affirmer, cette pratique perd de son aura. Ainsi peut-on lire dans le Deutéronome (23,17) : "Il n'y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d'Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d'Israël." Plus loin, le Livre des Rois (23,7) raconte comment le roi Josias "démolit les maisons des prostitués sacrés, qui étaient dans le temple de Yahvé". La prostitution n’est alors pas condamnée moralement mais en tant qu’elle représente une infidélité envers le Dieu d’Israël.

    Dans les Évangiles, les prostituées sont toujours mal vues, mais Jésus leur accorde le salut : "En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous (les pharisiens qui observent scrupuleusement la Loi) au Royaume de Dieu" (Matthieu21, 31). Ainsi, de pécheresse, la prostituée peut en se repentant faire partie des élus. La plus célèbre, Marie-Madeleine, n’est-elle pas la première à qui le Christ apparaît ?

    Durant l’antiquité grecque, la prostitution était loin d’être clandestine, elle était seulement encadrée. Ainsi, nombreuses étaient les prostituées (et même prostitués) à déambuler dans les ports des principales cités grecques ou à faire "des passes" dans les ancêtres des maisons closes, instaurées par le législateur Solon.

     

    Un texte (p. 122) du IVe siècle attribué au pseudo-Démosthène décrit sans ambages les mœurs de l’époque : "Nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu'elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur".

    Pendant l’époque romaine, des lois existent pour empêcher les esclaves d’être prostitués par leur maître (proxénétisme), mais celles-ci sont peu efficaces. Il n’est donc pas rare de trouver des femmes du sexe devant leur demeure ou dans la rue en train de racoler le client qui, s’il veut être discret, peut aussi aller dans des maisons closes échanger un jeton contre une faveur sexuelle. D’ailleurs, dès le IIe siècle avant J-C, les personnes "de mauvaise vie" devaient être munies d’une licence d’exercice, ce qui permis par la suite à l’Empereur de taxer la profession pour renflouer les caisses de l’État.

    L'Église considère la prostitution comme un mal nécessaire

    Pendant le Moyen-Age christianisé, la prostitution est considérée comme naturelle et comme un moindre mal. Ainsi, le théologien Thomas d'Aquin au XIIIe siècle juge qu’elle est nécessaire et que si on la supprimait, le désir incontrôlable des hommes menacerait la société. Seigneurs laïcs et ecclésiastiques organisent et réglementent la profession tout en tirant profit de la manne financière qu’elle représente. Des maisons pour elles sont ouvertes, mais les prostituées restent la lie de la société et sont appelées à se repentir de leur action pour gagner le salut, à l’instar de Marie-Madeleine. C’est ainsi que le pieux Saint Louis tente, en vain, parune ordonnance de 1254 d’interdire la prostitution au XIIIe siècle. Mais à partir de la Renaissance, et plus particulièrement de la Réforme, la prohibition deviendra la norme poussant les prostituées à plus de clandestinité. Deux phénomènes peuvent expliquer cet état de fait : la syphilis qui fait des ravages à la fin du XVe siècle et le retour à un rigorisme religieux par le protestantisme.

    L’époque moderne commence, et le jeune Charles IX fait de la prostitution une activité illicite, avant que Louis XIV, de plus en plus dévot, n’ordonne l’emprisonnement pur et simple des femmes coupables d’exercer le métier. Les sanctions sont parfois barbares : certaines pouvaient avoir le nez et les oreilles coupées ! À sa mort, le Régent Philippe d’Orléans et Louis XV se montreront plus libertins, préférant encadrer les bordels que réprimer les actes. Mais Louis XVI revient aux méthodes répressives en interdisant le racolage : celles qui sont prises sont envoyées soit à l’hôpital soit en prison.

    D'une politique réglementariste à abolitionniste

    À partir de la Révolution, l’époque contemporaine affiche une tolérance à l’égard de la prostitution, qui est de plus en plus encadrée : visites médicales, inscriptions à la préfecture.

    Le racolage étant interdit, les "filles de joie" sont confinées dans des maisons closes. Une situation qui durera jusqu’à la sortie de la guerre, en 1946, et la fameuse loi "Marthe Richard".

     

    Cette loi revient sur le régime de tolérance mis en place depuis le Consulat en 1804, en fermant les maisons closes. En creux, est reproché au milieu de la prostitution de s’être compromis avec l’occupant nazi et le vainqueur américain.

     

    D’une politique réglementariste et sanitaire, la France passe à une politique abolitionniste. Une ordonnance de 1958 fait ainsi passer le racolage du statut de délit à celui de contravention, plus facile à réprimer pour la police.

     

    Dans les années 2000, la prohibition s’intensifie avec la "loi Sarkozy" qui crée un nouveau délit : le racolage passif.
    Les prostituées sont alors de plus en plus nombreuses à proposer leurs services sur internet ou clandestinement dans les rues. 
    En 2013, un nouveau palier est franchi dans la répression avec l’adoption par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à pénaliser le client d’une prostituée.
    Une première dans l’histoire de la répression de la prostitution. 
     
    Cette semaine, le Sénat a cependant supprimé l’article relatif à la pénalisation des clients dans l’exposé de la loi tout en rétablissant le délit de racolage. Mais la ministre en charge des Droits des Femmes a dit vouloir "clairement" réintroduire la pénalisation des clients de prostituée.

     

    Vidéo sur le même thème : Toulouse : l'adoption d'un arrêté anti-prostitutioww.planet.fr/societe-la-reglementation-de-la-prostitution-a-travers-les-epoques.831346.29336.html

     


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    La chanson française sous l’occupation allemande :

    une douteuse cohabitation

    Tout acte culturel, toute consommation de biens ressort à une démarche de mul­tiplication. Toute pratique commune exprime une “ sociabilité du sensible ”

     

    En 1939, en France, la radio touchait un public de masse (5 millions de postes récepteurs). Il était naturel que l’occupant nazi, les collaborateurs, mais aussi les[2] résistants de Londres s’intéressent à ce nouveau moyen de communication de masse et ce qu’il véhi­culait en priorité : information, propagande et divertissement.

     

    A l’orée de la guerre, la chanson était passée depuis une décennie de la salle de spectacle aux ondes radiophoniques. Dans le climat post-munichois et celui de la “ drôle de guerre ”, les chansons de qualité à succès étaient celles, quelque peu acidulées, iro­niques ou parodiques de Pills et Tabet ou de Mireille et de Jean Nohain (“ Couchés dans le foin ”, “ Le vieux Château ”). Juste avant la conflagration, Charles Trénet avait po­pularisé l’insouciant “ Y’a d’la Joie ” :

     

    Y’a d’la joie

    Bonjour, bonjour les hirondelles

    Y’a d’la joie

    Dans le ciel par dessus les toits.

     

    et le fameusement — quoique involontairement — proleptique “ Boum ” :

     

    Boum!

    Quand notre cœur fait boum!

    Tout avec lui dit boum!

    Et c’est l’amour qui s’éveille.

     

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    Émotion et surréalisme avait envahi la vie quotidienne des Français. Dans le même temps, le climat international devenant tendu, la chanson patriotique, pratiquement disparu depuis 1920, refleurit. Des au­teurs de chansons tentent de retrouver le style des années 1870 à 1914. Lucienne Boyer chante “ La Fille à Madelon ”, et George Thill prévient : “ Ils ne passeront pas! ” :

     

    Pétain a dit à ses soldats :

    Soyez certains, ils n’passeront pas

    Il faut qu’on tienne

     

    Ce genre patriotique rencontre assez peu de succès, à l’exception de “ Ça fait d’excellents Français ” de Georges Van Parys, créée par Maurice Chevalier. Cette chanson au ton primesautier envoie un double message : les Français sont pacifiques, rigolards, pour tout dire Gaulois; et, dans le même mouvement, ils peuvent faire face à la guerre, réapprendre d’instinct à marcher au pas, respecter à nouveau l’uniforme. Dès le début de l’occupation allemande, s’engouffrent des créations réalistes exprimant la solitude, le vague à l’âme, l’incertitude : “ Je suis seule ce soir ”, “ J’attendrai ”, “ Attends-moi mon amour ”. Les grands music halls (Les Folies Bergères, le Concert Mayol, le Lido, l’A.B.C. qui accueille la revue de Gilles Margaritis Chesterfollies et tous les grands noms du tour de chant de Tino Rossi à Léo Marjane) sont alors bondés de civils français côtoyant sans vergogne les uniformes des officiers de la Wehrmacht. Les filles déshabillées, les plumes, le strass redonnent vie au Paris insouciant et frivole de la Belle Époque.

     

    Mais la France est terrassée. Des centaines de milliers de famille ont fui leurs foyers. Le pays est coupé en deux. L’Alsace a été réannexée et le Nord est administré directement par l’occupant. Cela n’em­pêche pas Maurice Chevalier et son ami, l’ancien champion du monde de boxe Georges Carpentier de faire de la publicité pour les vélos-taxis puisque la circulation demeure interdite. Le même Chevalier entonne alors une chanson très entraînante, quoique reflétant bien peu le réel :

     

    Tsimpa Poum Pala

    C’est notre espoir

     

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    Le régime de Vichy traduit dans les faits la revanche d’une France passéiste et réactionnaire sur l’“ ennemi intérieur ” : francs-maçons, démocrates, communistes et, bien sûr, Juifs. L’armée française a été balayée mais ses fanfares jouent dans les kiosques. Radio Paris, contrôlée par la puissance occupante, ex­plique que la défaite était méritée. La résistance gaulliste répond sur les antennes de la BBC que “ Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ”. L’ordre nouveau du Maréchal Pétain exalte la terre — qui, selon le slogan du philosophe Emmanuel Berl[3], « ne ment pas », et aussi le grand air, le folklore. La radio diffuse des chansons paysannes jusqu’à satiété :

     

    Aimons nos montagnes

    Nos Alpes de neige

    Aimons nos campagnes

    Que Dieu les protège

     

    La chanteuse fantaisiste Marcelle Bordas s’illustre en vantant le retour à la terre :

     

    Ah, comme la France est belle

    Et comme on se sent fier

    D’être un de ses enfants

     

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    Le travail manuel est réhabilité, tout comme les exercices physiques. Maurice Chevalier, qui est depuis longtemps le chanteur français le plus populaire, crée “ La Chanson du maçon ” :

     

    Si tout le monde apportait son moellon

    Nous rebâtirions notre maison

    Qui deviendrait

    La maison du bon Dieu

     

    La radio pétainiste programme en priorité des chansons où la propagande se veut discrète, mais qui expriment la nostalgie pour un passé insouciant et un présent qui se veut éloigné des tristes réalités. La chanson d’amour se porte à merveille (“ Le premier rendez-vous ”), tout comme celle qui fait appel au fol­klore campagnard (“ Le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles ”), à une France éternelle, intouchée (“ Ça sent si bon la France ”, par Maurice Chevalier). Même Jacques Prévert, poète d’extrême-gauche qui animait peu de temps avant le début des hostilités le groupe théâtral Octobre, seule troupe d’agit-prop ayant connu quelque succès, se limite à des textes purement poétiques. Charles Trénet chante “ Terre ”, et André Dassary, basque très populaire, ancien chanteur de l’orchestre de Ray Ventura, “ Vive la terre de France ” :

     

    Pour que le pays soit plus beau

    Il faut des bras pour la charrue

     

    Pour Pétain le Front Populaire avait été une période de jouissance fautrice de décadence et de guerre. Il in­terdit les bals populaires où l’on dance, où l’on se touche, et où l’on peut parler. Les chansons s’adressent maintenant aux prisonniers et à toutes les personnes déplacées, déboussolées : “ Ça sent si bon la France ”. Le régime remet à l’honneur de vieilles chansons traditionnelles : “ Sur la route de Louviers ”, “ Une fleur au chapeau ”. Mais au hit-parade de la chanson pétainiste, grimpe en quelques semaines un véritable petit chef d’œuvre : “ Maréchal, nous voilà ” de Charles Courtiaux et André Montagard. André Dassary en fait l’hymne officieux  du régime :

     

    Une flamme sacrée

    Monte du sol natal;

    Et la France enivrée

    Te salue, Maréchal.

    Maréchal, nous voilà

    Devant toi, le sauveur de la France,

    Nous jurons, nous tes gars,

    De servir et de suivre tes pas.

    Maréchal, nous voilà,

    Tu nous as redonné l’espérance.

    La patrie renaîtra,

    Maréchal, Maréchal,

    Nous voilà!

     

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    Cela dit, les Allemands et Vichy se servent assez peu de la chanson dans la propagande de tous les jours. Rares sont les chansons qui prônent ouvertement la collaboration. Les hitlériens français empruntent au répertoire allemand (“ J’avais un camarade ”). la propagande préfère utiliser des vedettes de second plan pour proposer des programmes lénifiants, sans aucune prise avec le réel. C’est le cas d’André Claveau qui, à Radio Paris, station contrôlée par les Allemands, anime une émission pour les femmes, “ Cette heure est à vous ”. Outre Claveau, la plupart des vedettes des années trente poursuivent leur carrière, à Paris ou en zone non occupée : Raymond Legrand et son orchestre  s’engouffrent dans le créneau laissé vacant par Ray Ventura qui a dû émigrer, Jean Sablon (“ Je tire ma révérence ”), Léo Marjane, et, bien sûr, Édith Piaf, Charles Trénet et Maurice Chevalier. The show must go on at all costs. Les chanteurs acceptent quelques compromissions bénignes ou quelques prestations douteuses : un récital bien payé pour Radio Paris, un gala au profit du Secours National. Une minorité finira par accepter de se rendre en Allemagne en échange, pour satisfaire leur conscience, de la libération de quelques prisonniers de guerre. On trouve par exemple dans l’édition française de Signal un article sur Maurice Chevalier chantant “ Ya d’la joie ” devant une salle de prisonniers de guerre en janvier 1942, dans le Stalag d’Alten-Grabow où il avait été lui-même prisonnier pendant la première Guerre Mondiale. Il se dit “ reconnaissant aux autorités allemandes ” car, en échange de sa venue, elles ont libéré quelques Français[4]. Susy Delair, Albert Préjean, Viviane Romance répondent à l’invitation de Karl Frölich, le président de la Corporation du Cinéma Allemand. Piaf, Trénet, Léo Marjane[5], Raymond Legrand et son orchestre se produisent  dans des stalags ou dans des salles de spectacle de grandes villes al­lemandes jusqu’en 1943[6]. Le grand succès des premières années de guerre, celui qui, par delà l’horreur du conflit, unit les militaires et les civils français et allemands, reste la version française de “ Lily Marlène ”, créée par Suzy Solidor[7].

     

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    Le comique troupier Ouvrard est stipendié par l’organisation Kraft durch Freude. Pour l’occupant, les vedettes françaises, une fois leurs remords apaisés, doivent œuvrer en ambassadeurs auprès des prisonniers, puis des Français envoyés en Allemagne au titre du Service du Travail Obligatoire. Qu’elles le veuillent ou non, ces vedettes justifient la soumission de la France à l’Al­lemagne puisqu’elles font passer comme un état de fait naturel la collaboration politique, économique et culturelle entre les deux pays. Heureusement, ces faiblesses, ces compromissions avec l’occupant seront assez rares, malgré des cachets très substantiels. Un passage à Radio-Paris peut rapporter trente fois le salaire mensuel d’un ouvrier. Parfois même, en présence des Allemands, certaines vedettes se risquent à d’authen­tiques provocations. Ainsi, un soir de 1942, à la fin d’un tour de chant à l’A.B.C., Édith Piaf, illuminée par le drapeau tricolore français, lance devant plusieurs rangées d’officiers allemands : « Où sont-ils tous mes copains? ». Le public français exulte.[8]

     

    Rares sont les chanteurs allemands qui parviennent à s’imposer sur les scènes ou les ondes françaises. Quelques femmes réussissent dans un registre sensuel : Marika Rokk, Eva Busch et la suédoise Zarah Leander.

    Les Allemands et les Vichystes partagent la même préoccupation : distraire les Français, offrir à une société écrasée de problèmes mais qui, globalement est restée sur ses rails, les formes d’expression artis­tiques qu’elle souhaite : tradition et innovation afin d’éviter des troubles dans la population. Alors, comme le disait si bien le commandant du gross Paris, “ Paris sera toujours Paris ”. Dès juillet 1940, le Casino de Paris rouvre des portes sur lesquelles on peut lire “ Interdit aux Juifs et aux Chiens ”. Le grand hall d’entrée, couleur locale oblige, est transformé en brasserie. Mistinguett, la vedette féminine la plus populaire de France (inoubliable créatrice de “ Mon homme ”), y fait sa rentrée. Les Folies-Bergères rouvrent pour un public composé en très grande majorité d’officiers allemands. Les cabarets ne désemplissent pas : Le Lido, Le Bosphore, Le Tabarin. Tout comme les bordels, dont une dizaine sont réservés à l’usage exclusif des soldats allemands du rang et cinq aux officiers de la Wehrmacht. Le plus célèbre, le One-Two-Two, est situé rue de Provence, en plein centre de Paris. Mais la soldatesque n’est pas assez nombreuse pour permettre à ces maisons closes de faire leurs affaires, et les Allemands finissent par accepter les clients français. L’ambiance est alors merveilleuse, le champagne coule à flots. Les “ maisons” permettent des rencontres officieuses : les Allemands des bureaux d’achat clandestins côtoient les tortionnaires français et gestapistes de la rue Lauriston, mais aussi le Tout-Paris du spectacle : Sacha Guitry, Vincent Scotto, Maurice Chevalier, Tino Rossi.

     

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    En 1943, la collaboration politique jette ses derniers feux. Laval est bien seul à croire à la « pérennité de l’Europe nouvelle ». En mai, il propose au GauleiterSauckel la négociation d’un large ac­cord (ein Ausgleich)[9]. La Milice, organisation française fasciste armée par l’occupant et chargée de dé­truire la Résistance, est haïe de la population. La propagande pétainiste est désormais totalement sans ef­fet. Cela n’empêche pas Tino Rossi de dédier à ses amis du Stalag13B “ Quand tu reverras ton village ” (“ tu diras : rien chez moi n’a changé ”). En écho naissent quantité de chansons de résistance, de réelle solidarité avec les prisonniers, chansons “ scies ” détournant des succès bien établis, comme la Marseillaise des prisonniers :

     

    Ils sont foutus

    Et le monde avec allégresse

    Répète avec joie sans cesse

    Ils l’ont dans l’cul

    Dans l’cul.

     

    La France occupée est placée sous les ordres du Militärbefehlshaber. De son administration dépend la Propaganda Abteilung et la Propaganda Staffel qui, à Paris, surveille en particulier le monde du music-hall. Il est difficile de définir la politique de censure de ces services. On ne saurait dire qu’elle répond à des impératifs culturels précis, au sens où, par exemple, l’occupant ne cherche pas à imposer les modèles culturels dominant en Allemagne. Certaines manifestations qui seraient tenues pour décadentes en Allemagne sont tolérées en France[10]. En revanche, les Nazis sont très attentifs au respect de certains inter­dits politiques et raciaux : les Juifs et le communistes sont traqués. La chanson française sous l’occupation tentera assez peu de tromper la vigilance des censeurs. Ce sera, de toute façon, de manière indirecte. Ainsi, tel auteur omettra un couplet anglophile avant de soumettre son texte à la censure avant de le réintroduire une fois l’imprimatur obtenue. Ailleurs, certains auteurs risqueront des propos allusifs, comme, par exemple, pour “ La Chanson du maçon ” de M. Vandair et H. Betti. Un maçon chante une chanson reprise par un deuxième maçon, puis par un troisième etc., jusqu’à ce qu’il se crée un sentiment de solidarité dans la profession. Mais l’esprit corrosif était alors tellement peu marqué que la chanson fut perçu par les autorités de Vichy comme relevant de l’esprit de la Révolution Nationale, avant d’être interdite sur les ondes fran­çaises parce qu’elle avait été diffusée par la BBC.

     

    Si de nombreux chanteurs se produisirent à Radio Paris, voire en Allemagne, il ne faut pas oublier ceux qui refusèrent toute compromission avec l’occupant ou les collaborateurs, et qui s’exilèrent pour se mettre au service de la résistance à Londres. On citera, parmi d’autres, Pierre Dac, Joséphine Baker (la très populaire meneuse américaine de la “ Revue nègre ” dans les années trente), Germaine Sablon (la sœur de Jean Sablon), et Anna Marly.

     

    Une des armes favorites de ces résistants radiophoniques est la satire, dans laquelle excelle Pierre Dac (“ A dit Lily Marlène ”, “ La Défense élastique ”). D’autres textes, plus graves, parviennent jusqu’aux maquis, souvent par voie orale :

     

    Le vent souffle sur les tombes

    La liberté reviendra

    On nous oubliera

    Nous rentrerons dans l’ombre

     

    C’est à Londres, dans un petit club animé par la musicienne Anna Marly, que naîtra la chanson la plus célèbre de la Résistance, “ Le Chant des Partisans ”, sur des paroles de Joseph Kessel (ami de Mermoz et de Saint-Exupéry) et son neveu Maurice Druon (futur Académicien Français).

     

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    D’abord sifflé par l’acteur Claude Dauphin (ainsi, il perçait efficacement le brouillage ennemi) et chanté par Germaine Sablon dans le film d’Albert Cavalcanti Pourquoi nous combattons, ce chant poignant et violent est enregistré par Anna Marly, dans les studios de la BBC, puis imprimés dans les Cahiers de la Libération, et parachuté par la Royal Air Force en France. Ce chant est destiné à exprimer la force contenue que chaque combattant peut apporter au grand fleuve de la Résistance. Cet hymne de l’ombre est caractérisé par un rythme lent, une métrique inhabituelle — vers de 11 pieds, chute de 3 pieds —. La mélodie progresse par imitation et retrouve sonpoint de départ à chaque chute de rythme. Chant du combattant, il valorise le maquisard et, à travers lui, les classes sociales qui supportent l’essentiel de la lutte, qui payent « le prix du sang et des larmes ». La reconnaissance de cet état de fait par deux auteurs d’obédience gaulliste n’en est que plus significative.[11] Un murmure sourd, appel à combattre, devient ainsi un cri éclatant né des entrailles de la terre, et destiné à venger ceux qui sont morts au combat ou qui croupissent dans les geôles de l’occupant :

     

    Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux

    Sur la plaine?

    Ami, entends-tu le chant lourd du pays

    Qu’on enchaîne?

    Ohé, partisans, ouvriers et paysans

    A vos armes!

    Ce soir, l’ennemi connaîtra le prix du sang

    Et des larmes.

    […]

    Ici, nous, vois-tu

    Nous on marche,

    Nous on tue,

    Nous on crève!

     

    Dans un pays qui n’entrera en résistance que progressivement, un phénomène inattendu exprime, dans les villes du moins, un fossé entre générations : le mouvement zazou. Des jeunes bourgeois, passablement inconscients, défient l’ordre moral vichyste, voire l’occupant. Leurs motivations sont infiniment moins politiques que ludiques. Leur inspiration première vient d’outre-Atlantique : ils veulent swinguer et écouter du jazz. Le swing était apparu en France avant-guerre, défendu par exemple par Johnny Hess, le pianiste du duo Charles (Trénet) et Johnny (“ Je suis swing ”, “ Ils sont zazous ”). A partir de 1941, le swing contamine les productions d’artistes fort différents : le guitariste de jazz Django Reinhardt (qui enregistra des morceaux mémorables avec le violoniste Stéphane Grapelli et qui fut occasionnellement invité à se produire en direct à Radio-Paris qui oubliait ainsi qu’il était Gitan) introduit du swing dans son jeu, le chanteur un peu mièvre Réda Caire chante “ Swing swing, Madame ”, Jacques Pills propose “ Elle était swing ”. De musical, le mouvement devient culturel, dès lors que des bandes de jeunes adoptent un comportement swing, en s’affublant du nom de zazou, mot emprunté à une chanson de Johnny Hess (“ Je suis zazou, zazoué ”), ce chanteur ayant à l’oreille le “ Zah, zuh, zah ” de Cab Calloway (1933) :

     

    Now, here's a very entrancing phrase,
    It will put you in a daze,
    To me it don't mean a thing,
    But it's got a very peculiar swing!
    Zaz-zuh-zaz-zuh-zaz,
    Zaz-zuh-zaz-zuh-zay.

     

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    En un temps où tous les produits de base sont sévèrement rationnés, les zazous choquent principalement par leur tenue vestimentaire. Ils prennent le contre-pied du jeune homme tel que le propose la propagande pétainiste : vêtements stricts et fonctionnels sur un corps vigoureux et martial. Le zazou choque par son allure quasiment dégénérée : cheveux longs, veste longue, allure voûtée, nœud de cravate ridiculement petit, chaussettes multicolores, semelles compensées. La jeune fille zazoue porte une coiffure compliquée, une veste très longue, une jupe s’arrêtant au dessus du genou et des semelles compensées en bois. L’idole féminine des zazous est Irène de Trébert (“ Mademoiselle Swing ”), la femme de Raymond Legrand. Les zazous affichent que leurs priorités ne sont pas celles du régime, ni celles du peuple qui survit. S’habillant au marché noir de manière raffinée et ostentatoire, ils nient le discours pétainiste selon lequel la France doit payer par la souffrance la jouissance qu’a permis le Front Populaire en 1936-1937. Les zazous aiment le jazz, la danse syncopée par des rythmes américains, les surprises-parties (terme qu’ils importent), les cigarettes américaines de contrebande, les claquettes. Des jeunes pétainistes n’hésitent pas à les brutaliser physiquement, préfigurant le bashing des skinheads contre les hippies dans les années soixante. La propagande officielle les qualifie de décadents, de communistes ou de Juifs. De fait, ils appartiennent à des milieux aisés, non juifs et certainement pas communistes. Leur souci n’est pas de résister au sens noble du terme mais d’exprimer le refus de subir la guerre comme tout le monde, le droit de défier les interdits et l’espoir d’échapper au Service du Travail Obligatoire. Le mouvement zazou durera trois ans, jusqu’à la li­bération, l’arrivée des troupes américaines, avec leur musique, leurs films, leur Coca Cola. Les zazous tenteront de ressusciter dans les caves de Saint-Germain des Prés, mais en vain.

     

    Pour terminer, j'évoquerai l’évolution de deux monstres sacrés de la chanson française pendant ces années noires, Charles Trénet et Maurice Chevalier. Chevalier, qui âgé d’une cinquantaine d’années au début des hostilités jouit d’un statut de vedette internationale, fait assez rare pour un chanteur français; Trénet[13] qui, bien qu’âgé de vingt-sept ans seulement en 1940, est déjà le plus prometteur et le plus talentueux des auteurs compositeurs interprètes.

     

    Bien que sans engagement politique véritable, Trénet était apparu au moment du Front Populaire comme le chanteur exprimant le mieux les aspirations de la jeune aspiration de l’époque, celle qui put, grâce aux avancées sociales de 1936-7, jouir d’une liberté nouvelle, découvrir les routes de France, espérer en des lendemains meilleurs, bref errer sur “ La Route enchantée ” (1938) :

     

    Une étoile m’a dit,

    Deux étoiles m’ont dit :

    Connais-tu l’pays du rêve?

    […]

    Les joyeux matins

    Et les grands chemins

    Où l’on marche à l’aventure

     

    Jamais peut-être un chanteur français n’a exprimé avec autant de tonus (“ Je chante soir et matin ”) la joie de vivre. Et, avec discrétion mais très explicitement, un grain de folie qui, bizarrement, passe très bien après des siècles de cartésianisme :

     

    On voit l’facteur

    Qui s’envole là-bas

    Comme un ange bleu

    Portant ses lettres au Bon Dieu (“ Y’a d’la joie ”)

     

    Ficelle, tu m’a sauvé la vie

    Ficelle sois donc bénie

    Car grâce à toi

    J’ai rendu l’esprit

    Je m’suis pendu cet’ nuit

    Et depuis je chante

    Un fantôme qui chante

    On trouve ça rigolo (“ Je chante ”)

     

    On le surnomme d’ailleurs “ le fou chantant ”, peut-être en hommage à Al Johnson, “ The Singing Fool ”. Avec la débâcle et un bref passage dans l’armée de l’air, il choisit de rester et de travailler en France. Il reprend ses spectacle à Paris dès février 1941. En 1943, il accepte de se produire, accompagné par l’orchestre de Fred Adison[14], autre gloire de l’époque, pour des ouvriers français requis par le STO près de Berlin. Il accepte de faire du cinéma sous l’autorité du Comité d’Organisation des Industries Cinématographiques qui régente la profession selon les principes “ positifs ” de la Propaganda Abteilung[15]. Pendant la guerre, l’auteur compositeur Trénet continue dans la même veine poétique, gaie, un brin surréa­liste. Mais ses chansons semblent quitter le siècle et le temps : “ Que reste-t-il de nos amours? ”, “ La Romance de Paris ” ou “ L’Héritage infernal ” :

     

    L’histoire lamentable

    De fauteuils et de tables

    Qu’un ami détestable

    Vint raconter chez nous.

     

    Il fait parfois de timides allusions à l’actualité. Quand il compose “ Les Oiseaux de Paris ”, les mil­lions de Français qui ont souffert lors de l’évacuation savent qu’il évoque leur triste sort, même de manière biaisée. Sa seule chanson réellement engagée, “ Espoir ” est interdites sur les ondes de Radio-Paris. Il es­time que pour mieux attendre demain il faut s’arracher du présent, créer une poésie atemporelle pour rendre la cruelle réalité supportable.

     

    De la drôle de guerre à l’heure de la victoire, Maurice Chevalier se sera comporté en caméléon. Opportuniste, cherchant à tout instant d’où tournait le vent politique, il suit toutes les modes en en tirant le meilleur profit artistique. Dans la période de tous les dangers consécutive aux accords de Munich, Chevalier jouit de l’extraordinaire succès d’une chanson de 1936, insouciante et passablement vulguraire, apologie d’une oisiveté faubourienne, “ Ma Pomme ” (“ J’suis plus heureux qu’un roi ”). Il est, depuis le début des années vingt, une vedette internationale (il a tourné une quarantaine de films aux États-Unis), et il personnifie le brassage social qu’a occasionné la grande guerre : “ titi ” parisien originaire du quartier populaire de Ménilmontant, il s’est composé une silhouette élégante d’homme du monde (nœud papillon, costume impeccable). Mais son fameux canotier, qu’il porte sur le côté, connote le voyou qu’il a peut-être été dans sa jeunesse et rappelle le maquereau de sa chanson “ Prosper ”. L’image du prolo en smoking, parfaitement insouciant (il chante : « Dans la vie faut pas s’en faire » dans l’opérette Dédé) s’est donc imposée très facilement.

     

    En 1939, il prône l’union sacrée dans “ Et tout ça, ça fait d’excellents français ”, une chanson au rythme entraînant, militaire, mais qui dépeint une société souffreteuse, contrainte de faire la guerre. Pendant la drôle de guerre, le président du Conseil Paul Reynaud assure que « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », et la bourse tient bon. De même que l’armée, prête et formidable, et qui, théoriquement,  n’allait pas se risquer à de simples escarmouches. L’un des plus grands succès de l’hiver est une chanson que Maurice Chevalier interpréte au Casino de Paris, dépeignant l’armée comme le reflet de la société :

     

    Le colonel était d’Action française,

    Le commandant était un modéré,

    Le capitaine était pour le diocèse,

    Et le lieutenant boulottait du curé.

    Le juteux était un fervent socialiste,

    Le sergent un extrémiste[16] convaincu,

    Le caporal inscrit sur toutes les listes

    Et l’deuxième class’ au PMU.

     

    Le colonel avait de l’albumine,

    Le commandant souffrait du gros côlon,

    Le capitaine avait bien mauvaise mine,

    Et le lieutenant avait des ganglions.

    Le juteux avait des coliques néphrétiques,

    Le sergent avait le pylore atrophié,

    Le caporal un coryza chronique,

    Et l’deuxième class’ des corps aux pieds.

     

    Et tout ça, ça fait

    D’excellents Français,

    D’excellents soldats

    Qui marchent au pas.

     

    Avec une telle armée, la mobilisation eut tôt fait de tourner à l’immobilisation générale. Une chanson réflétant le fait que 5 millions d’hommes avaient été rappelés – un quart de la population masculine – dont la plupart n’avait plus rien à faire après 5 heures de l’après-midi, et pas grand chose le reste de la journée. Chaque soldat avait droit à trois-quart de litres de vin par jour. Pour tous ces hommes, la Pologne ne représentaient rien et combattre pour la démocratie n’avait guère plus de sens. Ils se bornaient à accomplir leur devoir en espérant regagner leur foyer au plus vite. Chevalier dresse une typologie très partielle de la société française, composée à ses yeux de gens qui tra­vaillent dans la finance, l’assurance, l’industrie, la Banque de France et la rente. Les paysans et les ou­vriers qui constituent alors 80% de la population française sont donc exclus du tableau. Tous ces braves gens “ marchent au pas ” , mais sont affectés de maladies ridicules, albumine, pilore atrophié, ganglions, co­liques néphrétiques, cors aux pieds. La chanson présente donc une armée vouée à la défaite mais qui saura se transcender grâce aux deux potions magiques que le monde entier envie aux Français : “ le pinard et le tabac ”. Cette chanson envoie donc un double message contradictoire : les Français ont réappris à marcher au pas et sont prêts à se battre, mais l’ensemble des appelés n’est qu’une cohorte de quadragénaires déglingués qui, de toute façon, « désirent tous désormais qu’on [leur] foutent une bonne fois la paix ». Bref, si Hitler écoute attentivement, il n’a guère de souci à se faire.

     

    L’article 18 de l’armistice contraignait la France à payer 20 millions de marks par jour au titre des frais d’occupation de l’armée allemande. De nombreuses usines travaillaient directement pour Berlin. Les soldats allemands consommaient une bonne partie de la production alimentaire française (les tickets de ra­tionnement donnaient droit à l’équivalent de 1500 calories par jour). C’est dans ce contexte de pénurie sans précédent que Maurice Chevalier crée en pleine guerre les “ Semelles de bois ” une chanson qui légitimise le pillage du pays. Il poétise l’inconfort pédestre auquel les femmes sont désormais condamnées :

     

    J’aime le tap-tap

    Des semelles en bois

    En marchant les midinettes

    Semblent faire des claquettes

    Tap-tap la symphonie

    Des beaux jours moins vernis

     

    Et il termine même sur une touche franchement érotique : « Ah, qu’c’est bon! ».

    La passivité, la complaisance de Chevalier déplaisent souverainement aux Français de Londres. En février 1944, Pierre Dac décrète qu’il sera « puni selon la gravité de ses fautes » :

     

    « Quand, un jour prochain, nous leur ferons avaler leur bulletin de naissance, il est infiniment probable que la rigolade changera de camp et que, cette fois, il n’y aura pas de mou dans la corde à nœud. »[17]

     

    Chevalier se demande alors s’il ne risque pas d’être condamné à mort[18]. Il se cache en Dordogne (le Périgord étant son Sigmaringen), où les maquis sont très actifs [19]. Il est arrêté, puis libéré grâce à sa com­pagne juive, Nita, qui l’emmène à Toulouse, la ville la plus “ rouge ” de France à ce moment-là :

     

    « On s’y serait cru dans une ville espagnole pendant la guerre civile. Les rues étaient pleines de soldats en uniformes plus ou moins réguliers. Des jeunes femmes en mantilles priaient dans les églises; dans les cafés et dans les bureaux de la radio, les intellectuels parlaient de Paris, ville réactionnaire. » [20]

     

    Chevalier en réchappera grâce, entre autres, à l’intervention de Louis Aragon. Il aura été jusqu’au bout un chanteur de consensus, inscrivant systématiquement ses chansons dans les normes dominantes, servant de caution populaire à l’ordre en vigueur.

     

     

     


    [1] ORY, Pascal. “ L’histoire culturelle de la France contemporaine. Question et questionnement ”, Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 16, octobre-décembre 1987, p. 74.

     

    [3] Berl résume dans sa personne les errements et les égarements de nombreux intellectuels français des années vingt aux années quarante. Issu d’une famille juive aisée, apparenté à Proust et à Bergson, il fut l’ami de Drieu la Rochelle avec qui il dirigea en 1927 l’éphémère revue Les Derniers Jours. Il publie en 1930 le très remarqué Mort de la pensée bourgeoise et collabore à Monde, le périodique de l’écrivain Henri Barbusse, proche du Parti Communiste. En 1932, il prend la direction de Marianne, revue culturelle et politique de gauche lancée par Gaston Gallimard. Il apprécie les avancées sociales du Front Populaire en 1936, mais il marque sa préférence pour les sentiments nationaux contre les revendications excessives. Il approuve la politique de non-intervention de Léon Blum dans la Guerre Civile Espagnole. Il fréquente le Tout-Vichy en 1940-41, vit en semi clandestinité à partir de 1942, craignant à juste titre les persécutions antisémites consécutives à l’invasion de la zone libre. Sa cousine ayant épousé Fernand de Brinon (délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités d’occupation à Paris, condamné à mort et exécuté en 1947), il jouit d’une protection certaine. Il était le mari de la chanteuse Mireille (“ Couchés dans le foin ”).

     

    [4] Dans ces mémoires, Chevalier expose, penaud, comment les Allemands ont exploité son manque de résolution : « La direction de Radio Paris [station entièrement contrôlée par les Allemands] me fait convoquer :

    — Nous désirons que vous fassiez des émissions artistiques à Radio Paris comme vous en avez toujours fait à la Radio Française…

    […] Je sais trop bien ce qu’un refus catégorique me vaudrait par la suite. Il faut tergiverser, composer : ‘ Je ne puis rester que quelques semaines à Paris, vous comprenez, ma famille est dans le midi. ’ Je rougis un peu, l’homme me fixe. Je pense m’en être tiré intelligemment. Ne pas les mettre en boule contre moi, tout en faisant comprendre aux Français, par mon court séjour à Paris, que je ne fais que ce qui est absolument obligatoire. » Maurice Chevalier. Ma Route et mes chansons. (Paris, René Julliard, 1950) 309.

    [5] Léo Marjane fut la créatrice de l’énorme succès “ Je suis seule ce soir ” (1942). La version masculine fut popularisée par André Claveau, le “ Prince de la chanson de charme ”. Les deux millions de prisonniers français en connaissaient par cœur le refrain :

    Je suis seul ce soir

    avec mes rêves.

    Je suis seul ce soi

    sans ton amour.

    A la Libération, il fut reproché à Léo Marjane de s’être produite sur les antennes de Radio Paris et dans des cabarets devant des officiers allemands. « Je suis myope », répondra-t-elle devant la Chambre Civique et au Comité d’Epuration en 1945.

    [6] Dans les années vingt et trente, les échanges culturels entre les deux pays avaient été très substantiels, la France exerçant sur l’art populaire allemand (chanson, cinéma) un fort attrait. Dès les années vingt, Maurice Chevalier et Mistinguett s’étaient produits avec grand succès en Allemagne. Le film allemand Bel Ami, écrit d’après la chanson de Tino Rossi, elle-même inspirée de Maupassant, avait connu la célébrité à la fin des années trente.

    [7] Une première version de “ Lily Marlène ” vit le jour en 1915, suivie d’une seconde en 1935, d’une troisième en 1937 et d’une quatrième en 1939, toutes sans le moindre succès. Un soir de 1941, la chanson fut diffusée, dans une version de L. Andersen, par une station militaire allemande installée à Belgrade. Du jour au lendemain, “ Lily Marlène ” devint le plus grand succès de la guerre et fut considérée comme le second hymne national allemand.

    [8] Berteaut, Simone. Piaf. (Paris : Robert Laffont, 1969), p. 209.

     

    [1] Voir Paxton, Robert. La France de Vichy. (Paris : Le Seuil, 1973), chap. 4.

    [10] À noter cependant que les nazis ont longtemps toléré en Allemagne certaines expressions culturelles théoriquement honnies comme le jazz, musique “ nègre ” ou la comédie musicale d’inspiration nord-américaine. En France, Alix Combelle et son orchestre avaient enregistré une version de “ In the Mood ” (“ Ambiance ”) en 1941.

    [11] Le “ Chant des partisans ” sera enregistré magnifiquement par Yves Montand en 1955. Voir C. Brunschwig (et al.). Cent ans de chanson française. (Paris : Le Seuil, 1981) 88.

    [12]

    [13] Né à Narbonne en 1917, Trénet fut la cible d’antisémites délirants; Accusé de s’appeler Netter (anagramme de Trénet) et d’être petit-fils de juif, il dut produire un fort complet arbre généalogique pour prouver son “ aryanité ”. Lucien Rebatet, écrivain collaborationniste de choc, trouvait que Charles Trénet ressemblait aux « clowns judéo-américains ».

    [14] Chef d’orchestre français (de son vrai nom Albert Lapeyre, né à Bordeaux en 1918) influencé par les orchestres de jazz symphoniques (comme celui de Paul Whiteman).

    [15] Deux cent vingts longs métrages ont été réalisés pendant la guerre, dont deux bonnes dizaines de très grands films. Trente et un films français seront produits par la Continental, filiale de la société allemande U.F.A.

    [16] Cela aurait certainement écorché son palais si Chevalier avait dû prononcer le mot “ communiste ”.

    [17] DAC, Pierre. Un Français libre à Londres en guerre. Paris : France-Empire, 1972.

    [18] CHEVALIER, Maurice. Ma route et mes chansons. Paris : Julliard, 1946.

    [19] André Malraux a combattu dans cette région à cette époque.

    [20] HUGO, Jean. Le Regard de la mémoire. Arles : Actes Sud, 1984.

    SOURCES /

    https://blogs.mediapart.fr/bernard-gensane/blog/120913/la-chanson-francaise-sous-l-occupation-allemande-une-douteuse-cohabitation

     http://bernard-gensane.over-blog.com

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    Suzy Solidor, de son vrai nom Suzanne Louise Marie Marion, est une chanteuse, actrice et romancière française, née le 18 décembre 1900 à Saint-Servan et morte le 30 mars 1983 à Cagnes-sur-Mer.

    Сюзи Солидор The many faces of Suzy Solidor 

     

     

    Figure emblématique des années 1930, symbole de la garçonne des « Années folles », elle a contribué à populariser auprès du grand public le milieu homosexuel parisien, célébrant dans plusieurs de ces chansons les amours lesbiennes (OuvreObsession, etc.).

    Biographie

    Suzy Solidor nait de père inconnu à Saint-Servan-sur-Mer (commune aujourd'hui rattachée à Saint-Malo) dans le quartier de la Pie. Sa mère, Louise Marie Adeline Marion, âgée de près de trente ans, est alors domestique de Robert Henri Surcouf, avocat, député de Saint-Malo et armateur, descendant de la famille du célèbre corsaire (selon Suzy Solidor, celui-ci serait son véritable père).

     

    Suzy+Solidor+sudio+photo The many faces of Suzy Solidor 

     

    Pour échapper à sa condition de fille-mère, Louise Marion épouse le 10 septembre 1907 Eugène Prudent Rocher qui reconnaît la petite Suzanne, alors âgée de sept ans. Celle-ci prend dès lors le nom de Suzanne Rocher. La famille s'installe dans le quartier de Solidor à Saint-Servan, qui inspirera plus tard son nom de scène à Suzy. Elle est alors la voisine de Louis Duchesne, chemin de la Corderie, sur la cité d'Aleth.

     

     

    fougita The many faces of Suzy Solidor 

     

    Suzy Solidor, Foujita and Yvonne de Bremon, Deauville, 1920

     

    Une « garçonne »

     

    Elle apprend à conduire en 1916 et passe son permis l'année suivante, ce qui à l'époque était exceptionnel pour une femme. Peu avant l'armistice de 1918, promue chauffeur des états-majors, elle conduit des ambulances sur le front de l'Oise, puis de l'Aisne.

    Après la guerre, elle s'installe à Paris.

     

     

    C'est à cette époque qu'elle rencontre Yvonne de Bremond d'Ars, qui sera sa compagne pendant onze ans et avec laquelle elle s'initie au métier d'antiquaire.

     

    Après leur séparation en 1931, Suzy Solidor a plusieurs liaisons,

    dont une avec l'aviateur Jean Mermoz.Afficher l'image d'origine

     

     

    Elle se tourne vers la chanson en 1929, et prendra peu après le pseudonyme sous lequel elle est connue.

     

    Elle fait ses débuts à Deauville, au cabaret Le Brummel.

     

    Sa voix grave, quasi masculine ("une voix qui part du sexe" selon Jean Cocteau), son physique androgyne, ses cheveux blonds et sa frange au carré marquent les esprits. Icône de la chanson « maritime », elle se produit en 1933 avec succès à L'Européen puis ouvre rue Sainte-Anne « La Vie parisienne », un cabaret « chic et cher », lieu de rencontres homosexuelles, où chante entre autres le jeune Charles Trenet.

     

     

    Sa réputation lui vaut d'apparaître en 1936 dans l'adaptation cinématographique du roman sulfureux de Victor Margueritte, La Garçonne. Elle devient parallèlement l'égérie des photographes des magazines de mode et des peintres, sa silhouette sculpturale inspirant plus de 200 d'entre eux, parmi lesquels Raoul Dufy, Maurice de Vlaminck, Francis Picabia, Man Ray, Jean-Gabriel Domergue, Jean-Dominique Van Caulaert, Kees van Dongen, Arthur Greuell, Foujita, Marie Laurencin, Francis Bacon et Jean Cocteau. Son portrait le plus célèbre est réalisé par Tamara de Lempicka en 1933.

     

     

    Кабаре Сюзи Солидор в О де Кань The many faces of Suzy Solidor 

     

    L'Occupation

    Durant l’Occupation, son établissement est fréquenté par de nombreux officiers allemands. Suzy Solidor ajoute à son répertoire une adaptation française de Lili Marleen, une chanson allemande adoptée par les soldats de la Wehrmacht (avant de l'être par les armées alliées) qu'elle interprète de façon régulière à la radio.

     

    Ses activités (selon André Halimi, "elle mériterait un brevet d'endurance pour l'inlassable activité qu'elle mena pendant l'Occupation, car elle passe d'un cabaret à l'autre, d'une radio à l'autre, d'un music-hall à l'autre") lui valent d'être traduite à la Libération devant la commission d'épuration des milieux artistiques, qui lui inflige un simple blâme mais lui impose une interdiction provisoire d’exercer.

     

     

    32 The many faces of Suzy Solidor 

     

    Elle cède alors la direction du cabaret à la chanteuse Colette Mars, qui y avait fait ses débuts, et part pour les États-Unis.

    110 The many faces of Suzy Solidor

     

     

    L'Après-guerre

    De retour à Paris, elle ouvre en février 1954 le cabaret « Chez Suzy Solidor », rue Balzac (près des Champs-Élysées) qu'elle dirige jusqu'au début 1960 avant de se retirer sur la Côte d'Azur. Elle s'installe à Cagnes-sur-Mer où elle inaugure la même année un nouveau cabaret, « Chez Suzy », décoré de 225 de ses portraits.

     

    Elle s'y produit jusqu’en 1966 avant de prendre la direction d'un magasin d'antiquités, place du château de Haut-de-Cagnes.

     

     

    En 1973, elle offre à la ville de Cagnes-sur-Mer une quarantaine de ses portraits, qui figurent aujourd'hui parmi les œuvres remarquables du musée de la ville (musée-château Grimaldi). Elle meurt le 30 mars 1983 et est enterrée à Cagnes.

     

     

    Répertoire

     

    Romans

    Térésine, éditions de France, Paris, 1939 (220 p.)

      • Fil d'or, éditions de France, Paris, 1940 (217 p.) - roman dédié "à ceux du large et à ceux du bled, à tous ceux des avant-postes, à ceux qui tiennent les portes de l'Empire..."
      • Le Fortuné de l'Amphitrite, éditions de France, Paris, 1941 (213 p.)
      • La vie commence au large, éditions du Sablon, Bruxelles-Paris, 1944 (242 p.)

     

     

    Théâtre

      • 1937 : L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht, adaptation française de André Mauprey et Ninon Tallon, mise en scène de Raymond Rouleau et Francesco von Mendelssohn, théâtre de l'Étoile : Jenny-la-Paille
      • 1951 : L'École des hommes de Jean-Pierre Giraudoux, théâtre Michel - pièce écrite pour elle, où elle incarne une artiste peintre qui n'aime pas les hommes.

     

     

    Filmographie

      • Escale (1935) de Jean Dalray
      • La Garçonne (1936) de Jean de Limur, d'après le roman-éponyme de Victor Margueritte
      • La Femme du bout du monde (1937) de Jean Epstein
      • Ceux du ciel (1941) de Yvan Noé

     

     

     

    Notes et références

     

    Voir aussi

    Bibliographie

      • Véronique Mortaigne, « Solidor, furieux baisers », Le Monde 19552 du mardi 4 décembre 2007
      • Marie-Hélène Carbonel, Suzy Solidor : Une vie d'amours, coll. Temps mémoire, éd. Autres Temps, 2007
      • Didier Eribon (dir.), Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, 2003.

     

     

    Discographie

      • Martin Pénet (éd.), Chansons interlopes, 1906-1966, Labelchanson, 2006 (2CD)
      • Martin Pénet (éd.), Suzy Solidor au cabaret, enregistrements rares et inédits (1933-1963), Labelchanson, 2007

     

     

    SOURCES / http://www.musicme.com/Suzy-Solidor/biographie/

     

     

     

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    Le mariage au début du Moyen Age

    Par Georges Duby

    Article de Historia N°503, novembre 1988


    Le Moyen Age a-t-il encore des secrets pour George Duby ? On pourrait en douter en parcourant la liste des ouvrages de cet académicien, professeur au Collège de France et directeur du Centre d'études des sociétés méditerranéennes.
     

      

    Depuis l'Histoire de la Civilisation française (1958) jusqu'à Mâle Moyen Age édité en 1988 par Flammarion, G. Duby n'a cessé d'approfondir notre passé quotidien. II nous rappelle aujourd'hui que la place faite au mariage dans l'organisation de la société féodale est loin de l'image de l'amour courtois chanté par les poètes.

    Comme tous les organismes vivants, les sociétés humaines sont le lieu d'une pulsion fondamentale qui les incite à perpétuer leur existence, à se reproduire dans le cadre de structures stables.

     

    La permanence de ces structures est, dans les sociétés humaines, instituée conjointement par la nature et parla culture. Aux prescriptions du code génétique individuel s'ajoutent donc celles d'un code de comportement collectif, d'un ensemble de règles qui se voudraient elles aussi infrangibles et qui entendent définir d'abord le statut respectif du masculin et du féminin, répartir entre les deux sexes le pouvoir et les

     

     

      

    fonctions, contrôler ensuite ces événements fortuits que sont les naissances, substituer à la filiation maternelle, la seule évidente, la filiation paternelle, désigner enfin parmi tous les accouplements possibles les légitimes, entendons ceux qui sont seuls tenus pour susceptibles d'assurer convenablement la reproduction du groupe

     

    - bref de règles dont l'objet est, bien sûr, d'instituer un couple, d'officialiser la confluence de deux "sangs", mais plus nécessairement d'organiser, par-delà celle des deux personnes, la conjonction de deux cellules sociales, de deux « maisons », afin que soit engendrée une cellule de forme semblable. Ce système culturel, c'est le système de parenté.

      

    Ce code est le code matrimonial. Au centre de ces mécanismes de régulation, dont la fonction est primordiale, prend place en effet le mariage.
    Régulation, officialisation, contrôle, codification : l'institution matrimoniale se trouve, par sa position même et par le rôle qu'elle assume, enfermée dans une stricte armature de rites et d'interdits - de rites, puisqu'il s'agit de rendre public, et par là de socialiser, de légaliser un acte privé - d'interdits, puisqu'il s'agit de tracer la frontière entre la norme et la marginalité, le licite et l'illicite, le pur et l'impur.

     

    Pour une part, ces interdits, ces rites relèvent du profane.

      

    Pour une autre part, ils relèvent du religieux, puisque par la copulatio la porte s'entrouvre sur le domaine ténébreux, mystérieux, terrifiant de la sexualité et de la procréation, c'est-àdire sur le champ du sacré. Le mariage se situe par conséquent au carrefour de deux ordres, naturel et surnaturel.

      

     

     

    Dans bien des sociétés, et notamment dans la société du haut Moyen Age, il est régi par deux pouvoirs distincts, à demi conjugués, à demi concurrents, par deux systèmes régulateurs qui n'agissent pas toujours en concordance, mais qui l'un et l'autre prétendent emprisonner étroitement le mariage dans le droit et le cérémonial.

     


    L'institution matrimoniale se prête beaucoup mieux que nombre de faits sociaux à l'observation des historiens de la chrétienté médiévale. Ils peuvent la saisir, et très tôt, par l'intermédiaire de textes explicites.

     

    Mais cet avantage a son revers.

    graal  

    Le médiéviste, dont la position déjà est beaucoup moins assurée que celle des ethnologues analysant des sociétés exotiques, et même que celle des historiens de l'Antiquité, puisque la culture qu'il étudie est en grande partie la sienne, qu'il reste malgré lui prisonnier d'un rituel et d'un système de valeurs qui ne sont pas foncièrement différents de ceux qu'il examine et qu'il souhaiterait démythifier, n'atteint aisément du mariage que son écorce, ses apparences extérieures, publiques, formelles.

     

     

    De ce qui remplit cette coquille, dans le privé, dans le vécu, tout ou presque tout lui échappe.

    Epouse en pleurs - 74 ko
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    Entre la théorie et la pratique une marge existe dont l'historien, comme le sociologue mais beaucoup plus malaisément que lui, doit s'appliquer à repérer l'extension. L'écran que dressent les formules peut abuser d'ailleurs de manière plus insidieuse. je prends l'exemple de ces titres de donation ou de vente où, dans le cours du XII, siècle, en certaines provinces, mention est faite de plus en plus fréquemment de l'épouse aux côtés de son mari. doit-on voir là le signe d'une effective promotion de la femme, d'un desserrement de l'emprise exercée par les mâles au sein du ménage, bref de la progressive victoire du principe de l'égalité des conjoints que l'Église, à ce moment même, travaille à faire accepter ?

     

    Ne faut-il pas plutôt considérer que, s'agissant de droits sur des biens, sur un héritage, l'épouse est requise d'intervenir moins en raison de ce qu'elle détient que de ce qu'elle garantit et transmet, et que le lent retrait du monopole marital accroît davantage sur la fortune du couple les prérogatives des mâles de son lignage et de sa progéniture que les siennes propres ?

     

      

    Si l'historien adoptait sans précautions le point de vue des ecclésiastiques, lesquels ont rédigé à peu près tous les témoignages dont nous pouvons disposer, il en viendrait, à prendre pour argent comptant ce que ces hommes, qui pour la plupart étaient célibataires ou affectaient de l'être, exprimèrent des réalités conjugales.

     harpe celtique

    L'histoire du mariage n'est pas la même aux divers degrés de la hiérarchie des conditions sociales, au niveau des maîtres d'une part, au niveau des exploités de l'autre. Pouvoir sacré dont l'autorité anime et soutient l'infatigable action des prêtres pour insérer le mariage dans la totalité d'une entreprise des moeurs, et pour, dans cet ensemble, le situer à sa juste place.

     

    Au cours de cette compétition séculaire, le religieux tend à l'emporter sur le civil. L'époque est celle d'une progressive christianisation de l'institution matrimoniale. Insensiblement les résistances à cette acculturation fléchissent, ou plutôt sont contraintes de se retrancher sur des positions nouvelles, de s'y fortement établir pour s'y préparer à d'ultérieures contre-offensives.

    graal 

    Disposons donc en premier lieu, face à face, les deux systèmes d'encadrement, qui par leurs desseins sont presque entièrement étrangers l'un à l'autre : modèle laïque, chargé, dans cette société ruralisée, de préserver, au fil des générations, la permanence d'un mode de production ; modèle ecclésiastique dont le but, intemporel, est de réfréner les pulsions de la chair, de refouler le mal, en endiguant dans de strictes retenues les débordements de la sexualité.

    Maintenir d'âge en âge l'« état » d'une maison cet impératif commande toute la structure du premier de ces modèles. En proportion variable selon les régions, selon les ethnies, les traditions romaines et les traditions barbares se combinent dans les matériaux dont il est construit ; de toute manière cependant, il prend assise sur la notion d'héritage. Son rôle est d'assurer sans dommage la transmission d'un capital de biens, de gloire, d'honneur, et de garantir à la descendance une condition, un « rang » au moins égal à celui dont bénéficiaient les ancêtres.

      

    Moyen-Age

      

    Tous les responsables du destin familial, c'est-à-dire tous les mâles qui détiennent quelque droit sur le patrimoine, et à leur tête l'ancien qu'ils conseillent et qui parle en leur nom, considèrent par conséquent comme leur premier droit et leur premier devoir de marier les jeunes et de les bien marier.

      

    C'est-àdire, d'une part, de céder les filles, de négocier au mieux leur pouvoir de procréation et les avantages qu'elles sont censées léguer à leur progéniture, d'autre part d'aider les garçons à prendre femme. A la prendre ailleurs, dans une autre maison, à l'introduire dans cette maison-ci où elle cessera de relever de son père, de ses frères, de ses oncles pour être soumise à son mari, mais toutefois condamnée à demeurer toujours une étrangère, un peu suspecte de trahison furtive dans ce lit où elle a pénétré, où elle va remplir sa fonction primordiale : donner des enfants au groupe d'hommes qui l'accueille, qui la domine et qui la surveille. La position qu'ils occuperont dans le monde, les chances qu'ils auront à leur tour d'être bien mariés dépendent des clauses de l'alliance conclue lors du mariage de leurs parents.

     

    Moyen-Age

    C'est dire l'importance de cet accord, c'est comprendre qu'il soit l'aboutissement de longues et sinueuses tractations en quoi tous les membres de chacune des maisonnées sont impliqués.
    Stratégie à long terme, prévoyante, et ceci explique que souvent l'arrangement entre les deux parentés, les promesses échangées précèdent de fort loin la consommation du mariage.

      

    Stratégie qui requiert la plus grande circonspection puisqu'elle vise à conjurer, par le recours à des compensations ultérieures, le risque d'appauvrissement que, dans une société agraire, courent les lignages dès qu'ils deviennent prolifiques. II semble bien que trois attitudes orientent principalement les négociations qui se développent alors en préambule à tout mariage : une propension, consciente ou non, à l'endogamie, à trouver des épouses dans le cousinage, parmi la descendance d'un même ancêtre, parmi les héritiers d'un même patrimoine, dont l'union matrimoniale tend ainsi à rassembler les fragments épars plutôt que de les dissocier davantage ; la prudence, qui engage à ne pas multiplier outre mesure les rejetons, donc à limiter le nombre de nouveaux ménages,

      

    à maintenir par conséquent dans le célibat une part notable de la progéniture ; la méfiance enfin, la cautèle dans les détours du marchandage, la précaution de se garantir, le souci de part et d'autre d'équilibrer les cessions consenties et les avantages attendus.

     oiseaux 

    En clôture de ces palabres, des gestes et des paroles publiques, un cérémonial lui-même dédoublé. D'abord les épousailles, c'est-à-dire un rituel de la foi et de la caution, des promesses de bouche, une mimique de la dévestiture et de la prise de possession, la remise de gages, l'anneau, les arrhes, des pièces de monnaie, le contrat enfin que, dans les provinces au moins où la pratique de l'écriture ne s'est pas tout à fait perdue, l'usage impose de rédiger.

    Preux chevaliers et gentes dames 

      

    Ensuite les noces, c'est-à-dire un rituel de l'installation du couple dans son ménage : le pain et le vin partagés entre l'époux et l'épouse, et le banquet nombreux qui nécessairement environne le premier repas conjugal ; le cortège conduisant la mariée jusqu'à sa nouvelle demeure ; là, le soir tombé, dans la chambre obscure, dans le lit, la défloration, puis au matin, le cadeau par quoi s'expriment la gratitude et l'espoir de celui dont le rêve est d'avoir, en fécondant dès cette première nuit sa compagne, inauguré déjà ses fonctions de paternité légitime.

     

    églises

      

    Cette société n'est pas strictement monogame. Sans doute n'autorise-t-elle qu'une seule épouse à la fois. Mais elle ne dénie pas au mari, ou plutôt à son groupe familial, le pouvoir de rompre à son gré l'union, de renvoyer la femme pour en chercher une autre, et de relancer à cette fin la chasse aux beaux partis. Tous les engagements des épousailles, le sponsalicium, le dotalicium, ont, entre autres rôles, celui de protéger dans leurs intérêts matériels l'épouse répudiée et son lignage.

     

    Le champ de la sexualité masculine, de la sexualité licite, n'est nullement renfermé dans le cadre conjugal. La morale reçue, celle que chacun affecte de respecter, oblige certes le mari à se satisfaire de son épouse, mais elle ne l'astreint nullement à ne point user d'autres femmes avant son mariage, durant ce qu'on appelle au XII- siècle la « jeunesse » , ni après, dans son veuvage.

    De nombreux indices attestent le vaste et très ostensible déploiement du concubinage, des amours ancillaires et de la prostitution, ainsi que l'exaltation, dans le système de valeurs, des prouesses de la virilité.

     

    En revanche, chez la fille, ce qui est exalté et ce que cherche précautionneusement à garantir toute une imbrication d'interdits, c'est la virginité, et chez l'épouse, c'est la constance. Car le dérèglement naturel à ces êtres pervers que sont les femmes risquerait, si l'on n'y veillait, d'introduire au sein de la parenté, parmi les héritiers de la fortune ancestrale, des intrus, nés d'un autre sang, clandestinement semés, de ces mêmes bâtards que les célibataires du lignage répandent par une allègre générosité hors de la maison ou dans les rangs de ses serviteurs.

     

      

    Cette morale est domestique. Elle est privée. Les sanctions qui la font respecter le sont aussi la vengeance d'un rapt appartient aux parents mâles de la fille, la vengeance d'un adultère au mari et à ses consanguins. Mais comme il est loisible d'appeler à la rescousse les assemblées de paix et la puissance du prince, place est naturellement faite au rapt et à l'adultère dans les législations civiles.
    Du modèle proposé par l'Église nous sommes mieux informés par quantité de documents et d'études.
     

      

    Toutefois, puisque les humains, hélas, ne se reproduisent pas comme les abeilles et qu'ils doivent pour cela copuler, et puisque parmi les pièges que tend le démon, il n'en est pas de pire que l'usage immodéré des organes sexuels, l'Église admet le mariage comme un moindre mal.

      

    Elle l'adopte, elle l'institue - et d'autant plus aisément qu'il fut admis, adopté, institué par jésus - mais à condition qu'il serve à discipliner la sexualité, à lutter efficacement contre la fornication.

     


    Pas de plaisir charnel :

    A cette fin, l'Église propose d'abord une morale de la bonne conjugalité. Son projet tâcher d'évacuer de l'union matrimoniale ces deux corruptions majeures, la salissure inhérente au plaisir charnel, les démences de l'âme passionnée, de cet amour sauvage à la Tristan que les Pénitentiels cherchent à étouffer lorsqu'ils pourchassent les philtres et autres breuvages enjôleurs. Quand ils s'unissent, les conjoints ne sauraient donc avoir d'autre idée en tête que la procréation. Se laissent-ils aller à prendre à leur union quelque plaisir, ils sont aussitôt « souillés », « ils transgressent, dit Grégoire le Grand, la loi du mariage  ».

      

    Et même s'ils sont restés de marbre, il leur faut se purifier s'ils veulent après coup s'approcher des sacrements. Qu'ils s'abstiennent de tout commerce charnel pendant les temps sacrés, sinon Dieu se vengera ; Grégoire de Tours met en garde ses auditeurs : les monstres, les estropiés, tous les enfants malingres sont, on le sait bien, conçus dans la nuit du dimanche .

     

      

    Quant à la pratique sociale du mariage, l'Église s'emploie à rectifier les coutumes laïques sur plusieurs points. Ce faisant, elle déplace sensiblement les bornes entre le licite et l'illicite, étendant d'un côté la part de liberté et la restreignant de l'autre.

      

    Les ecclésiastiques travaillent ainsi à assouplir les procédures conclusives de l'union matrimoniale lorsque leur horreur du charnel les incite à transporter l'accent sur l'engagement des âmes, sur le consensus, sur cet échange spirituel au nom de quoi, à la suite de saint Paul, le mariage peut devenir la métaphore de l'alliance entre le Christ et son Eglise ; ceci les pousse en effet dans une voie qui mène à libérer la personne des contraintes familiales, à faire des accordailles une affaire de choix individuel ; qui mène aussi, puisque l'on proclame que la condition des individus ne doit en rien gêner l'union des coeurs, à légitimer le mariage des non-libres, et à l'émanciper de tout contrôle seigneurial.

      

    Inversement l'Église vient resserrer les entraves quand, luttant pour une conception absolue de la monogamie, elle condamne la répudiation, le remariage, elle exalte l'ordo des veuves ; lorsqu'elle s'efforce de faire admettre une notion démesurément élargie de l'inceste, lorsqu'elle multiplie les empêchements en raison de la consanguinité et de toute forme de parenté artificielle.

     

      

    Dernier point : les prêtres s'immiscent peu à peu dans le cérémonial du mariage pour en sacraliser les rites, et spécialement ceux des noces, accumulant autour du lit nuptial les formules et les gestes destinés à refouler le satanique et à contenir les conjoints dans la chasteté.

     

    A partir du XIe et XII, siècles il est intéressant de considérer les modifications qui, dans la société aristocratique, affectent insensiblement durant cette période la stratégie matrimoniale. Les structures de parenté paraissent bien en effet se transformer alors dans ce milieu, par la lente vulgarisation d'un modèle royal, c'est-à-dire lignager, privilégiant dans la succession la masculinité et la primogéniture.

      

    Ce mouvement, qui n'est d'ailleurs qu'un aspect de ce glissement général par quoi se dissocie et peu à peu se pulvérise le pouvoir régalien de commander, par quoi se distribuent, se répandent en d'innombrables mains jusqu'au dernier degré de la noblesse, les vertus, les devoirs et les attributs royaux, détermine à l'égard du mariage, à l'intérieur des cellules familiales, plusieurs changements d'attitude qui ne sont pas sans conséquences.

    Parce que le patrimoine prend de plus en plus nettement l'allure d'une seigneurie, parce que, à l'instar des vieux honores ou des fiefs, il supporte de moins en moins d'être divisé et de passer sous un pouvoir féminin, la tendance est d'abord d'exclure les filles mariées du partage successoral en les dotant. Ce qui incline le lignage à marier s'il le peut toutes ses filles.

    Ce qui par ailleurs accroît l'importance de la dot, constituée de préférence en biens meubles, et aussitôt qu'il est possible en monnaie, par rapport à ce qu'offre le mari et qui pousse le sponsalicium, l'antefacturn, le morgengabe, à céder la place au douaire.

    Une telle évolution est générale. La crainte de morceler l'héritage, une réticence prolongée à l'égard de l'affirmation du droit d'aînesse, renforcent inversement les obstacles au mariage des garçons et font du XII, siècle, en France du Nord, le temps des « jeunes > , des chevaliers célibataires, expulsés de la maison paternelle, courant les ribaudes, rêvant aux étapes de leur aventure errante de trouver des pucelles qui, comme ils disent, les « tastonnent (3) », mais en quête d'abord, anxieusement, et presque toujours vainement, d'un établissement qui les transforme enfin en seniores, en quête d'une bonne héritière, d'une maison qui les accueille et où, comme l'on dit encore aujourd'hui dans certaines campagnes françaises, ils puissent « faire gendre » .

     

    Marier toutes les filles, maintenir dans le célibat tous les garçons sauf l'aîné, il s'ensuit que l'offre des femmes tend à dépasser largement la demande sur ce que l'on serait tenté d'appeler le marché matrimonial et que, par conséquent, les chances des lignages s'accroissent de trouver pour celui des garçons qu'ils marient un meilleur parti.

    Ainsi se renforce encore cette structure des sociétés nobles, où généralement l'épouse sort d'une parenté plus riche et plus glorieuse que celle de son mari ce qui n'est pas sans retentir sur les comportements et les mentalités, sans raffermir par exemple cette fierté, dont témoignent tant d'écrits généalogiques, à l'égard de la particulière « noblesse » de l'ascendance maternelle.

    Ces circonstances expliquent enfin que, dans le cours du XlIe siècle, on voie dans les tractations matrimoniales le seigneur intervenir de plus en plus fréquemment auprès des parents, et parfois sa décision l'emporter sur la leur.

    L'Église régit le mariage :

    Si, dans la tension qui la pousse à se réformer, à rompre certaines de ses collusions avec le pouvoir laïque, à s'ériger en magistrature dominante, l'Église intensifie après l'an mille, à propos de l'institution matrimoniale, son effort de réflexion et de réglementation, c'est que cette action se relie étroitement au combat qu'elle mène alors sur deux fronts : contre le nicolaïsme, la réticence des clercs à se déprendre des liens conjugaux, leur revendication d'user eux aussi du mariage comme d'un recours, comme d'un remède à la fornication et dans cette lutte l'autorité ecclésiastique trouve appui sur un fort courant d'exigences laïques, n'admettant pas que le prêtre, celui qui consacre l'hostie, soit en possession d'une femme, que ses mains, ses mains sacrifiantes, soient souillées par ce qui apparaît, et non seulement aux théoriciens de l'Église, comme la pollution majeure - contre, d'autre part, l'hyperascétisme.
     

    L'Église dans les dernières années du XIe Siècle et pendant tout le Xlle s'efforce donc de perfectionner l'insertion du mariage chrétien dans les ordonnances globales de la cité terrestre. En complétant, subséquemment, le cercle de règles et de rites, en achevant de faire du mariage une institution religieuse - et la place qui lui est réservée s'élargit sans cesse dans les collections canoniques, puis dans les statuts synodaux, tandis que, depuis la fin du XIe siècle, se discerne l'édification progressive, au nord et au midi, d'une liturgie matrimoniale. En conduisant enfin à son terme la construction d'une idéologie du mariage chrétien.

    Celle-ci repose en partie, sur la déculpabilisation de l'oeuvre de chair - et il conviendrait de suivre attentivement ce courant de pensée, à demi clandestin, à demi condamné, qui part d'Abélard et de Bernard Silvestre. Mais elle s'érige essentiellement en une remarquable entreprise de spiritualisation de l'union conjugale. Ses aspects, multiples, sont fort bien connus, depuis l'essor du culte marial qui aboutit à faire de la Vierge mère le symbole de l'Église, c'est-à-dire l'Épouse, en passant par le développement dans la littérature mystique du thème nuptial, jusqu'à cette recherche obstinée à travers les textes et leurs gloses, dont le terme est l'établissement du mariage parmi les sept sacrements.

     

    En cours de route, l'effort conjoint des canonistes et des commentateurs de la divina pagina a placé au centre de l'opération matrimoniale le consentement mutuel, où plutôt les deux engagements successifs entre lesquels, le premier, Anselme de Laon établit la distinction : consensus de futuro, consensus de présenti (4).

     

    Une distance, étroite mais sensible, se maintient entre le modèle prescrit par l'Église et la pratique. je prends pour exemple le cas des rites. On peut lire dans l'Historia comitum Ghisnensium composée dans les toutes premières années du Xllle siècle par le prêtre Lambert d'Ardres, l'une des très rares descriptions précises d'un mariage, celui d'Arnoud, fils aîné du comte de Guînes, qui eut lieu en 1194. La conformité s'avère parfaite entre le schéma d'ensemble révélé par les sources normatives et le déroulement de cette cérémonie, scindée en deux étapes distinctes, la desponsatio, les nuptiae.

     

    Après de longues années de « jeunesse », de quête infructueuse et de mécomptes, Arnoud a découvert enfin l'héritière, unicarn et justissimom heredem d'une châtellenie jouxtant la petite principauté dont il est l'héritier : c'est la plus évidente qualité de cette fille. Avec les quatre frères qui dominent dans l'indivision le lignage de celle-ci, son père, le comte, a poursuivi les palabres, fait rompre de premières fiançailles qui promettaient à son fils une moins fructueuse alliance, obtenu l'assentiment des prélats, de l'évêque de Thérouanne, de l'archevêque de Reims, la levée par l'official de l'excommunication qui pesait sur son fils pour une affaire de veuve spoliée, fixé enfin la dos, c'est-àdire le montant du douaire. Première phase, décisive et qui suffit à conclure le legitimum matrimonium.

     

    Restent les noces. Elles ont lieu à Ardres dans la maison du nouveau couple. « Au début de la nuit, lorsque l'époux et l'épouse furent réunis dans le même lit, le comte, poursuit Lambert, nous appela, un autre prêtre, mies deux fils et moi > (en 1194 le prêtre Lambert est marié, deux de ses fils sont prêtres, ce qui manifeste sur ce point aussi l'écart entre le règlement et son application) ; il ordonna que les mariés fussent dûment aspergés d'eau bénite, le lit encensé, le couple béni et confié à Dieu - tout ceci dans la stricte observance des consignes ecclésiastiques.

    Toutefois, le dernier, le comte prend la parole ; à son tour il invoque le Dieu qui bénit Abraham et sa semence, il appelle sa bénédiction sur les conjoints < afin que ceux-ci vivent dans son amour divin, persévèrent dans la concorde et que leur semence se multiplie dans la longueur des jours et les siècles des siècles ». Cette formule est bien celle que les rituels du XIIe siècle proposent dans cette province de la chrétienté. L'important est que ce soit le père qui la prononce, que le père, et non le prêtre, soit ici le principal officiant.

     

    Mariage au XVeme - 69 ko

    Amour conjugal :

    De fait, et c'est un autre caractère, ce qui prévaut après 1160 dans l'idéologie profane telle que l'exprime la littérature de cour, c'est bien la valeur affirmée de l'amour conjugal. Elle est au coeur d'Erec et Enide, mais aussi de tous les romans de Chrétien de Troyes que nous avons conservés, c'est-à-dire qui plurent. Demeure et en ce point encore confluent la pensée laïque et celle des clercs - la veine antiféministe, mais maintenant transférée à l'intérieur du couple, animée par la peur de l'épouse, de la triple insécurité dont, volage, luxurieuse et sorcière, on la sent, on la sait, porteuse. L'accent n'en est pas moins mis sur le respect de l'union matrimoniale. Ainsi dans la littérature d'éloge, si le dévergondage des héros est volontiers avoué aussi longtemps qu'ils restent privés d'épouses, sont-ils mariés, et tant que leur femme vit auprès d'eux, il n'est plus question que de cette affection qui fait s'écrouler le comte Baudouin de Guînes lorsque meurt sa compagne, après quinze ans de mariage et au moins dix maternités. Cet homme dur et sanguin, qui ne vit qu'à cheval, garde le lit des jours et des jours ; il ne reconnaît plus personne, ses médecins désespèrent de le sauver (5) ; il tombe dans cette même folie qui saisit Yvain lorsque sa femme le repousse ; il reste ainsi languissant pendant des mois - avant de partir, rétabli, veuf et de nouveau fringant, à la poursuite des servantes.

    II semble bien que dans le dernier tiers du Xlle siècle, quelques signes manifestent que la restriction au mariage des fils commence à se relâcher dans les familles aristocratiques. D'autres garçons que l'aîné sont autorisés à se marier ; on les établit, on prépare pour eux des demeures où vont prendre racine les rameaux ainsi séparés du vieux tronc que la prudence lignagère avait pendant deux siècles au moins maintenu droit, planté tout seul au milieu de son patrimoine. Pour confirmer cette impression il importerait de pousser la recherche, de construire des généalogies précises, de requérir l'avis des archéologues. Encore faudrait-il s'interroger sur les raisons de ce desserrement, les chercher en partie dans la croissance économique, dans le développement d'une aisance qui, depuis les principautés dont les perfectionnements de la fiscalité accroissent alors les ressources, se répand dans toute la noblesse, les chercher aussi parmi toutes les souples inflexions qui viennent insensiblement modifier les attitudes mentales. Les voies de l'exploration sont grandes ouvertes - et sur ce champ d'une sociologie du mariage médiéval que des brumes épaisses recouvrent encore. Mais à mesure que cette pénombre se dissipe, s'éclaire à son tour ce que nous connaissons mieux, et pourtant fort imparfaitement, ce droit, cette morale, toute l'épaisseur de cette enveloppe normative.

    Geaorges Duby

      

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    (1) Regula Pastoralis. III, 27, P. L. 77, 102. (Retour)
    (2) Liber 11 de virtutibus sancti Martini, M.G.H., S. R. M., I, 617. (Retour)
    (3) H. Oschinsky, Der Ritter unterwegs und die Pflege der Gastfreudschaft in alten Frankreich, in. dissert, Halle, 1900. (Retour)
    (4) J.-B. Molin et P. Mutembe, le Rituel de mariage en France au XII, siècle, Paris, 1974, p. 50. (Retour)
    (5) Historia comitum Ghisnensium, cap. 86, M.G.H. , S.S., XXIV, 601. (Retour)

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