• La prostitution à travers les arts : la littérature

    La prostitution à travers les arts : la littérature 

    Le Monde.frPar Macha Séry

     

    Source de fantasmes, sujette à caricatures, la prostituée parvient à subvertir les stéréotypes littéraires tant ils se bousculent et, au final, s'annihilent les uns les autres.

    La notion même de « prostituée » est polysémique.

    Rien de commun, en effet, entre une courtisane fortunée

    et la fille qui arpente le trottoir.

    A établir un panorama - aucunement exhaustif - des œuvres dans lesquelles apparaissent les prostituées, l'évidence saute aux yeux : au-delà de la variété des styles et des registres, les représentations oscillent toujours entre deux pôles :

    figure de luxure ou de misère, de cupidité ou d'abnégation, innocence profanée ou de libertinage assumé,

    esclave sexuelle ou femme libre de ses choix…

    A en croire les écrivains, la prostituée est tantôt une prédatrice, tantôt une proie, un personnage arriviste ou une héroïne tragique, une dissidente qui contrevient à l'ordre moral ou le symptôme d'un ordre social caractérisé par l'oppression des plus faibles. Ici, elle est la cible des puritains et victime d'un mépris de classe. Là, elle inspire un imaginaire revendiquant la liberté sexuelle. A chaque écrivain (très souvent un homme !) donc sa vision. A chaque prostitué(e) son histoire. Il faudra attendre le XXe siècle pour que les intéressé(e)s prennent enfin la plume et livrent leur propre version.

    • L'Antiquité, qui voit naître la « pute au grand coeur »

    Ce sont les Grecs qui nous ont légué le terme « péripatéticien », plus précisément Aristote. Péripatétikos désignait, à l'origine, un disciple de son école philosophique fondée en 335 avant J.-C. à Athènes, celui « qui aime se promener en discutant ». La prostituée apparaît sur la scène littéraire à l'époque de la Nouvelle Comédie, soit la seconde moitié du IVsiècle av. J.-C. Une jeune femme aimée est kidnappée par des pirates. Contrainte à se prostituer, elle retrouve son identité et sa liberté et peut enfin épouser son amoureux. Plus commune est la trame où une courtisane cupide se joue de ses amants. Chez les latins, Plaute la met en scène dans diverses pièces, en particulier dans Truculentus, le rustre. Trois rivaux sont épris de Phronésie qui s'amuse à leur soutirer de grosses sommes d'argent, arguant de l'existence d'un enfant né de leurs amours. Dans L'Hécyre de Terence, la douce Bacchis est autrement désintéressée. Elle consent à rompre avec son amant, au grand dam de celui-ci qui, poussé par ses parents, a contracté un mariage de raison avec Philomène. Plus maîtresse que catin, la prostituée au grand cœur, sincère et pleine d'abnégation, est née. On la retrouvera dans La Dame aux Camélias d'Alexandre Dumas.

    • Le Moyen-Age, où l'on règle leurs comptes aux entremetteuses, maquerelles et autres souteneurs

    Le sexe tarifé se développe dans les villes d'Europe du XIIe au début du XVIe siècle. Il existe même des bordels publics que les pensionnaires peuvent quitter librement. Les rares fabliaux évoquant les prostituées manifestent de l'indulgence à leur égard. Les auteurs jettent plutôt l'opprobre sur les entremetteuses, les maquerelles et les souteneurs, oisifs, corrupteurs, vicieux et cupides, qui tirent profit de la crédulité des hommes et femmes. Ils ruinent les uns et corrompent les autres. Cible privilégiée des écrivains ? Les duègnes prêtes à rendre service à l'amoureux qui y met le prix, les matrones vénales initiant les jeunes femmes à l'extorsion de fonds. Qu'on songe à la geôlière de Bel-Accueil dans Le Roman de la rose (1275-1280) de Jean de Meung. Le satiriste du mariage, de la noblesse et de la papauté, ne croit guère à l'amourcourtois. Il méprise les femmes, ne s'en cache pas : « Toutes êtes, serez ou fûtes, de fait ou de volonté, des putes. » S'il a chanté les femmes illustres dans la Ballade des dames du temps jadis, François Villon, le pauvre clerc vagabond, a aussi troussé d'aimables vers sur les filles de joie qui, avec les gueux et les voleurs, formaient sa compagnie quotidienne : la belle Gautière, Blanche la Savetière, Guillemette la Tapissière, Jeanneton la Chaperonnière, Catherine la Boursière et la Belle Heaumière.

    • La Renaissance, où la vertu de la putain est réévaluée à l'aune des trahisons des religieuses et des femmes mariées

    Durant le Cinquecento, les écrits obscènes fleurissent. Les Ragionamenti de l'hédoniste italien Pierre L'Aretin (1492-1556) s'inscrivent dans ce courant visant à briser le carcan d'une société aristocratique trop corsetée, trop bigote. Rédigés entre 1534 et 1536, ces raisonnements se présentent sous forme de dialogues. L'un d'eux met en scène Nanna, une entremetteuse, et Antonia, une prostituée romaine. Les deux femmes débattent de l'avenir de Pippa, 16 ans, la fille de Nanna. Trois choix sont envisageables : religieuse, épouse ou prostituée. «  En la faisant courtisane - le monde étant pourri - tu risques d'en faire d'emblée une dame ; et avec ce que tu gagnes et ce qu'elle gagnera, elle deviendra vite une reine. » Antonia tranche donc la question. « Mon avis est que tu fasses de ta Pippa une putain : parce que la nonne trahit ses vœux, et la femme mariée assassine le sacrement du mariage ; mais la putain ne trompe ni monastère ni mari : bien plus, elle fait comme le soldat, payé pour faire du mal et qui, ce faisant, n'est pas considéré comme un malfaiteur, car sa boutique vend ce qu'elle a à vendre ; le premier jour qu'un aubergiste ouvre sa taverne, sans qu'il mette d'écriteau, on comprend qu'on y boit, qu'on y mange, qu'on y joue, qu'on y baise, qu'on y blasphème et qu'on y gruge : et qui irait là pour dire ses oraisons ou pour jeûner, n'y trouverait ni autel ni carême. » Sa décision prise, Nanna instruit Pippa dans l'« arte puttanesca ».

    • Le Siècle des Lumières, où les jeunes filles affluent de la campagne et viennent gonfler les rangs de la prostitution

    Au XVIIIe siècle, le théâtre met en scène des servantes, figures quasi-uniques de filles du peuple. Pourtant les grandes villes européennes voientaffluer massivement des adolescentes issues des campagnes, susceptibles de tomber dans les griffes d'une maquerelle. Ces jeunes filles en quête d'une vie meilleure fuient les champs ou leurs familles. Effarants sont les chiffres. A Londres en 1720, on estime qu'une femme sur quatre est une prostituée. Ce sont les entremetteuses cupides ainsi que les séducteurs sans foi ni loi, que fustige Samuel Richardson. Dans son roman épistolaire, Clarissa Harlowe (1748), une belle jeune fille est promise à un mariage arrangé avec un aristocrate laid et obèse par sa richefamille qui souhaite, par cette alliance, acquérir des titres de noblesse. Désespérée, Clarissa se laisse convaincre par Lovelace de fuir avec lui. Celui-ci la retient prisonnière pendant de longs mois. Il la séquestre notamment dans un hôtel de passe. Lovelace finit par la violer après l'avoirdroguée.

    Le portrait dépeint par John Cleland, l'année suivante, dans Fanny Hill, est à l'opposé de ce mélodrame. Orpheline venue à Londres de sa campagne natale, Fanny semble enthousiaste d'exercer ses charmes dans la maison tenue par Mrs Cole. Voilà une femme bien née qui traite ses protégées comme ses propres filles et leur dispense des conseils judicieux. Dans sa maison, Fanny découvre l'épanouissement sexuel. Manon Lescaut, la célèbre héroïne de l'abbé Prévost, choisit ses clients. Plus femme entretenue que putain, elle se refuse à mener une vivremédiocre et modeste. Par ses liaisons avec des riches bourgeois, elle vise à s'assurer un certain confort, indispensable selon elle au bonheur d'un couple. « Je travaille pour rendre mon Chevalier riche et heureux. »

    La grande ville, son miroir aux alouettes, ses pièges tendus par des libertins, la déchéance où tombent les ambitieux trop naïfs, est un thème fécond dans la littérature de ce siècle. Maintes fois réédités, Le Paysan perverti (1775) fit la renommée de Rétif de La Bretonne. En 1784, il lui donna récit en miroir, La Paysanne pervertie. Celui-ci raconte les aventures parallèles d'Ursule. Elle aussi, la sœur d'Edmond, cède au mirage de l'ascension sociale. Amante d'un marquis dont elle a un fils, elle tombe dans la prostitution de bas étage. Dans Justine ou les Malheurs de la Vertu (1791) du Marquis de Sade, l'orpheline Juliette voit le sexe comme un moyen d'ascension sociale offrant gloire et pouvoir. Aussi envisage-t-elle le bordel où elle s'initie à la prostitution comme une école du vice, la vertu ne débouchant que sur l'infortune. Plus réaliste est le portrait que brosse Louis-Sébastien Mercier, dans son Tableau de Paris (1781-1788), description minutieuse des citadines qu'il croise : femmes au foyer, laitières, nourrices, bonnetières, modèles pour coiffeurs, couturières, marchandes de mode, domestiques, gouvernante, porteuses d'eau…

    Dans ce panorama à caractère sociologique, les prostituées ne sont pas oubliées, loin de là. Elles occupent même une large place, qu'elles soient occasionnelles afin de compléter leurs chiches revenus ou qu'elles s'adonnent à plein temps au commerce des corps. A propos des courtisanes, Louis-Sébastien Mercier rappelle la diversité de leurs conditions de vie. « On appelle de ce nom celles qui, toujours couvertes de diamants, mettent leurs faveurs à la plus haute enchère, sans avoir quelquefois plus de beauté que l'indigente qui se vend à bas prix. (…) Que de distinctions, de nuances, de noms divers, et ce pour exprimer néanmoins une seule et même chose! Cent mille livres par an, ou une pièce d'argent ou de monnaie pour un quart d'heure, causent ces dénominations qui ne marquent que les échelles du vice ou de la profonde indigence. » L'écrivain distingue le « libertinage paré roulant dans un char » et « le libertinage de détresse marchant dans les rues fangeuses». Sa compassion va aux miséreuses envers lesquelles la police se montre plus sévère, qui sont surexploitées par les usuriers, les hôteliers et des commerçants. De cette sujétion, elles ne s'échappent pas, sauf « par une aventure heureuse et rare ».

    • Le XIXe siècle, quand la prostituée devient la petite soeur du forçat

    Au XIXe siècle, les forçats et les prostituées forment les deux faces d'une même médaille. Ces deux catégories d'individus également méprisés et condamnés par les bourgeois envahissent la littérature populaire. Celui qui prend leur défense au nom de la justice sociale et de l'humanisme s'appelle Victor Hugo. « Que vous l'appeliez république ou que vous l'appeliez monarchie, le peuple souffre, ceci est un fait. Le peuple a faim ; le peuple a froid. La misère le pousse au crime ou au vice, selon le sexe. Ayez pitié du peuple, à qui le bagne prend ses fils, et le lupanar ses filles. Vous avez trop de forçats, vous avez trop de prostituées », dénonce l'écrivain dans Claude Gueux en 1834.

    L'année suivante, son recueil de poèmes, Les Chants du désespoir, dénonce encore la situation des prostituées qualifiées de « femmes brisées », écrasées par la misère. Mais c'est la Fantine des Misérables (1862) qui restera à jamais dans la mémoire des lecteurs comme le symbole d'une mère-courage, broyée par la société. Mère célibataire, l'ouvrière est renvoyée de la fabrique où elle travaille. Peu à peu, elle vend tout ce qu'elle possède, ses dents, ses cheveux et son corps, pour manger et subvenir aux besoins de sa fille Cosette mise en pension chez les infâmes Thénardier. « Qu'est-ce que c'est que cette histoire de Fantine ? C'est la société achetant une esclave. A qui ? A la misère. A la faim, au froid, à l'isolement, à l'abandon, au dénuement. Marché douloureux. La misère offre, la société accepte », clame Victor Hugo. Il ajoute : « On dit que l'esclavage a disparu de la civilisation européenne. C'est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s'appelle prostitution. »

    Après l'école romantique, le naturalisme fait de la prostitution un thème emblématique de son mouvement. Il faut dire que le phénomène, attesté par les rapports de police, les archives des prisons et des hôpitaux, prend de l'ampleur dans la seconde moitié du XIXe siècle. Balzac, Flaubert, Dumas fils, les frères Goncourt, Zola, Huysmans, Léon Bloy, Octave Mirbeau, Jean Lorrain et Maupassant, illustrent à leur façon les divers degrés hiérarchiques du métier : filles des rues, pensionnaires de maisons closes, demi-mondaines, courtisanes de salon, actrices entretenues... Les publications abondent. Au point que Mireille Dottin-Orsini et Daniel Grojnowski ont pu concevoir une anthologie  intitulée Un jolimonde, romans de la prostitution (Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2008), regroupant une vingtaine d'œuvres parues à la Belle-Epoque, célèbres comme Nana et Boule de suif, ou méconnues tels Marthe, histoire d'une fille, premier roman de Huysmans ou La Fille Elisa d'Edmondde Goncourt.

    Comment comprendre pareil intérêt ? « Il se trouve, en cette idée de la prostitution, un point d'intersection si complexe, amertume, néant des rapports humains, frénésie du muscle et sonnement d'or, qu'en y regardant au fond le vertige vient, et on apprend là tant de choses », explique Gustave Flaubert à Louise Colet. L'ermite du Croisset loue l'expérience de se réveiller le matin sur le sein de « femmes perdues », inconnues dans « un lit sans nom ». A celui qui ne l'a pas vécue, dit-il, « il manque quelque chose ». L'écrivain n'adresse qu'un reproche teinté de nostalgie : la prostitution, « c'est un mythe. La femme entretenue a envahi la débauche, comme le journaliste la poésie : nous nous noyons dans les demi-teintes. » Son ami, Guy de Maupassant use de la prostituée comme d'un miroir reflétant l'hypocrisie des bourgeois. Convenables, non malséants, sans cœur ni altruisme. Il y consacre de nombreuses nouvelles, Boule de suif, L'Odyssée d'une fille, La Femme de Paul, La Maison Tellier, Les Tombales

    Publiée en 1880, Boule de suif est la plus célèbre. C'est elle qui lance sa carrière littéraire. L'histoire, inspirée d'un fait divers, se déroule pendant la guerre de 1870 : dix personnes fuyant Rouen (Normandie) occupent une diligence. Il y a là des bourgeois, des nobles, deux religieuses, des commerçants et une prostituée surnommée Boule de suif à cause de ses rondeurs. Au début du voyage, celle-ci partage avec les voyageurs affamés ses provisions. A la fin, les mêmes ne lui donneront même pas un quignon de pain, lors même qu'elle s'est donnée à un officierprussien pour les sauver. Dans une autre nouvelle moins connue, Lit 29, une prostituée patriote décide de ne pas se faire soigner de la syphilis afin de contaminer le plus grand nombre de Prussiens.

    En 1880, soit la même année que Boule de Suif, paraît Nana d'Emile Zola, courtisane égoïste et femme fatale causant la ruine financière et morale d'une multitude d'hommes, notamment le comte de Muffat, fou amoureux d'elle. Mère à 16 ans, la fille de Gervaise et de Coupeau, apparue dans L'Assommoir, s'est tôt adonnée à la prostitution. Rapidement, des riches hommes l'entretiennent. Insuffisant pour satisfaire ses caprices. « Les besoins croissants de son luxe enrageaient ses appétits, elle nettoyait un homme d'un coup de dent. » Elle accède à la célébrité grâce à une apparition très dénudée dans un théâtre parisien, le rôle de Vénus.  « Et Nana, en face de ce public pâmé, […] restait victorieuse avec sa chair de marbre, son sexe assez fort pour détruire tout ce monde et n'en être pas entamé. » L'ex-reine de Paris mourra après avoir contracté la variole.

    « L'amour, c'est le goût de la prostitution. Il n'est même pas de plaisir noble qui puisse être ramené à la Prostitution », écrit Baudelaire (1821-1867) dans Fusées. Le poète des Fleurs du mal évoque les filles de joie dans Le Crépuscule du soir : « A travers les lueurs que tourmente le vent / La Prostitution s'allume dans les rues / Comme une fourmilière elle ouvre ses issues /Partout elle se fraye un occulte chemin/Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main / Elle remue au sein de la cité de fange/ Comme un ver qui dérobe à l'homme ce qu'il mange ».

    • Le XXe siècle, qui voit fleurir les autobiographies de prostitué(e)s

    Le XXe siècle sera celui de l'autofiction et du récit d'inspiration autobiographique : Vie d'une prostituée (1947) de Marie-Thérèse Notre-Dame des Fleurs (1948) et Le journal d'un voleur (1949) de Jean Genet, Prostitution (1975) de Pierre Guyotat, Moi Christiane F, 13 ans, droguée, prostituée(1983), Les aventures singulières (1983) d'Hervé Guibert, Les Chiennes savantes (1996) de Virginie Despentes, L'Aveu différé (1997) de Jacques Borel, Putain (2001) de Nelly Arcan, Le noir est une couleur (1974) et Carnet de bal d'une courtisane de Grisélidis Réal….

    « J'avais pris horreur de ce métier et j'étais dégoûtée de tous ces cochons qu'il faut sucer, branler, à qui il faut faire tant de trucs pour qu'ils jouissent. C'est vrai que l'on gagne plus qu'à l'usine, mais du pognon il n'en reste pas beaucoup quand même, et en plus, tous les emmerdements que l'on a avec les médecins, les flics, les maquereaux, les taulières... », écrit Marie-Thérèse, une infirmière qui se prostitua durant la Seconde Guerre mondiale. Vie d'une prostituée parut à quatre reprises entre 1947 et 1964 et condamné six fois. Dégoût et destruction de soi caractériseront aussi Putain de Nelly Arcan qui fut escort-girl pour payer ses études. « Le sexe n'est plus un tabou, mais une obsession collective. La société de consommation exige qu'on ne se prive de rien, pas d'avantage de l'orgasme que du reste. »

    Cette exigence se double d'un mépris envers celles qui la satisfont. « Et que pensent mes clients de tout ça, de ma mère et de leur femme, de moi et de leur fille, du fait que meurt leur femme et qu'ils baisent leur fille, eh bien que pensez-vous qu'ils en pensent, rien du tout j'en ai peur car ils ont trop de réunions à présider en dehors desquelles ils ne songent qu'à bander, et lorsqu'ils me confient d'un air triste qu'ils ne voudraient pas que leur fille fasse un tel métier, qu'au grand jamais ils ne voudraient qu'elle soit putain, parce qu'il n'y a pas de quoi être fier pourraient-ils dire s'ils ne se taisaient pas toujours à ce moment, il faudrait leur arracher les yeux, leur briser les os comme on pourrait briser les miens d'un moment à l'autre, mais qui croyez-vous que je sois, je suis la fille d'un père comme n'importe quel père. »

    Une autre Canadienne Grisélidis Réal (1929-2005) s'engagea dans ce métier d'abord pour nourrir ses quatre enfants nés de trois pères différents, puis comme activiste. Durant les années 1970, elle participa à la « Révolution des prostituées » à Paris où cours desquelles 500 femmes occupèrent la Chapelle Saint-Bernard, pour faire reconnaître leurs droits. Grisélidis Real soutenait que la prostitution choisie n'est en rien une aliénation. Mieux, c'est un art, une science, un humanisme qui possède une utilité sociale, et même une forme de grandeur. « A tant d'amies disparues, mortes de solitude, de trop d'amour donné, jamais reçu : à leur mémoire, il faudra que je dise comment le quotidien les a assassinées, et le mépris des gens. Et comme elles étaient belles, généreuses, pleines de talent et de mystère, entourées de tous ceux qui avaient tellement besoin d'elles, qui avaient faim de leurs caresses, de leur tendresse, de leur infinie patience, de leur savoir, de leur pouvoir », écrit-elle dans Le Noir est une couleur.

    Abandonné par sa mère quand il avait sept mois, Jean Genet est confié à une famille d'accueil. Envoyé à colonie pénitentiaire de Mettray à la suite d'une série de menus larcins, il s'en évade. Il s'engage dans la Légion étrangère puis déserte. « Un temps je vécus du vol, mais la prostitution plaisait davantage à ma nonchalance. J'avais vingt ans. » Il vagabonde, se prostitue en 1932 à Barcelone, dans le quartier du Barrio Chino peuplé de voyous et de marginaux. Il raconte cet épisode dans Le Journal d'un voleur.

    En 2005, Michel Houellebecq créé la polémique avec son troisième roman, Plateforme qui retrace les pérégrinations d'un Français en Thaïlande.« Je compris à quel point le tourisme sexuel était l'avenir du monde », dit le narrateur. Et puis il y a Vingt-trois prostituées du Canadien Chester Brown (Cornélius, 2012). Singulier par sa forme, son ton et sa dimension testimoniale, ce roman graphique autobiographique démarre en 1999 quand le narrateur, après une rupture et trois ans d'abstinence sexuelle, décide d'avoir des relations tarifées, et se poursuit jusqu'en 2003. Préfacé par le dessinateur américain Robert Crumb, il plaide pour la décriminalisation et la normalisation de la prostitution. « Quand j'achète quelque chose - disons un livre - je le ramène à la maison et je peux le garder aussi longtemps que je le veux. Il m'appartient. Quand j'avais rendez-vous avec une prostituée, je ne l'achetais pas. Je payais pour avoir une relation sexuelle avec elle. Lorsque nous nous quittions, je ne la gardais pas… Elle ne m'appartenait pas », écrit-il en appendice.

    L'interview de Chester Brown sur Vingt-trois prostituées

     

     http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/12/03/la-prostitution-a-travers-les-arts-la-litterature-chapitre-5_3524765_3260.html

    • Macha Séry
      Journaliste au Monde

     

    « La PROSTITUTION au XIXè siècleLes DANSEUSES au XIXè siècle »

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