• Depuis longtemps, religieux et politiques ont tenté de légiférer sur le métier. Entre interdit moral, restrictions, et accommodements, petit rappel historique des moyens mis en œuvre pour endiguer la prostitution.

     

    "Le plus vieux métier au monde".

    C’est par ces mots généralement que la prostitution est qualifiée comme pour signifier que la pratique a toujours existé dans les sociétés humaines. 

    Sans doute cette formule est-elle exagérée, bien que certains animaux comme le chimpanzé s’échangent de la nourriture en faveur de relations sexuelles et que les hommes préhistoriques livraient le produit de leur chasse aux femmes désirés pour obtenir pareilles réjouissances.

    Quoi qu’il en soit, la prostitution existait belle est bien dans l’Antiquité comme l’attestent de nombreux écrits et fresques retrouvés.

     

    En Mésopotamie tout d’abord et même jusqu’en Inde, la prostitution n’avait pas cette connotation négative de notre époque, elle était même "sacrée", c’est-à-dire con-sacrée à la déesse de la fertilité. On en trouve trace dans les écrits (p. 199) d’Hérodote (Ve siècle avant J-C) :

     

    "Les Babyloniens ont une coutume bien honteuse. Il faut que chaque femme du pays, une fois dans sa vie, s'unisse à un homme étranger dans le temple d'Aphrodite (...). Lorsqu'une femme est assise là, elle doit attendre pour retourner chez elle qu'un étranger lui ait jetée de l'argent sur les genoux et se soit uni à elle à l'intérieur du temple (...)

    Lorsqu'elle s'est unie à l'homme, elle a acquitté son devoir à l'égard de la déesse et peut revenir chez elle." Selon l’historien Jean Bottéro (dansMésopotamie), les premières prostituées étaient des femmes stériles qui, ne pouvant féconder le foyer, devenait la femme de tous et trouvaient ainsi une place dans la société.

    Les civilisations gréco-romaines encadrent le métier

    Dans l’Ancien Testament, au moment où le monothéisme commence à s’affirmer, cette pratique perd de son aura. Ainsi peut-on lire dans le Deutéronome (23,17) : "Il n'y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d'Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d'Israël." Plus loin, le Livre des Rois (23,7) raconte comment le roi Josias "démolit les maisons des prostitués sacrés, qui étaient dans le temple de Yahvé". La prostitution n’est alors pas condamnée moralement mais en tant qu’elle représente une infidélité envers le Dieu d’Israël.

    Dans les Évangiles, les prostituées sont toujours mal vues, mais Jésus leur accorde le salut : "En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous (les pharisiens qui observent scrupuleusement la Loi) au Royaume de Dieu" (Matthieu21, 31). Ainsi, de pécheresse, la prostituée peut en se repentant faire partie des élus. La plus célèbre, Marie-Madeleine, n’est-elle pas la première à qui le Christ apparaît ?

    Durant l’antiquité grecque, la prostitution était loin d’être clandestine, elle était seulement encadrée. Ainsi, nombreuses étaient les prostituées (et même prostitués) à déambuler dans les ports des principales cités grecques ou à faire "des passes" dans les ancêtres des maisons closes, instaurées par le législateur Solon.

     

    Un texte (p. 122) du IVe siècle attribué au pseudo-Démosthène décrit sans ambages les mœurs de l’époque : "Nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu'elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur".

    Pendant l’époque romaine, des lois existent pour empêcher les esclaves d’être prostitués par leur maître (proxénétisme), mais celles-ci sont peu efficaces. Il n’est donc pas rare de trouver des femmes du sexe devant leur demeure ou dans la rue en train de racoler le client qui, s’il veut être discret, peut aussi aller dans des maisons closes échanger un jeton contre une faveur sexuelle. D’ailleurs, dès le IIe siècle avant J-C, les personnes "de mauvaise vie" devaient être munies d’une licence d’exercice, ce qui permis par la suite à l’Empereur de taxer la profession pour renflouer les caisses de l’État.

    L'Église considère la prostitution comme un mal nécessaire

    Pendant le Moyen-Age christianisé, la prostitution est considérée comme naturelle et comme un moindre mal. Ainsi, le théologien Thomas d'Aquin au XIIIe siècle juge qu’elle est nécessaire et que si on la supprimait, le désir incontrôlable des hommes menacerait la société. Seigneurs laïcs et ecclésiastiques organisent et réglementent la profession tout en tirant profit de la manne financière qu’elle représente. Des maisons pour elles sont ouvertes, mais les prostituées restent la lie de la société et sont appelées à se repentir de leur action pour gagner le salut, à l’instar de Marie-Madeleine. C’est ainsi que le pieux Saint Louis tente, en vain, parune ordonnance de 1254 d’interdire la prostitution au XIIIe siècle. Mais à partir de la Renaissance, et plus particulièrement de la Réforme, la prohibition deviendra la norme poussant les prostituées à plus de clandestinité. Deux phénomènes peuvent expliquer cet état de fait : la syphilis qui fait des ravages à la fin du XVe siècle et le retour à un rigorisme religieux par le protestantisme.

    L’époque moderne commence, et le jeune Charles IX fait de la prostitution une activité illicite, avant que Louis XIV, de plus en plus dévot, n’ordonne l’emprisonnement pur et simple des femmes coupables d’exercer le métier. Les sanctions sont parfois barbares : certaines pouvaient avoir le nez et les oreilles coupées ! À sa mort, le Régent Philippe d’Orléans et Louis XV se montreront plus libertins, préférant encadrer les bordels que réprimer les actes. Mais Louis XVI revient aux méthodes répressives en interdisant le racolage : celles qui sont prises sont envoyées soit à l’hôpital soit en prison.

    D'une politique réglementariste à abolitionniste

    À partir de la Révolution, l’époque contemporaine affiche une tolérance à l’égard de la prostitution, qui est de plus en plus encadrée : visites médicales, inscriptions à la préfecture.

    Le racolage étant interdit, les "filles de joie" sont confinées dans des maisons closes. Une situation qui durera jusqu’à la sortie de la guerre, en 1946, et la fameuse loi "Marthe Richard".

     

    Cette loi revient sur le régime de tolérance mis en place depuis le Consulat en 1804, en fermant les maisons closes. En creux, est reproché au milieu de la prostitution de s’être compromis avec l’occupant nazi et le vainqueur américain.

     

    D’une politique réglementariste et sanitaire, la France passe à une politique abolitionniste. Une ordonnance de 1958 fait ainsi passer le racolage du statut de délit à celui de contravention, plus facile à réprimer pour la police.

     

    Dans les années 2000, la prohibition s’intensifie avec la "loi Sarkozy" qui crée un nouveau délit : le racolage passif.
    Les prostituées sont alors de plus en plus nombreuses à proposer leurs services sur internet ou clandestinement dans les rues. 
    En 2013, un nouveau palier est franchi dans la répression avec l’adoption par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à pénaliser le client d’une prostituée.
    Une première dans l’histoire de la répression de la prostitution. 
     
    Cette semaine, le Sénat a cependant supprimé l’article relatif à la pénalisation des clients dans l’exposé de la loi tout en rétablissant le délit de racolage. Mais la ministre en charge des Droits des Femmes a dit vouloir "clairement" réintroduire la pénalisation des clients de prostituée.

     

    Vidéo sur le même thème : Toulouse : l'adoption d'un arrêté anti-prostitutioww.planet.fr/societe-la-reglementation-de-la-prostitution-a-travers-les-epoques.831346.29336.html

     


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    La chanson française sous l’occupation allemande :

    une douteuse cohabitation

    Tout acte culturel, toute consommation de biens ressort à une démarche de mul­tiplication. Toute pratique commune exprime une “ sociabilité du sensible ”

     

    En 1939, en France, la radio touchait un public de masse (5 millions de postes récepteurs). Il était naturel que l’occupant nazi, les collaborateurs, mais aussi les[2] résistants de Londres s’intéressent à ce nouveau moyen de communication de masse et ce qu’il véhi­culait en priorité : information, propagande et divertissement.

     

    A l’orée de la guerre, la chanson était passée depuis une décennie de la salle de spectacle aux ondes radiophoniques. Dans le climat post-munichois et celui de la “ drôle de guerre ”, les chansons de qualité à succès étaient celles, quelque peu acidulées, iro­niques ou parodiques de Pills et Tabet ou de Mireille et de Jean Nohain (“ Couchés dans le foin ”, “ Le vieux Château ”). Juste avant la conflagration, Charles Trénet avait po­pularisé l’insouciant “ Y’a d’la Joie ” :

     

    Y’a d’la joie

    Bonjour, bonjour les hirondelles

    Y’a d’la joie

    Dans le ciel par dessus les toits.

     

    et le fameusement — quoique involontairement — proleptique “ Boum ” :

     

    Boum!

    Quand notre cœur fait boum!

    Tout avec lui dit boum!

    Et c’est l’amour qui s’éveille.

     

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    Émotion et surréalisme avait envahi la vie quotidienne des Français. Dans le même temps, le climat international devenant tendu, la chanson patriotique, pratiquement disparu depuis 1920, refleurit. Des au­teurs de chansons tentent de retrouver le style des années 1870 à 1914. Lucienne Boyer chante “ La Fille à Madelon ”, et George Thill prévient : “ Ils ne passeront pas! ” :

     

    Pétain a dit à ses soldats :

    Soyez certains, ils n’passeront pas

    Il faut qu’on tienne

     

    Ce genre patriotique rencontre assez peu de succès, à l’exception de “ Ça fait d’excellents Français ” de Georges Van Parys, créée par Maurice Chevalier. Cette chanson au ton primesautier envoie un double message : les Français sont pacifiques, rigolards, pour tout dire Gaulois; et, dans le même mouvement, ils peuvent faire face à la guerre, réapprendre d’instinct à marcher au pas, respecter à nouveau l’uniforme. Dès le début de l’occupation allemande, s’engouffrent des créations réalistes exprimant la solitude, le vague à l’âme, l’incertitude : “ Je suis seule ce soir ”, “ J’attendrai ”, “ Attends-moi mon amour ”. Les grands music halls (Les Folies Bergères, le Concert Mayol, le Lido, l’A.B.C. qui accueille la revue de Gilles Margaritis Chesterfollies et tous les grands noms du tour de chant de Tino Rossi à Léo Marjane) sont alors bondés de civils français côtoyant sans vergogne les uniformes des officiers de la Wehrmacht. Les filles déshabillées, les plumes, le strass redonnent vie au Paris insouciant et frivole de la Belle Époque.

     

    Mais la France est terrassée. Des centaines de milliers de famille ont fui leurs foyers. Le pays est coupé en deux. L’Alsace a été réannexée et le Nord est administré directement par l’occupant. Cela n’em­pêche pas Maurice Chevalier et son ami, l’ancien champion du monde de boxe Georges Carpentier de faire de la publicité pour les vélos-taxis puisque la circulation demeure interdite. Le même Chevalier entonne alors une chanson très entraînante, quoique reflétant bien peu le réel :

     

    Tsimpa Poum Pala

    C’est notre espoir

     

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    Le régime de Vichy traduit dans les faits la revanche d’une France passéiste et réactionnaire sur l’“ ennemi intérieur ” : francs-maçons, démocrates, communistes et, bien sûr, Juifs. L’armée française a été balayée mais ses fanfares jouent dans les kiosques. Radio Paris, contrôlée par la puissance occupante, ex­plique que la défaite était méritée. La résistance gaulliste répond sur les antennes de la BBC que “ Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ”. L’ordre nouveau du Maréchal Pétain exalte la terre — qui, selon le slogan du philosophe Emmanuel Berl[3], « ne ment pas », et aussi le grand air, le folklore. La radio diffuse des chansons paysannes jusqu’à satiété :

     

    Aimons nos montagnes

    Nos Alpes de neige

    Aimons nos campagnes

    Que Dieu les protège

     

    La chanteuse fantaisiste Marcelle Bordas s’illustre en vantant le retour à la terre :

     

    Ah, comme la France est belle

    Et comme on se sent fier

    D’être un de ses enfants

     

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    Le travail manuel est réhabilité, tout comme les exercices physiques. Maurice Chevalier, qui est depuis longtemps le chanteur français le plus populaire, crée “ La Chanson du maçon ” :

     

    Si tout le monde apportait son moellon

    Nous rebâtirions notre maison

    Qui deviendrait

    La maison du bon Dieu

     

    La radio pétainiste programme en priorité des chansons où la propagande se veut discrète, mais qui expriment la nostalgie pour un passé insouciant et un présent qui se veut éloigné des tristes réalités. La chanson d’amour se porte à merveille (“ Le premier rendez-vous ”), tout comme celle qui fait appel au fol­klore campagnard (“ Le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles ”), à une France éternelle, intouchée (“ Ça sent si bon la France ”, par Maurice Chevalier). Même Jacques Prévert, poète d’extrême-gauche qui animait peu de temps avant le début des hostilités le groupe théâtral Octobre, seule troupe d’agit-prop ayant connu quelque succès, se limite à des textes purement poétiques. Charles Trénet chante “ Terre ”, et André Dassary, basque très populaire, ancien chanteur de l’orchestre de Ray Ventura, “ Vive la terre de France ” :

     

    Pour que le pays soit plus beau

    Il faut des bras pour la charrue

     

    Pour Pétain le Front Populaire avait été une période de jouissance fautrice de décadence et de guerre. Il in­terdit les bals populaires où l’on dance, où l’on se touche, et où l’on peut parler. Les chansons s’adressent maintenant aux prisonniers et à toutes les personnes déplacées, déboussolées : “ Ça sent si bon la France ”. Le régime remet à l’honneur de vieilles chansons traditionnelles : “ Sur la route de Louviers ”, “ Une fleur au chapeau ”. Mais au hit-parade de la chanson pétainiste, grimpe en quelques semaines un véritable petit chef d’œuvre : “ Maréchal, nous voilà ” de Charles Courtiaux et André Montagard. André Dassary en fait l’hymne officieux  du régime :

     

    Une flamme sacrée

    Monte du sol natal;

    Et la France enivrée

    Te salue, Maréchal.

    Maréchal, nous voilà

    Devant toi, le sauveur de la France,

    Nous jurons, nous tes gars,

    De servir et de suivre tes pas.

    Maréchal, nous voilà,

    Tu nous as redonné l’espérance.

    La patrie renaîtra,

    Maréchal, Maréchal,

    Nous voilà!

     

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    Cela dit, les Allemands et Vichy se servent assez peu de la chanson dans la propagande de tous les jours. Rares sont les chansons qui prônent ouvertement la collaboration. Les hitlériens français empruntent au répertoire allemand (“ J’avais un camarade ”). la propagande préfère utiliser des vedettes de second plan pour proposer des programmes lénifiants, sans aucune prise avec le réel. C’est le cas d’André Claveau qui, à Radio Paris, station contrôlée par les Allemands, anime une émission pour les femmes, “ Cette heure est à vous ”. Outre Claveau, la plupart des vedettes des années trente poursuivent leur carrière, à Paris ou en zone non occupée : Raymond Legrand et son orchestre  s’engouffrent dans le créneau laissé vacant par Ray Ventura qui a dû émigrer, Jean Sablon (“ Je tire ma révérence ”), Léo Marjane, et, bien sûr, Édith Piaf, Charles Trénet et Maurice Chevalier. The show must go on at all costs. Les chanteurs acceptent quelques compromissions bénignes ou quelques prestations douteuses : un récital bien payé pour Radio Paris, un gala au profit du Secours National. Une minorité finira par accepter de se rendre en Allemagne en échange, pour satisfaire leur conscience, de la libération de quelques prisonniers de guerre. On trouve par exemple dans l’édition française de Signal un article sur Maurice Chevalier chantant “ Ya d’la joie ” devant une salle de prisonniers de guerre en janvier 1942, dans le Stalag d’Alten-Grabow où il avait été lui-même prisonnier pendant la première Guerre Mondiale. Il se dit “ reconnaissant aux autorités allemandes ” car, en échange de sa venue, elles ont libéré quelques Français[4]. Susy Delair, Albert Préjean, Viviane Romance répondent à l’invitation de Karl Frölich, le président de la Corporation du Cinéma Allemand. Piaf, Trénet, Léo Marjane[5], Raymond Legrand et son orchestre se produisent  dans des stalags ou dans des salles de spectacle de grandes villes al­lemandes jusqu’en 1943[6]. Le grand succès des premières années de guerre, celui qui, par delà l’horreur du conflit, unit les militaires et les civils français et allemands, reste la version française de “ Lily Marlène ”, créée par Suzy Solidor[7].

     

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    Le comique troupier Ouvrard est stipendié par l’organisation Kraft durch Freude. Pour l’occupant, les vedettes françaises, une fois leurs remords apaisés, doivent œuvrer en ambassadeurs auprès des prisonniers, puis des Français envoyés en Allemagne au titre du Service du Travail Obligatoire. Qu’elles le veuillent ou non, ces vedettes justifient la soumission de la France à l’Al­lemagne puisqu’elles font passer comme un état de fait naturel la collaboration politique, économique et culturelle entre les deux pays. Heureusement, ces faiblesses, ces compromissions avec l’occupant seront assez rares, malgré des cachets très substantiels. Un passage à Radio-Paris peut rapporter trente fois le salaire mensuel d’un ouvrier. Parfois même, en présence des Allemands, certaines vedettes se risquent à d’authen­tiques provocations. Ainsi, un soir de 1942, à la fin d’un tour de chant à l’A.B.C., Édith Piaf, illuminée par le drapeau tricolore français, lance devant plusieurs rangées d’officiers allemands : « Où sont-ils tous mes copains? ». Le public français exulte.[8]

     

    Rares sont les chanteurs allemands qui parviennent à s’imposer sur les scènes ou les ondes françaises. Quelques femmes réussissent dans un registre sensuel : Marika Rokk, Eva Busch et la suédoise Zarah Leander.

    Les Allemands et les Vichystes partagent la même préoccupation : distraire les Français, offrir à une société écrasée de problèmes mais qui, globalement est restée sur ses rails, les formes d’expression artis­tiques qu’elle souhaite : tradition et innovation afin d’éviter des troubles dans la population. Alors, comme le disait si bien le commandant du gross Paris, “ Paris sera toujours Paris ”. Dès juillet 1940, le Casino de Paris rouvre des portes sur lesquelles on peut lire “ Interdit aux Juifs et aux Chiens ”. Le grand hall d’entrée, couleur locale oblige, est transformé en brasserie. Mistinguett, la vedette féminine la plus populaire de France (inoubliable créatrice de “ Mon homme ”), y fait sa rentrée. Les Folies-Bergères rouvrent pour un public composé en très grande majorité d’officiers allemands. Les cabarets ne désemplissent pas : Le Lido, Le Bosphore, Le Tabarin. Tout comme les bordels, dont une dizaine sont réservés à l’usage exclusif des soldats allemands du rang et cinq aux officiers de la Wehrmacht. Le plus célèbre, le One-Two-Two, est situé rue de Provence, en plein centre de Paris. Mais la soldatesque n’est pas assez nombreuse pour permettre à ces maisons closes de faire leurs affaires, et les Allemands finissent par accepter les clients français. L’ambiance est alors merveilleuse, le champagne coule à flots. Les “ maisons” permettent des rencontres officieuses : les Allemands des bureaux d’achat clandestins côtoient les tortionnaires français et gestapistes de la rue Lauriston, mais aussi le Tout-Paris du spectacle : Sacha Guitry, Vincent Scotto, Maurice Chevalier, Tino Rossi.

     

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    En 1943, la collaboration politique jette ses derniers feux. Laval est bien seul à croire à la « pérennité de l’Europe nouvelle ». En mai, il propose au GauleiterSauckel la négociation d’un large ac­cord (ein Ausgleich)[9]. La Milice, organisation française fasciste armée par l’occupant et chargée de dé­truire la Résistance, est haïe de la population. La propagande pétainiste est désormais totalement sans ef­fet. Cela n’empêche pas Tino Rossi de dédier à ses amis du Stalag13B “ Quand tu reverras ton village ” (“ tu diras : rien chez moi n’a changé ”). En écho naissent quantité de chansons de résistance, de réelle solidarité avec les prisonniers, chansons “ scies ” détournant des succès bien établis, comme la Marseillaise des prisonniers :

     

    Ils sont foutus

    Et le monde avec allégresse

    Répète avec joie sans cesse

    Ils l’ont dans l’cul

    Dans l’cul.

     

    La France occupée est placée sous les ordres du Militärbefehlshaber. De son administration dépend la Propaganda Abteilung et la Propaganda Staffel qui, à Paris, surveille en particulier le monde du music-hall. Il est difficile de définir la politique de censure de ces services. On ne saurait dire qu’elle répond à des impératifs culturels précis, au sens où, par exemple, l’occupant ne cherche pas à imposer les modèles culturels dominant en Allemagne. Certaines manifestations qui seraient tenues pour décadentes en Allemagne sont tolérées en France[10]. En revanche, les Nazis sont très attentifs au respect de certains inter­dits politiques et raciaux : les Juifs et le communistes sont traqués. La chanson française sous l’occupation tentera assez peu de tromper la vigilance des censeurs. Ce sera, de toute façon, de manière indirecte. Ainsi, tel auteur omettra un couplet anglophile avant de soumettre son texte à la censure avant de le réintroduire une fois l’imprimatur obtenue. Ailleurs, certains auteurs risqueront des propos allusifs, comme, par exemple, pour “ La Chanson du maçon ” de M. Vandair et H. Betti. Un maçon chante une chanson reprise par un deuxième maçon, puis par un troisième etc., jusqu’à ce qu’il se crée un sentiment de solidarité dans la profession. Mais l’esprit corrosif était alors tellement peu marqué que la chanson fut perçu par les autorités de Vichy comme relevant de l’esprit de la Révolution Nationale, avant d’être interdite sur les ondes fran­çaises parce qu’elle avait été diffusée par la BBC.

     

    Si de nombreux chanteurs se produisirent à Radio Paris, voire en Allemagne, il ne faut pas oublier ceux qui refusèrent toute compromission avec l’occupant ou les collaborateurs, et qui s’exilèrent pour se mettre au service de la résistance à Londres. On citera, parmi d’autres, Pierre Dac, Joséphine Baker (la très populaire meneuse américaine de la “ Revue nègre ” dans les années trente), Germaine Sablon (la sœur de Jean Sablon), et Anna Marly.

     

    Une des armes favorites de ces résistants radiophoniques est la satire, dans laquelle excelle Pierre Dac (“ A dit Lily Marlène ”, “ La Défense élastique ”). D’autres textes, plus graves, parviennent jusqu’aux maquis, souvent par voie orale :

     

    Le vent souffle sur les tombes

    La liberté reviendra

    On nous oubliera

    Nous rentrerons dans l’ombre

     

    C’est à Londres, dans un petit club animé par la musicienne Anna Marly, que naîtra la chanson la plus célèbre de la Résistance, “ Le Chant des Partisans ”, sur des paroles de Joseph Kessel (ami de Mermoz et de Saint-Exupéry) et son neveu Maurice Druon (futur Académicien Français).

     

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    D’abord sifflé par l’acteur Claude Dauphin (ainsi, il perçait efficacement le brouillage ennemi) et chanté par Germaine Sablon dans le film d’Albert Cavalcanti Pourquoi nous combattons, ce chant poignant et violent est enregistré par Anna Marly, dans les studios de la BBC, puis imprimés dans les Cahiers de la Libération, et parachuté par la Royal Air Force en France. Ce chant est destiné à exprimer la force contenue que chaque combattant peut apporter au grand fleuve de la Résistance. Cet hymne de l’ombre est caractérisé par un rythme lent, une métrique inhabituelle — vers de 11 pieds, chute de 3 pieds —. La mélodie progresse par imitation et retrouve sonpoint de départ à chaque chute de rythme. Chant du combattant, il valorise le maquisard et, à travers lui, les classes sociales qui supportent l’essentiel de la lutte, qui payent « le prix du sang et des larmes ». La reconnaissance de cet état de fait par deux auteurs d’obédience gaulliste n’en est que plus significative.[11] Un murmure sourd, appel à combattre, devient ainsi un cri éclatant né des entrailles de la terre, et destiné à venger ceux qui sont morts au combat ou qui croupissent dans les geôles de l’occupant :

     

    Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux

    Sur la plaine?

    Ami, entends-tu le chant lourd du pays

    Qu’on enchaîne?

    Ohé, partisans, ouvriers et paysans

    A vos armes!

    Ce soir, l’ennemi connaîtra le prix du sang

    Et des larmes.

    […]

    Ici, nous, vois-tu

    Nous on marche,

    Nous on tue,

    Nous on crève!

     

    Dans un pays qui n’entrera en résistance que progressivement, un phénomène inattendu exprime, dans les villes du moins, un fossé entre générations : le mouvement zazou. Des jeunes bourgeois, passablement inconscients, défient l’ordre moral vichyste, voire l’occupant. Leurs motivations sont infiniment moins politiques que ludiques. Leur inspiration première vient d’outre-Atlantique : ils veulent swinguer et écouter du jazz. Le swing était apparu en France avant-guerre, défendu par exemple par Johnny Hess, le pianiste du duo Charles (Trénet) et Johnny (“ Je suis swing ”, “ Ils sont zazous ”). A partir de 1941, le swing contamine les productions d’artistes fort différents : le guitariste de jazz Django Reinhardt (qui enregistra des morceaux mémorables avec le violoniste Stéphane Grapelli et qui fut occasionnellement invité à se produire en direct à Radio-Paris qui oubliait ainsi qu’il était Gitan) introduit du swing dans son jeu, le chanteur un peu mièvre Réda Caire chante “ Swing swing, Madame ”, Jacques Pills propose “ Elle était swing ”. De musical, le mouvement devient culturel, dès lors que des bandes de jeunes adoptent un comportement swing, en s’affublant du nom de zazou, mot emprunté à une chanson de Johnny Hess (“ Je suis zazou, zazoué ”), ce chanteur ayant à l’oreille le “ Zah, zuh, zah ” de Cab Calloway (1933) :

     

    Now, here's a very entrancing phrase,
    It will put you in a daze,
    To me it don't mean a thing,
    But it's got a very peculiar swing!
    Zaz-zuh-zaz-zuh-zaz,
    Zaz-zuh-zaz-zuh-zay.

     

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    En un temps où tous les produits de base sont sévèrement rationnés, les zazous choquent principalement par leur tenue vestimentaire. Ils prennent le contre-pied du jeune homme tel que le propose la propagande pétainiste : vêtements stricts et fonctionnels sur un corps vigoureux et martial. Le zazou choque par son allure quasiment dégénérée : cheveux longs, veste longue, allure voûtée, nœud de cravate ridiculement petit, chaussettes multicolores, semelles compensées. La jeune fille zazoue porte une coiffure compliquée, une veste très longue, une jupe s’arrêtant au dessus du genou et des semelles compensées en bois. L’idole féminine des zazous est Irène de Trébert (“ Mademoiselle Swing ”), la femme de Raymond Legrand. Les zazous affichent que leurs priorités ne sont pas celles du régime, ni celles du peuple qui survit. S’habillant au marché noir de manière raffinée et ostentatoire, ils nient le discours pétainiste selon lequel la France doit payer par la souffrance la jouissance qu’a permis le Front Populaire en 1936-1937. Les zazous aiment le jazz, la danse syncopée par des rythmes américains, les surprises-parties (terme qu’ils importent), les cigarettes américaines de contrebande, les claquettes. Des jeunes pétainistes n’hésitent pas à les brutaliser physiquement, préfigurant le bashing des skinheads contre les hippies dans les années soixante. La propagande officielle les qualifie de décadents, de communistes ou de Juifs. De fait, ils appartiennent à des milieux aisés, non juifs et certainement pas communistes. Leur souci n’est pas de résister au sens noble du terme mais d’exprimer le refus de subir la guerre comme tout le monde, le droit de défier les interdits et l’espoir d’échapper au Service du Travail Obligatoire. Le mouvement zazou durera trois ans, jusqu’à la li­bération, l’arrivée des troupes américaines, avec leur musique, leurs films, leur Coca Cola. Les zazous tenteront de ressusciter dans les caves de Saint-Germain des Prés, mais en vain.

     

    Pour terminer, j'évoquerai l’évolution de deux monstres sacrés de la chanson française pendant ces années noires, Charles Trénet et Maurice Chevalier. Chevalier, qui âgé d’une cinquantaine d’années au début des hostilités jouit d’un statut de vedette internationale, fait assez rare pour un chanteur français; Trénet[13] qui, bien qu’âgé de vingt-sept ans seulement en 1940, est déjà le plus prometteur et le plus talentueux des auteurs compositeurs interprètes.

     

    Bien que sans engagement politique véritable, Trénet était apparu au moment du Front Populaire comme le chanteur exprimant le mieux les aspirations de la jeune aspiration de l’époque, celle qui put, grâce aux avancées sociales de 1936-7, jouir d’une liberté nouvelle, découvrir les routes de France, espérer en des lendemains meilleurs, bref errer sur “ La Route enchantée ” (1938) :

     

    Une étoile m’a dit,

    Deux étoiles m’ont dit :

    Connais-tu l’pays du rêve?

    […]

    Les joyeux matins

    Et les grands chemins

    Où l’on marche à l’aventure

     

    Jamais peut-être un chanteur français n’a exprimé avec autant de tonus (“ Je chante soir et matin ”) la joie de vivre. Et, avec discrétion mais très explicitement, un grain de folie qui, bizarrement, passe très bien après des siècles de cartésianisme :

     

    On voit l’facteur

    Qui s’envole là-bas

    Comme un ange bleu

    Portant ses lettres au Bon Dieu (“ Y’a d’la joie ”)

     

    Ficelle, tu m’a sauvé la vie

    Ficelle sois donc bénie

    Car grâce à toi

    J’ai rendu l’esprit

    Je m’suis pendu cet’ nuit

    Et depuis je chante

    Un fantôme qui chante

    On trouve ça rigolo (“ Je chante ”)

     

    On le surnomme d’ailleurs “ le fou chantant ”, peut-être en hommage à Al Johnson, “ The Singing Fool ”. Avec la débâcle et un bref passage dans l’armée de l’air, il choisit de rester et de travailler en France. Il reprend ses spectacle à Paris dès février 1941. En 1943, il accepte de se produire, accompagné par l’orchestre de Fred Adison[14], autre gloire de l’époque, pour des ouvriers français requis par le STO près de Berlin. Il accepte de faire du cinéma sous l’autorité du Comité d’Organisation des Industries Cinématographiques qui régente la profession selon les principes “ positifs ” de la Propaganda Abteilung[15]. Pendant la guerre, l’auteur compositeur Trénet continue dans la même veine poétique, gaie, un brin surréa­liste. Mais ses chansons semblent quitter le siècle et le temps : “ Que reste-t-il de nos amours? ”, “ La Romance de Paris ” ou “ L’Héritage infernal ” :

     

    L’histoire lamentable

    De fauteuils et de tables

    Qu’un ami détestable

    Vint raconter chez nous.

     

    Il fait parfois de timides allusions à l’actualité. Quand il compose “ Les Oiseaux de Paris ”, les mil­lions de Français qui ont souffert lors de l’évacuation savent qu’il évoque leur triste sort, même de manière biaisée. Sa seule chanson réellement engagée, “ Espoir ” est interdites sur les ondes de Radio-Paris. Il es­time que pour mieux attendre demain il faut s’arracher du présent, créer une poésie atemporelle pour rendre la cruelle réalité supportable.

     

    De la drôle de guerre à l’heure de la victoire, Maurice Chevalier se sera comporté en caméléon. Opportuniste, cherchant à tout instant d’où tournait le vent politique, il suit toutes les modes en en tirant le meilleur profit artistique. Dans la période de tous les dangers consécutive aux accords de Munich, Chevalier jouit de l’extraordinaire succès d’une chanson de 1936, insouciante et passablement vulguraire, apologie d’une oisiveté faubourienne, “ Ma Pomme ” (“ J’suis plus heureux qu’un roi ”). Il est, depuis le début des années vingt, une vedette internationale (il a tourné une quarantaine de films aux États-Unis), et il personnifie le brassage social qu’a occasionné la grande guerre : “ titi ” parisien originaire du quartier populaire de Ménilmontant, il s’est composé une silhouette élégante d’homme du monde (nœud papillon, costume impeccable). Mais son fameux canotier, qu’il porte sur le côté, connote le voyou qu’il a peut-être été dans sa jeunesse et rappelle le maquereau de sa chanson “ Prosper ”. L’image du prolo en smoking, parfaitement insouciant (il chante : « Dans la vie faut pas s’en faire » dans l’opérette Dédé) s’est donc imposée très facilement.

     

    En 1939, il prône l’union sacrée dans “ Et tout ça, ça fait d’excellents français ”, une chanson au rythme entraînant, militaire, mais qui dépeint une société souffreteuse, contrainte de faire la guerre. Pendant la drôle de guerre, le président du Conseil Paul Reynaud assure que « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », et la bourse tient bon. De même que l’armée, prête et formidable, et qui, théoriquement,  n’allait pas se risquer à de simples escarmouches. L’un des plus grands succès de l’hiver est une chanson que Maurice Chevalier interpréte au Casino de Paris, dépeignant l’armée comme le reflet de la société :

     

    Le colonel était d’Action française,

    Le commandant était un modéré,

    Le capitaine était pour le diocèse,

    Et le lieutenant boulottait du curé.

    Le juteux était un fervent socialiste,

    Le sergent un extrémiste[16] convaincu,

    Le caporal inscrit sur toutes les listes

    Et l’deuxième class’ au PMU.

     

    Le colonel avait de l’albumine,

    Le commandant souffrait du gros côlon,

    Le capitaine avait bien mauvaise mine,

    Et le lieutenant avait des ganglions.

    Le juteux avait des coliques néphrétiques,

    Le sergent avait le pylore atrophié,

    Le caporal un coryza chronique,

    Et l’deuxième class’ des corps aux pieds.

     

    Et tout ça, ça fait

    D’excellents Français,

    D’excellents soldats

    Qui marchent au pas.

     

    Avec une telle armée, la mobilisation eut tôt fait de tourner à l’immobilisation générale. Une chanson réflétant le fait que 5 millions d’hommes avaient été rappelés – un quart de la population masculine – dont la plupart n’avait plus rien à faire après 5 heures de l’après-midi, et pas grand chose le reste de la journée. Chaque soldat avait droit à trois-quart de litres de vin par jour. Pour tous ces hommes, la Pologne ne représentaient rien et combattre pour la démocratie n’avait guère plus de sens. Ils se bornaient à accomplir leur devoir en espérant regagner leur foyer au plus vite. Chevalier dresse une typologie très partielle de la société française, composée à ses yeux de gens qui tra­vaillent dans la finance, l’assurance, l’industrie, la Banque de France et la rente. Les paysans et les ou­vriers qui constituent alors 80% de la population française sont donc exclus du tableau. Tous ces braves gens “ marchent au pas ” , mais sont affectés de maladies ridicules, albumine, pilore atrophié, ganglions, co­liques néphrétiques, cors aux pieds. La chanson présente donc une armée vouée à la défaite mais qui saura se transcender grâce aux deux potions magiques que le monde entier envie aux Français : “ le pinard et le tabac ”. Cette chanson envoie donc un double message contradictoire : les Français ont réappris à marcher au pas et sont prêts à se battre, mais l’ensemble des appelés n’est qu’une cohorte de quadragénaires déglingués qui, de toute façon, « désirent tous désormais qu’on [leur] foutent une bonne fois la paix ». Bref, si Hitler écoute attentivement, il n’a guère de souci à se faire.

     

    L’article 18 de l’armistice contraignait la France à payer 20 millions de marks par jour au titre des frais d’occupation de l’armée allemande. De nombreuses usines travaillaient directement pour Berlin. Les soldats allemands consommaient une bonne partie de la production alimentaire française (les tickets de ra­tionnement donnaient droit à l’équivalent de 1500 calories par jour). C’est dans ce contexte de pénurie sans précédent que Maurice Chevalier crée en pleine guerre les “ Semelles de bois ” une chanson qui légitimise le pillage du pays. Il poétise l’inconfort pédestre auquel les femmes sont désormais condamnées :

     

    J’aime le tap-tap

    Des semelles en bois

    En marchant les midinettes

    Semblent faire des claquettes

    Tap-tap la symphonie

    Des beaux jours moins vernis

     

    Et il termine même sur une touche franchement érotique : « Ah, qu’c’est bon! ».

    La passivité, la complaisance de Chevalier déplaisent souverainement aux Français de Londres. En février 1944, Pierre Dac décrète qu’il sera « puni selon la gravité de ses fautes » :

     

    « Quand, un jour prochain, nous leur ferons avaler leur bulletin de naissance, il est infiniment probable que la rigolade changera de camp et que, cette fois, il n’y aura pas de mou dans la corde à nœud. »[17]

     

    Chevalier se demande alors s’il ne risque pas d’être condamné à mort[18]. Il se cache en Dordogne (le Périgord étant son Sigmaringen), où les maquis sont très actifs [19]. Il est arrêté, puis libéré grâce à sa com­pagne juive, Nita, qui l’emmène à Toulouse, la ville la plus “ rouge ” de France à ce moment-là :

     

    « On s’y serait cru dans une ville espagnole pendant la guerre civile. Les rues étaient pleines de soldats en uniformes plus ou moins réguliers. Des jeunes femmes en mantilles priaient dans les églises; dans les cafés et dans les bureaux de la radio, les intellectuels parlaient de Paris, ville réactionnaire. » [20]

     

    Chevalier en réchappera grâce, entre autres, à l’intervention de Louis Aragon. Il aura été jusqu’au bout un chanteur de consensus, inscrivant systématiquement ses chansons dans les normes dominantes, servant de caution populaire à l’ordre en vigueur.

     

     

     


    [1] ORY, Pascal. “ L’histoire culturelle de la France contemporaine. Question et questionnement ”, Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 16, octobre-décembre 1987, p. 74.

     

    [3] Berl résume dans sa personne les errements et les égarements de nombreux intellectuels français des années vingt aux années quarante. Issu d’une famille juive aisée, apparenté à Proust et à Bergson, il fut l’ami de Drieu la Rochelle avec qui il dirigea en 1927 l’éphémère revue Les Derniers Jours. Il publie en 1930 le très remarqué Mort de la pensée bourgeoise et collabore à Monde, le périodique de l’écrivain Henri Barbusse, proche du Parti Communiste. En 1932, il prend la direction de Marianne, revue culturelle et politique de gauche lancée par Gaston Gallimard. Il apprécie les avancées sociales du Front Populaire en 1936, mais il marque sa préférence pour les sentiments nationaux contre les revendications excessives. Il approuve la politique de non-intervention de Léon Blum dans la Guerre Civile Espagnole. Il fréquente le Tout-Vichy en 1940-41, vit en semi clandestinité à partir de 1942, craignant à juste titre les persécutions antisémites consécutives à l’invasion de la zone libre. Sa cousine ayant épousé Fernand de Brinon (délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités d’occupation à Paris, condamné à mort et exécuté en 1947), il jouit d’une protection certaine. Il était le mari de la chanteuse Mireille (“ Couchés dans le foin ”).

     

    [4] Dans ces mémoires, Chevalier expose, penaud, comment les Allemands ont exploité son manque de résolution : « La direction de Radio Paris [station entièrement contrôlée par les Allemands] me fait convoquer :

    — Nous désirons que vous fassiez des émissions artistiques à Radio Paris comme vous en avez toujours fait à la Radio Française…

    […] Je sais trop bien ce qu’un refus catégorique me vaudrait par la suite. Il faut tergiverser, composer : ‘ Je ne puis rester que quelques semaines à Paris, vous comprenez, ma famille est dans le midi. ’ Je rougis un peu, l’homme me fixe. Je pense m’en être tiré intelligemment. Ne pas les mettre en boule contre moi, tout en faisant comprendre aux Français, par mon court séjour à Paris, que je ne fais que ce qui est absolument obligatoire. » Maurice Chevalier. Ma Route et mes chansons. (Paris, René Julliard, 1950) 309.

    [5] Léo Marjane fut la créatrice de l’énorme succès “ Je suis seule ce soir ” (1942). La version masculine fut popularisée par André Claveau, le “ Prince de la chanson de charme ”. Les deux millions de prisonniers français en connaissaient par cœur le refrain :

    Je suis seul ce soir

    avec mes rêves.

    Je suis seul ce soi

    sans ton amour.

    A la Libération, il fut reproché à Léo Marjane de s’être produite sur les antennes de Radio Paris et dans des cabarets devant des officiers allemands. « Je suis myope », répondra-t-elle devant la Chambre Civique et au Comité d’Epuration en 1945.

    [6] Dans les années vingt et trente, les échanges culturels entre les deux pays avaient été très substantiels, la France exerçant sur l’art populaire allemand (chanson, cinéma) un fort attrait. Dès les années vingt, Maurice Chevalier et Mistinguett s’étaient produits avec grand succès en Allemagne. Le film allemand Bel Ami, écrit d’après la chanson de Tino Rossi, elle-même inspirée de Maupassant, avait connu la célébrité à la fin des années trente.

    [7] Une première version de “ Lily Marlène ” vit le jour en 1915, suivie d’une seconde en 1935, d’une troisième en 1937 et d’une quatrième en 1939, toutes sans le moindre succès. Un soir de 1941, la chanson fut diffusée, dans une version de L. Andersen, par une station militaire allemande installée à Belgrade. Du jour au lendemain, “ Lily Marlène ” devint le plus grand succès de la guerre et fut considérée comme le second hymne national allemand.

    [8] Berteaut, Simone. Piaf. (Paris : Robert Laffont, 1969), p. 209.

     

    [1] Voir Paxton, Robert. La France de Vichy. (Paris : Le Seuil, 1973), chap. 4.

    [10] À noter cependant que les nazis ont longtemps toléré en Allemagne certaines expressions culturelles théoriquement honnies comme le jazz, musique “ nègre ” ou la comédie musicale d’inspiration nord-américaine. En France, Alix Combelle et son orchestre avaient enregistré une version de “ In the Mood ” (“ Ambiance ”) en 1941.

    [11] Le “ Chant des partisans ” sera enregistré magnifiquement par Yves Montand en 1955. Voir C. Brunschwig (et al.). Cent ans de chanson française. (Paris : Le Seuil, 1981) 88.

    [12]

    [13] Né à Narbonne en 1917, Trénet fut la cible d’antisémites délirants; Accusé de s’appeler Netter (anagramme de Trénet) et d’être petit-fils de juif, il dut produire un fort complet arbre généalogique pour prouver son “ aryanité ”. Lucien Rebatet, écrivain collaborationniste de choc, trouvait que Charles Trénet ressemblait aux « clowns judéo-américains ».

    [14] Chef d’orchestre français (de son vrai nom Albert Lapeyre, né à Bordeaux en 1918) influencé par les orchestres de jazz symphoniques (comme celui de Paul Whiteman).

    [15] Deux cent vingts longs métrages ont été réalisés pendant la guerre, dont deux bonnes dizaines de très grands films. Trente et un films français seront produits par la Continental, filiale de la société allemande U.F.A.

    [16] Cela aurait certainement écorché son palais si Chevalier avait dû prononcer le mot “ communiste ”.

    [17] DAC, Pierre. Un Français libre à Londres en guerre. Paris : France-Empire, 1972.

    [18] CHEVALIER, Maurice. Ma route et mes chansons. Paris : Julliard, 1946.

    [19] André Malraux a combattu dans cette région à cette époque.

    [20] HUGO, Jean. Le Regard de la mémoire. Arles : Actes Sud, 1984.

    SOURCES /

    https://blogs.mediapart.fr/bernard-gensane/blog/120913/la-chanson-francaise-sous-l-occupation-allemande-une-douteuse-cohabitation

     http://bernard-gensane.over-blog.com

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    Suzy Solidor, de son vrai nom Suzanne Louise Marie Marion, est une chanteuse, actrice et romancière française, née le 18 décembre 1900 à Saint-Servan et morte le 30 mars 1983 à Cagnes-sur-Mer.

    Сюзи Солидор The many faces of Suzy Solidor 

     

     

    Figure emblématique des années 1930, symbole de la garçonne des « Années folles », elle a contribué à populariser auprès du grand public le milieu homosexuel parisien, célébrant dans plusieurs de ces chansons les amours lesbiennes (OuvreObsession, etc.).

    Biographie

    Suzy Solidor nait de père inconnu à Saint-Servan-sur-Mer (commune aujourd'hui rattachée à Saint-Malo) dans le quartier de la Pie. Sa mère, Louise Marie Adeline Marion, âgée de près de trente ans, est alors domestique de Robert Henri Surcouf, avocat, député de Saint-Malo et armateur, descendant de la famille du célèbre corsaire (selon Suzy Solidor, celui-ci serait son véritable père).

     

    Suzy+Solidor+sudio+photo The many faces of Suzy Solidor 

     

    Pour échapper à sa condition de fille-mère, Louise Marion épouse le 10 septembre 1907 Eugène Prudent Rocher qui reconnaît la petite Suzanne, alors âgée de sept ans. Celle-ci prend dès lors le nom de Suzanne Rocher. La famille s'installe dans le quartier de Solidor à Saint-Servan, qui inspirera plus tard son nom de scène à Suzy. Elle est alors la voisine de Louis Duchesne, chemin de la Corderie, sur la cité d'Aleth.

     

     

    fougita The many faces of Suzy Solidor 

     

    Suzy Solidor, Foujita and Yvonne de Bremon, Deauville, 1920

     

    Une « garçonne »

     

    Elle apprend à conduire en 1916 et passe son permis l'année suivante, ce qui à l'époque était exceptionnel pour une femme. Peu avant l'armistice de 1918, promue chauffeur des états-majors, elle conduit des ambulances sur le front de l'Oise, puis de l'Aisne.

    Après la guerre, elle s'installe à Paris.

     

     

    C'est à cette époque qu'elle rencontre Yvonne de Bremond d'Ars, qui sera sa compagne pendant onze ans et avec laquelle elle s'initie au métier d'antiquaire.

     

    Après leur séparation en 1931, Suzy Solidor a plusieurs liaisons,

    dont une avec l'aviateur Jean Mermoz.Afficher l'image d'origine

     

     

    Elle se tourne vers la chanson en 1929, et prendra peu après le pseudonyme sous lequel elle est connue.

     

    Elle fait ses débuts à Deauville, au cabaret Le Brummel.

     

    Sa voix grave, quasi masculine ("une voix qui part du sexe" selon Jean Cocteau), son physique androgyne, ses cheveux blonds et sa frange au carré marquent les esprits. Icône de la chanson « maritime », elle se produit en 1933 avec succès à L'Européen puis ouvre rue Sainte-Anne « La Vie parisienne », un cabaret « chic et cher », lieu de rencontres homosexuelles, où chante entre autres le jeune Charles Trenet.

     

     

    Sa réputation lui vaut d'apparaître en 1936 dans l'adaptation cinématographique du roman sulfureux de Victor Margueritte, La Garçonne. Elle devient parallèlement l'égérie des photographes des magazines de mode et des peintres, sa silhouette sculpturale inspirant plus de 200 d'entre eux, parmi lesquels Raoul Dufy, Maurice de Vlaminck, Francis Picabia, Man Ray, Jean-Gabriel Domergue, Jean-Dominique Van Caulaert, Kees van Dongen, Arthur Greuell, Foujita, Marie Laurencin, Francis Bacon et Jean Cocteau. Son portrait le plus célèbre est réalisé par Tamara de Lempicka en 1933.

     

     

    Кабаре Сюзи Солидор в О де Кань The many faces of Suzy Solidor 

     

    L'Occupation

    Durant l’Occupation, son établissement est fréquenté par de nombreux officiers allemands. Suzy Solidor ajoute à son répertoire une adaptation française de Lili Marleen, une chanson allemande adoptée par les soldats de la Wehrmacht (avant de l'être par les armées alliées) qu'elle interprète de façon régulière à la radio.

     

    Ses activités (selon André Halimi, "elle mériterait un brevet d'endurance pour l'inlassable activité qu'elle mena pendant l'Occupation, car elle passe d'un cabaret à l'autre, d'une radio à l'autre, d'un music-hall à l'autre") lui valent d'être traduite à la Libération devant la commission d'épuration des milieux artistiques, qui lui inflige un simple blâme mais lui impose une interdiction provisoire d’exercer.

     

     

    32 The many faces of Suzy Solidor 

     

    Elle cède alors la direction du cabaret à la chanteuse Colette Mars, qui y avait fait ses débuts, et part pour les États-Unis.

    110 The many faces of Suzy Solidor

     

     

    L'Après-guerre

    De retour à Paris, elle ouvre en février 1954 le cabaret « Chez Suzy Solidor », rue Balzac (près des Champs-Élysées) qu'elle dirige jusqu'au début 1960 avant de se retirer sur la Côte d'Azur. Elle s'installe à Cagnes-sur-Mer où elle inaugure la même année un nouveau cabaret, « Chez Suzy », décoré de 225 de ses portraits.

     

    Elle s'y produit jusqu’en 1966 avant de prendre la direction d'un magasin d'antiquités, place du château de Haut-de-Cagnes.

     

     

    En 1973, elle offre à la ville de Cagnes-sur-Mer une quarantaine de ses portraits, qui figurent aujourd'hui parmi les œuvres remarquables du musée de la ville (musée-château Grimaldi). Elle meurt le 30 mars 1983 et est enterrée à Cagnes.

     

     

    Répertoire

     

    Romans

    Térésine, éditions de France, Paris, 1939 (220 p.)

      • Fil d'or, éditions de France, Paris, 1940 (217 p.) - roman dédié "à ceux du large et à ceux du bled, à tous ceux des avant-postes, à ceux qui tiennent les portes de l'Empire..."
      • Le Fortuné de l'Amphitrite, éditions de France, Paris, 1941 (213 p.)
      • La vie commence au large, éditions du Sablon, Bruxelles-Paris, 1944 (242 p.)

     

     

    Théâtre

      • 1937 : L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht, adaptation française de André Mauprey et Ninon Tallon, mise en scène de Raymond Rouleau et Francesco von Mendelssohn, théâtre de l'Étoile : Jenny-la-Paille
      • 1951 : L'École des hommes de Jean-Pierre Giraudoux, théâtre Michel - pièce écrite pour elle, où elle incarne une artiste peintre qui n'aime pas les hommes.

     

     

    Filmographie

      • Escale (1935) de Jean Dalray
      • La Garçonne (1936) de Jean de Limur, d'après le roman-éponyme de Victor Margueritte
      • La Femme du bout du monde (1937) de Jean Epstein
      • Ceux du ciel (1941) de Yvan Noé

     

     

     

    Notes et références

     

    Voir aussi

    Bibliographie

      • Véronique Mortaigne, « Solidor, furieux baisers », Le Monde 19552 du mardi 4 décembre 2007
      • Marie-Hélène Carbonel, Suzy Solidor : Une vie d'amours, coll. Temps mémoire, éd. Autres Temps, 2007
      • Didier Eribon (dir.), Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, 2003.

     

     

    Discographie

      • Martin Pénet (éd.), Chansons interlopes, 1906-1966, Labelchanson, 2006 (2CD)
      • Martin Pénet (éd.), Suzy Solidor au cabaret, enregistrements rares et inédits (1933-1963), Labelchanson, 2007

     

     

    SOURCES / http://www.musicme.com/Suzy-Solidor/biographie/

     

     

     

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    Le mariage au début du Moyen Age

    Par Georges Duby

    Article de Historia N°503, novembre 1988


    Le Moyen Age a-t-il encore des secrets pour George Duby ? On pourrait en douter en parcourant la liste des ouvrages de cet académicien, professeur au Collège de France et directeur du Centre d'études des sociétés méditerranéennes.
     

      

    Depuis l'Histoire de la Civilisation française (1958) jusqu'à Mâle Moyen Age édité en 1988 par Flammarion, G. Duby n'a cessé d'approfondir notre passé quotidien. II nous rappelle aujourd'hui que la place faite au mariage dans l'organisation de la société féodale est loin de l'image de l'amour courtois chanté par les poètes.

    Comme tous les organismes vivants, les sociétés humaines sont le lieu d'une pulsion fondamentale qui les incite à perpétuer leur existence, à se reproduire dans le cadre de structures stables.

     

    La permanence de ces structures est, dans les sociétés humaines, instituée conjointement par la nature et parla culture. Aux prescriptions du code génétique individuel s'ajoutent donc celles d'un code de comportement collectif, d'un ensemble de règles qui se voudraient elles aussi infrangibles et qui entendent définir d'abord le statut respectif du masculin et du féminin, répartir entre les deux sexes le pouvoir et les

     

     

      

    fonctions, contrôler ensuite ces événements fortuits que sont les naissances, substituer à la filiation maternelle, la seule évidente, la filiation paternelle, désigner enfin parmi tous les accouplements possibles les légitimes, entendons ceux qui sont seuls tenus pour susceptibles d'assurer convenablement la reproduction du groupe

     

    - bref de règles dont l'objet est, bien sûr, d'instituer un couple, d'officialiser la confluence de deux "sangs", mais plus nécessairement d'organiser, par-delà celle des deux personnes, la conjonction de deux cellules sociales, de deux « maisons », afin que soit engendrée une cellule de forme semblable. Ce système culturel, c'est le système de parenté.

      

    Ce code est le code matrimonial. Au centre de ces mécanismes de régulation, dont la fonction est primordiale, prend place en effet le mariage.
    Régulation, officialisation, contrôle, codification : l'institution matrimoniale se trouve, par sa position même et par le rôle qu'elle assume, enfermée dans une stricte armature de rites et d'interdits - de rites, puisqu'il s'agit de rendre public, et par là de socialiser, de légaliser un acte privé - d'interdits, puisqu'il s'agit de tracer la frontière entre la norme et la marginalité, le licite et l'illicite, le pur et l'impur.

     

    Pour une part, ces interdits, ces rites relèvent du profane.

      

    Pour une autre part, ils relèvent du religieux, puisque par la copulatio la porte s'entrouvre sur le domaine ténébreux, mystérieux, terrifiant de la sexualité et de la procréation, c'est-àdire sur le champ du sacré. Le mariage se situe par conséquent au carrefour de deux ordres, naturel et surnaturel.

      

     

     

    Dans bien des sociétés, et notamment dans la société du haut Moyen Age, il est régi par deux pouvoirs distincts, à demi conjugués, à demi concurrents, par deux systèmes régulateurs qui n'agissent pas toujours en concordance, mais qui l'un et l'autre prétendent emprisonner étroitement le mariage dans le droit et le cérémonial.

     


    L'institution matrimoniale se prête beaucoup mieux que nombre de faits sociaux à l'observation des historiens de la chrétienté médiévale. Ils peuvent la saisir, et très tôt, par l'intermédiaire de textes explicites.

     

    Mais cet avantage a son revers.

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    Le médiéviste, dont la position déjà est beaucoup moins assurée que celle des ethnologues analysant des sociétés exotiques, et même que celle des historiens de l'Antiquité, puisque la culture qu'il étudie est en grande partie la sienne, qu'il reste malgré lui prisonnier d'un rituel et d'un système de valeurs qui ne sont pas foncièrement différents de ceux qu'il examine et qu'il souhaiterait démythifier, n'atteint aisément du mariage que son écorce, ses apparences extérieures, publiques, formelles.

     

     

    De ce qui remplit cette coquille, dans le privé, dans le vécu, tout ou presque tout lui échappe.

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    Entre la théorie et la pratique une marge existe dont l'historien, comme le sociologue mais beaucoup plus malaisément que lui, doit s'appliquer à repérer l'extension. L'écran que dressent les formules peut abuser d'ailleurs de manière plus insidieuse. je prends l'exemple de ces titres de donation ou de vente où, dans le cours du XII, siècle, en certaines provinces, mention est faite de plus en plus fréquemment de l'épouse aux côtés de son mari. doit-on voir là le signe d'une effective promotion de la femme, d'un desserrement de l'emprise exercée par les mâles au sein du ménage, bref de la progressive victoire du principe de l'égalité des conjoints que l'Église, à ce moment même, travaille à faire accepter ?

     

    Ne faut-il pas plutôt considérer que, s'agissant de droits sur des biens, sur un héritage, l'épouse est requise d'intervenir moins en raison de ce qu'elle détient que de ce qu'elle garantit et transmet, et que le lent retrait du monopole marital accroît davantage sur la fortune du couple les prérogatives des mâles de son lignage et de sa progéniture que les siennes propres ?

     

      

    Si l'historien adoptait sans précautions le point de vue des ecclésiastiques, lesquels ont rédigé à peu près tous les témoignages dont nous pouvons disposer, il en viendrait, à prendre pour argent comptant ce que ces hommes, qui pour la plupart étaient célibataires ou affectaient de l'être, exprimèrent des réalités conjugales.

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    L'histoire du mariage n'est pas la même aux divers degrés de la hiérarchie des conditions sociales, au niveau des maîtres d'une part, au niveau des exploités de l'autre. Pouvoir sacré dont l'autorité anime et soutient l'infatigable action des prêtres pour insérer le mariage dans la totalité d'une entreprise des moeurs, et pour, dans cet ensemble, le situer à sa juste place.

     

    Au cours de cette compétition séculaire, le religieux tend à l'emporter sur le civil. L'époque est celle d'une progressive christianisation de l'institution matrimoniale. Insensiblement les résistances à cette acculturation fléchissent, ou plutôt sont contraintes de se retrancher sur des positions nouvelles, de s'y fortement établir pour s'y préparer à d'ultérieures contre-offensives.

    graal 

    Disposons donc en premier lieu, face à face, les deux systèmes d'encadrement, qui par leurs desseins sont presque entièrement étrangers l'un à l'autre : modèle laïque, chargé, dans cette société ruralisée, de préserver, au fil des générations, la permanence d'un mode de production ; modèle ecclésiastique dont le but, intemporel, est de réfréner les pulsions de la chair, de refouler le mal, en endiguant dans de strictes retenues les débordements de la sexualité.

    Maintenir d'âge en âge l'« état » d'une maison cet impératif commande toute la structure du premier de ces modèles. En proportion variable selon les régions, selon les ethnies, les traditions romaines et les traditions barbares se combinent dans les matériaux dont il est construit ; de toute manière cependant, il prend assise sur la notion d'héritage. Son rôle est d'assurer sans dommage la transmission d'un capital de biens, de gloire, d'honneur, et de garantir à la descendance une condition, un « rang » au moins égal à celui dont bénéficiaient les ancêtres.

      

    Moyen-Age

      

    Tous les responsables du destin familial, c'est-à-dire tous les mâles qui détiennent quelque droit sur le patrimoine, et à leur tête l'ancien qu'ils conseillent et qui parle en leur nom, considèrent par conséquent comme leur premier droit et leur premier devoir de marier les jeunes et de les bien marier.

      

    C'est-àdire, d'une part, de céder les filles, de négocier au mieux leur pouvoir de procréation et les avantages qu'elles sont censées léguer à leur progéniture, d'autre part d'aider les garçons à prendre femme. A la prendre ailleurs, dans une autre maison, à l'introduire dans cette maison-ci où elle cessera de relever de son père, de ses frères, de ses oncles pour être soumise à son mari, mais toutefois condamnée à demeurer toujours une étrangère, un peu suspecte de trahison furtive dans ce lit où elle a pénétré, où elle va remplir sa fonction primordiale : donner des enfants au groupe d'hommes qui l'accueille, qui la domine et qui la surveille. La position qu'ils occuperont dans le monde, les chances qu'ils auront à leur tour d'être bien mariés dépendent des clauses de l'alliance conclue lors du mariage de leurs parents.

     

    Moyen-Age

    C'est dire l'importance de cet accord, c'est comprendre qu'il soit l'aboutissement de longues et sinueuses tractations en quoi tous les membres de chacune des maisonnées sont impliqués.
    Stratégie à long terme, prévoyante, et ceci explique que souvent l'arrangement entre les deux parentés, les promesses échangées précèdent de fort loin la consommation du mariage.

      

    Stratégie qui requiert la plus grande circonspection puisqu'elle vise à conjurer, par le recours à des compensations ultérieures, le risque d'appauvrissement que, dans une société agraire, courent les lignages dès qu'ils deviennent prolifiques. II semble bien que trois attitudes orientent principalement les négociations qui se développent alors en préambule à tout mariage : une propension, consciente ou non, à l'endogamie, à trouver des épouses dans le cousinage, parmi la descendance d'un même ancêtre, parmi les héritiers d'un même patrimoine, dont l'union matrimoniale tend ainsi à rassembler les fragments épars plutôt que de les dissocier davantage ; la prudence, qui engage à ne pas multiplier outre mesure les rejetons, donc à limiter le nombre de nouveaux ménages,

      

    à maintenir par conséquent dans le célibat une part notable de la progéniture ; la méfiance enfin, la cautèle dans les détours du marchandage, la précaution de se garantir, le souci de part et d'autre d'équilibrer les cessions consenties et les avantages attendus.

     oiseaux 

    En clôture de ces palabres, des gestes et des paroles publiques, un cérémonial lui-même dédoublé. D'abord les épousailles, c'est-à-dire un rituel de la foi et de la caution, des promesses de bouche, une mimique de la dévestiture et de la prise de possession, la remise de gages, l'anneau, les arrhes, des pièces de monnaie, le contrat enfin que, dans les provinces au moins où la pratique de l'écriture ne s'est pas tout à fait perdue, l'usage impose de rédiger.

    Preux chevaliers et gentes dames 

      

    Ensuite les noces, c'est-à-dire un rituel de l'installation du couple dans son ménage : le pain et le vin partagés entre l'époux et l'épouse, et le banquet nombreux qui nécessairement environne le premier repas conjugal ; le cortège conduisant la mariée jusqu'à sa nouvelle demeure ; là, le soir tombé, dans la chambre obscure, dans le lit, la défloration, puis au matin, le cadeau par quoi s'expriment la gratitude et l'espoir de celui dont le rêve est d'avoir, en fécondant dès cette première nuit sa compagne, inauguré déjà ses fonctions de paternité légitime.

     

    églises

      

    Cette société n'est pas strictement monogame. Sans doute n'autorise-t-elle qu'une seule épouse à la fois. Mais elle ne dénie pas au mari, ou plutôt à son groupe familial, le pouvoir de rompre à son gré l'union, de renvoyer la femme pour en chercher une autre, et de relancer à cette fin la chasse aux beaux partis. Tous les engagements des épousailles, le sponsalicium, le dotalicium, ont, entre autres rôles, celui de protéger dans leurs intérêts matériels l'épouse répudiée et son lignage.

     

    Le champ de la sexualité masculine, de la sexualité licite, n'est nullement renfermé dans le cadre conjugal. La morale reçue, celle que chacun affecte de respecter, oblige certes le mari à se satisfaire de son épouse, mais elle ne l'astreint nullement à ne point user d'autres femmes avant son mariage, durant ce qu'on appelle au XII- siècle la « jeunesse » , ni après, dans son veuvage.

    De nombreux indices attestent le vaste et très ostensible déploiement du concubinage, des amours ancillaires et de la prostitution, ainsi que l'exaltation, dans le système de valeurs, des prouesses de la virilité.

     

    En revanche, chez la fille, ce qui est exalté et ce que cherche précautionneusement à garantir toute une imbrication d'interdits, c'est la virginité, et chez l'épouse, c'est la constance. Car le dérèglement naturel à ces êtres pervers que sont les femmes risquerait, si l'on n'y veillait, d'introduire au sein de la parenté, parmi les héritiers de la fortune ancestrale, des intrus, nés d'un autre sang, clandestinement semés, de ces mêmes bâtards que les célibataires du lignage répandent par une allègre générosité hors de la maison ou dans les rangs de ses serviteurs.

     

      

    Cette morale est domestique. Elle est privée. Les sanctions qui la font respecter le sont aussi la vengeance d'un rapt appartient aux parents mâles de la fille, la vengeance d'un adultère au mari et à ses consanguins. Mais comme il est loisible d'appeler à la rescousse les assemblées de paix et la puissance du prince, place est naturellement faite au rapt et à l'adultère dans les législations civiles.
    Du modèle proposé par l'Église nous sommes mieux informés par quantité de documents et d'études.
     

      

    Toutefois, puisque les humains, hélas, ne se reproduisent pas comme les abeilles et qu'ils doivent pour cela copuler, et puisque parmi les pièges que tend le démon, il n'en est pas de pire que l'usage immodéré des organes sexuels, l'Église admet le mariage comme un moindre mal.

      

    Elle l'adopte, elle l'institue - et d'autant plus aisément qu'il fut admis, adopté, institué par jésus - mais à condition qu'il serve à discipliner la sexualité, à lutter efficacement contre la fornication.

     


    Pas de plaisir charnel :

    A cette fin, l'Église propose d'abord une morale de la bonne conjugalité. Son projet tâcher d'évacuer de l'union matrimoniale ces deux corruptions majeures, la salissure inhérente au plaisir charnel, les démences de l'âme passionnée, de cet amour sauvage à la Tristan que les Pénitentiels cherchent à étouffer lorsqu'ils pourchassent les philtres et autres breuvages enjôleurs. Quand ils s'unissent, les conjoints ne sauraient donc avoir d'autre idée en tête que la procréation. Se laissent-ils aller à prendre à leur union quelque plaisir, ils sont aussitôt « souillés », « ils transgressent, dit Grégoire le Grand, la loi du mariage  ».

      

    Et même s'ils sont restés de marbre, il leur faut se purifier s'ils veulent après coup s'approcher des sacrements. Qu'ils s'abstiennent de tout commerce charnel pendant les temps sacrés, sinon Dieu se vengera ; Grégoire de Tours met en garde ses auditeurs : les monstres, les estropiés, tous les enfants malingres sont, on le sait bien, conçus dans la nuit du dimanche .

     

      

    Quant à la pratique sociale du mariage, l'Église s'emploie à rectifier les coutumes laïques sur plusieurs points. Ce faisant, elle déplace sensiblement les bornes entre le licite et l'illicite, étendant d'un côté la part de liberté et la restreignant de l'autre.

      

    Les ecclésiastiques travaillent ainsi à assouplir les procédures conclusives de l'union matrimoniale lorsque leur horreur du charnel les incite à transporter l'accent sur l'engagement des âmes, sur le consensus, sur cet échange spirituel au nom de quoi, à la suite de saint Paul, le mariage peut devenir la métaphore de l'alliance entre le Christ et son Eglise ; ceci les pousse en effet dans une voie qui mène à libérer la personne des contraintes familiales, à faire des accordailles une affaire de choix individuel ; qui mène aussi, puisque l'on proclame que la condition des individus ne doit en rien gêner l'union des coeurs, à légitimer le mariage des non-libres, et à l'émanciper de tout contrôle seigneurial.

      

    Inversement l'Église vient resserrer les entraves quand, luttant pour une conception absolue de la monogamie, elle condamne la répudiation, le remariage, elle exalte l'ordo des veuves ; lorsqu'elle s'efforce de faire admettre une notion démesurément élargie de l'inceste, lorsqu'elle multiplie les empêchements en raison de la consanguinité et de toute forme de parenté artificielle.

     

      

    Dernier point : les prêtres s'immiscent peu à peu dans le cérémonial du mariage pour en sacraliser les rites, et spécialement ceux des noces, accumulant autour du lit nuptial les formules et les gestes destinés à refouler le satanique et à contenir les conjoints dans la chasteté.

     

    A partir du XIe et XII, siècles il est intéressant de considérer les modifications qui, dans la société aristocratique, affectent insensiblement durant cette période la stratégie matrimoniale. Les structures de parenté paraissent bien en effet se transformer alors dans ce milieu, par la lente vulgarisation d'un modèle royal, c'est-à-dire lignager, privilégiant dans la succession la masculinité et la primogéniture.

      

    Ce mouvement, qui n'est d'ailleurs qu'un aspect de ce glissement général par quoi se dissocie et peu à peu se pulvérise le pouvoir régalien de commander, par quoi se distribuent, se répandent en d'innombrables mains jusqu'au dernier degré de la noblesse, les vertus, les devoirs et les attributs royaux, détermine à l'égard du mariage, à l'intérieur des cellules familiales, plusieurs changements d'attitude qui ne sont pas sans conséquences.

    Parce que le patrimoine prend de plus en plus nettement l'allure d'une seigneurie, parce que, à l'instar des vieux honores ou des fiefs, il supporte de moins en moins d'être divisé et de passer sous un pouvoir féminin, la tendance est d'abord d'exclure les filles mariées du partage successoral en les dotant. Ce qui incline le lignage à marier s'il le peut toutes ses filles.

    Ce qui par ailleurs accroît l'importance de la dot, constituée de préférence en biens meubles, et aussitôt qu'il est possible en monnaie, par rapport à ce qu'offre le mari et qui pousse le sponsalicium, l'antefacturn, le morgengabe, à céder la place au douaire.

    Une telle évolution est générale. La crainte de morceler l'héritage, une réticence prolongée à l'égard de l'affirmation du droit d'aînesse, renforcent inversement les obstacles au mariage des garçons et font du XII, siècle, en France du Nord, le temps des « jeunes > , des chevaliers célibataires, expulsés de la maison paternelle, courant les ribaudes, rêvant aux étapes de leur aventure errante de trouver des pucelles qui, comme ils disent, les « tastonnent (3) », mais en quête d'abord, anxieusement, et presque toujours vainement, d'un établissement qui les transforme enfin en seniores, en quête d'une bonne héritière, d'une maison qui les accueille et où, comme l'on dit encore aujourd'hui dans certaines campagnes françaises, ils puissent « faire gendre » .

     

    Marier toutes les filles, maintenir dans le célibat tous les garçons sauf l'aîné, il s'ensuit que l'offre des femmes tend à dépasser largement la demande sur ce que l'on serait tenté d'appeler le marché matrimonial et que, par conséquent, les chances des lignages s'accroissent de trouver pour celui des garçons qu'ils marient un meilleur parti.

    Ainsi se renforce encore cette structure des sociétés nobles, où généralement l'épouse sort d'une parenté plus riche et plus glorieuse que celle de son mari ce qui n'est pas sans retentir sur les comportements et les mentalités, sans raffermir par exemple cette fierté, dont témoignent tant d'écrits généalogiques, à l'égard de la particulière « noblesse » de l'ascendance maternelle.

    Ces circonstances expliquent enfin que, dans le cours du XlIe siècle, on voie dans les tractations matrimoniales le seigneur intervenir de plus en plus fréquemment auprès des parents, et parfois sa décision l'emporter sur la leur.

    L'Église régit le mariage :

    Si, dans la tension qui la pousse à se réformer, à rompre certaines de ses collusions avec le pouvoir laïque, à s'ériger en magistrature dominante, l'Église intensifie après l'an mille, à propos de l'institution matrimoniale, son effort de réflexion et de réglementation, c'est que cette action se relie étroitement au combat qu'elle mène alors sur deux fronts : contre le nicolaïsme, la réticence des clercs à se déprendre des liens conjugaux, leur revendication d'user eux aussi du mariage comme d'un recours, comme d'un remède à la fornication et dans cette lutte l'autorité ecclésiastique trouve appui sur un fort courant d'exigences laïques, n'admettant pas que le prêtre, celui qui consacre l'hostie, soit en possession d'une femme, que ses mains, ses mains sacrifiantes, soient souillées par ce qui apparaît, et non seulement aux théoriciens de l'Église, comme la pollution majeure - contre, d'autre part, l'hyperascétisme.
     

    L'Église dans les dernières années du XIe Siècle et pendant tout le Xlle s'efforce donc de perfectionner l'insertion du mariage chrétien dans les ordonnances globales de la cité terrestre. En complétant, subséquemment, le cercle de règles et de rites, en achevant de faire du mariage une institution religieuse - et la place qui lui est réservée s'élargit sans cesse dans les collections canoniques, puis dans les statuts synodaux, tandis que, depuis la fin du XIe siècle, se discerne l'édification progressive, au nord et au midi, d'une liturgie matrimoniale. En conduisant enfin à son terme la construction d'une idéologie du mariage chrétien.

    Celle-ci repose en partie, sur la déculpabilisation de l'oeuvre de chair - et il conviendrait de suivre attentivement ce courant de pensée, à demi clandestin, à demi condamné, qui part d'Abélard et de Bernard Silvestre. Mais elle s'érige essentiellement en une remarquable entreprise de spiritualisation de l'union conjugale. Ses aspects, multiples, sont fort bien connus, depuis l'essor du culte marial qui aboutit à faire de la Vierge mère le symbole de l'Église, c'est-à-dire l'Épouse, en passant par le développement dans la littérature mystique du thème nuptial, jusqu'à cette recherche obstinée à travers les textes et leurs gloses, dont le terme est l'établissement du mariage parmi les sept sacrements.

     

    En cours de route, l'effort conjoint des canonistes et des commentateurs de la divina pagina a placé au centre de l'opération matrimoniale le consentement mutuel, où plutôt les deux engagements successifs entre lesquels, le premier, Anselme de Laon établit la distinction : consensus de futuro, consensus de présenti (4).

     

    Une distance, étroite mais sensible, se maintient entre le modèle prescrit par l'Église et la pratique. je prends pour exemple le cas des rites. On peut lire dans l'Historia comitum Ghisnensium composée dans les toutes premières années du Xllle siècle par le prêtre Lambert d'Ardres, l'une des très rares descriptions précises d'un mariage, celui d'Arnoud, fils aîné du comte de Guînes, qui eut lieu en 1194. La conformité s'avère parfaite entre le schéma d'ensemble révélé par les sources normatives et le déroulement de cette cérémonie, scindée en deux étapes distinctes, la desponsatio, les nuptiae.

     

    Après de longues années de « jeunesse », de quête infructueuse et de mécomptes, Arnoud a découvert enfin l'héritière, unicarn et justissimom heredem d'une châtellenie jouxtant la petite principauté dont il est l'héritier : c'est la plus évidente qualité de cette fille. Avec les quatre frères qui dominent dans l'indivision le lignage de celle-ci, son père, le comte, a poursuivi les palabres, fait rompre de premières fiançailles qui promettaient à son fils une moins fructueuse alliance, obtenu l'assentiment des prélats, de l'évêque de Thérouanne, de l'archevêque de Reims, la levée par l'official de l'excommunication qui pesait sur son fils pour une affaire de veuve spoliée, fixé enfin la dos, c'est-àdire le montant du douaire. Première phase, décisive et qui suffit à conclure le legitimum matrimonium.

     

    Restent les noces. Elles ont lieu à Ardres dans la maison du nouveau couple. « Au début de la nuit, lorsque l'époux et l'épouse furent réunis dans le même lit, le comte, poursuit Lambert, nous appela, un autre prêtre, mies deux fils et moi > (en 1194 le prêtre Lambert est marié, deux de ses fils sont prêtres, ce qui manifeste sur ce point aussi l'écart entre le règlement et son application) ; il ordonna que les mariés fussent dûment aspergés d'eau bénite, le lit encensé, le couple béni et confié à Dieu - tout ceci dans la stricte observance des consignes ecclésiastiques.

    Toutefois, le dernier, le comte prend la parole ; à son tour il invoque le Dieu qui bénit Abraham et sa semence, il appelle sa bénédiction sur les conjoints < afin que ceux-ci vivent dans son amour divin, persévèrent dans la concorde et que leur semence se multiplie dans la longueur des jours et les siècles des siècles ». Cette formule est bien celle que les rituels du XIIe siècle proposent dans cette province de la chrétienté. L'important est que ce soit le père qui la prononce, que le père, et non le prêtre, soit ici le principal officiant.

     

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    Amour conjugal :

    De fait, et c'est un autre caractère, ce qui prévaut après 1160 dans l'idéologie profane telle que l'exprime la littérature de cour, c'est bien la valeur affirmée de l'amour conjugal. Elle est au coeur d'Erec et Enide, mais aussi de tous les romans de Chrétien de Troyes que nous avons conservés, c'est-à-dire qui plurent. Demeure et en ce point encore confluent la pensée laïque et celle des clercs - la veine antiféministe, mais maintenant transférée à l'intérieur du couple, animée par la peur de l'épouse, de la triple insécurité dont, volage, luxurieuse et sorcière, on la sent, on la sait, porteuse. L'accent n'en est pas moins mis sur le respect de l'union matrimoniale. Ainsi dans la littérature d'éloge, si le dévergondage des héros est volontiers avoué aussi longtemps qu'ils restent privés d'épouses, sont-ils mariés, et tant que leur femme vit auprès d'eux, il n'est plus question que de cette affection qui fait s'écrouler le comte Baudouin de Guînes lorsque meurt sa compagne, après quinze ans de mariage et au moins dix maternités. Cet homme dur et sanguin, qui ne vit qu'à cheval, garde le lit des jours et des jours ; il ne reconnaît plus personne, ses médecins désespèrent de le sauver (5) ; il tombe dans cette même folie qui saisit Yvain lorsque sa femme le repousse ; il reste ainsi languissant pendant des mois - avant de partir, rétabli, veuf et de nouveau fringant, à la poursuite des servantes.

    II semble bien que dans le dernier tiers du Xlle siècle, quelques signes manifestent que la restriction au mariage des fils commence à se relâcher dans les familles aristocratiques. D'autres garçons que l'aîné sont autorisés à se marier ; on les établit, on prépare pour eux des demeures où vont prendre racine les rameaux ainsi séparés du vieux tronc que la prudence lignagère avait pendant deux siècles au moins maintenu droit, planté tout seul au milieu de son patrimoine. Pour confirmer cette impression il importerait de pousser la recherche, de construire des généalogies précises, de requérir l'avis des archéologues. Encore faudrait-il s'interroger sur les raisons de ce desserrement, les chercher en partie dans la croissance économique, dans le développement d'une aisance qui, depuis les principautés dont les perfectionnements de la fiscalité accroissent alors les ressources, se répand dans toute la noblesse, les chercher aussi parmi toutes les souples inflexions qui viennent insensiblement modifier les attitudes mentales. Les voies de l'exploration sont grandes ouvertes - et sur ce champ d'une sociologie du mariage médiéval que des brumes épaisses recouvrent encore. Mais à mesure que cette pénombre se dissipe, s'éclaire à son tour ce que nous connaissons mieux, et pourtant fort imparfaitement, ce droit, cette morale, toute l'épaisseur de cette enveloppe normative.

    Geaorges Duby

      

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    (1) Regula Pastoralis. III, 27, P. L. 77, 102. (Retour)
    (2) Liber 11 de virtutibus sancti Martini, M.G.H., S. R. M., I, 617. (Retour)
    (3) H. Oschinsky, Der Ritter unterwegs und die Pflege der Gastfreudschaft in alten Frankreich, in. dissert, Halle, 1900. (Retour)
    (4) J.-B. Molin et P. Mutembe, le Rituel de mariage en France au XII, siècle, Paris, 1974, p. 50. (Retour)
    (5) Historia comitum Ghisnensium, cap. 86, M.G.H. , S.S., XXIV, 601. (Retour)

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    Théorie du mariage (A. Debay, 1848)

     
     
    « D'après l'expérience des anciens et des modernes, il est reconnu que l'époque la plus favorable au mariage et à ses fruits est, en général, de vingt-cinq à quarante ans pour l'homme, et de dix-huit a trente ans, pour la femme. On appelle précoces les unions faites avant ces âges, tardives celles qui se contractent après, et disproportionnées les unions dans lesquelles l'âge de l'un des contractants dépasse de beaucoup celui de l'autre.

    Mariages précoces. 
     
    — Les parents sont doublement coupables de marier leurs enfants avant le complet développement du physique; d'abord parce que les jeunes gens, emportés par la fougue de leurs désirs, se fatiguent et s'énervent au milieu d'embrassements trop multipliés; ensuite parce que leur progéniture se ressent de cette précocité et de cet épuisement, ce qui est un malheur pour la race.
     
     
    Après l'épuisement qui succède aux pertes vénériennes, la satiété arrive; bientôt les jeunes époux se dégoûtent l'un de l'autre, ou se voient avec indifférence et vont chercher dans l'inconstance l'aiguillon qui doit réveiller leurs désirs émoussés.
     
    Mais c'est particulièrement pour la femme que la précocité dans l'union sexuelle est plus fâcheuse.
     
     
    Par cette précipitation coupable des parents, la jeune fille reste en arrière du complément de ses forces qu'elle était sur le point d'acquérir.
     
    Sa taille et sa gorge sont défigurées ;
     
     
    sa matrice, qui n'a pas acquis le volume nécessaire, ne saurait contenir un fœtus d'un certain volume, ni lui fournir tout ce qui doit servir à son parfait développement. Enfin, la faiblesse des ligaments suspenseurs de ce viscère, le peu de diamètre du bassin et l'étroitesse du passage que l'enfant doit franchir sont des causes bien souvent funestes à la mère et à son fruit. En effet, comment une jeune fille dont l'organisation est encore incomplète pourrait-elle donner le jour à un être complet ?
     
    Aussi n'est-il point rare de voir les victimes de l'union précoce succomber à la suite d'accouchements laborieux, ou traîner plus ou moins longtemps une vie languissante dans un corps délabré.
     
    Mariages tardifs. — Les organes génitaux de l'homme, à quarante-cinq ans, et ceux de la femme à \ trente-cinq, n'ont plus la vitalité, la vigueur dela jeunesse. L'énergie vitale, restée stationnaire pendant les dix années qui viennent de s'écouler, commence à diminuer sensiblement. Nous parlons en général ; car, selon la constitution, le tempérament, la santé, la bonne conduite ou les déréglements, etc., etc., l'époque de cette décadence arrive plus tôt pour les uns, plus tard pour les autres.
     
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    Alors les érections de l'homme ne sont plus aussi complètes, aussi soutenues ; le fluide séminal n'est plus sécrété aussi abondamment ni lancé avec autant de force, et peut-être même a-t-il perdu un peu de ses qualités viriles.
     
     
    Quoique le corps soit bien portant, les appétits vénériens ne sont ni aussi fréquemment ni aussi impérieusement ressentis ; ce n'est plus l'instinct qui parle, c'est l'imagination.


    Les mêmes phénomènes se passent chez la femme, hormis les exceptions ;
     
    l'amour physique n'exalte plus son cerveau ; le besoin du rapprochement sexuel ne l'aiguillonne plus, et les désirs amoureux, si parfois ils naissent, ne sont qu'un pâle reflet des transports d'autrefois.
     
    La plupart des femmes de trente-cinq à quarante ans ont pris de l'embonpoint, et l'on sait que l'embonpoint est un signe de décadence génitale; aussi les femmes de cet âge ne songeraient que rarement au coït, si leurs maris ne réveillaient par des caresses la partie qui sommeille.
     
    En résumé, aux âges précités, les organes génitaux de l'un et de l'autre sexes ont perdu considérablement de leur ardente vigueur de vingt-cinq ans.

    D'après cet exposé, on conçoit facilement que les fruits provenant des mariages tardifs doivent être moins vigoureux,moins beaux, que ceux des mariages contractés dans la force de l'âge.
     
    Du reste, les faits prouvent mieux que les meilleurs raisonnements et l'on ne saurait nier que la plupart de ces êtres chétifs de l'un et l'autre sexes qui promènent, dans les grandes villes leur santé chancelante, ne reconnaissent d'autre cause de leur constitution débile que celle d'avoir été engendrés par des parents âgés.

    Mariages disproportionnés. 
     
    — Ces unions, ordinairement tristes et immorales, que devraient défendre les lois, sont toujours préjudiciables a la santé du plus jeune et à la constitution des enfants, s'il y a progéniture.
     
    Les jeunes gens que l'appât de la fortune pousse à se marier avec de vieilles femmes épuisent promptement leur vigueur, lorsqu'ils ont affaire à ces femmes déja sur le retour, mais insatiables de luxure, et dont la partie génitale est une fournaise qui dévore tout.
      
    Les jeunes femmes unies à de vieux libertins se fanent de bonne heure, soit parce qu'elles s'abandonnent avec répugnance à la lubricité de leurs époux, soit parce que le vieillard se rajeunit au détriment de leur fraîcheur ; et, si par hasard la conception a lieu, qu'attendre d'un être procréé en de telles conditions ?
      
    Tous les physiologistes sont d'accord sur ce point, qne les enfants procréés dans un âge avancé sont chétifs, doués de peu de vitalité, sujets au rachitisme, aux hémorroïdes, etc.;
     
    ils conservent même, pendant leur jeunesse, quelque chose de taciturne qui n'est point de leur âge; beaucoup n'atteignent point leur second septenaire; ceux qui résistent mènent ordinairement une vie languissante.
     
    Les lois romaines, plus sages que les nôtres, s'opposaient à ces sortes de mariages; elles avaient établi des limites d'âge qu'il était défendu de franchir, à peine de nullité de mariage et d'exil [...].»




     
      
      
    SOURCES : BLOG - 
     
      

     

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    PETITE HISTOIRE DE L’ALLAITEMENT

    L’histoire de l’alimentation infantile est le témoin privilégié de l’évolution de la société. Le lait de la mère a toujours été considéré comme le meilleur aliment pour nourrir l’enfant, toutefois, la nature, la coquetterie, ou la pauvreté pousse certaines mères à trouver des solutions alternatives à l’allaitement.


    L’ALLAITEMENT MATERNEL

    Dès le Moyen-âge, l’habitude est prise de confier son enfant à une nourrice. Les nobles, suivies par la Bourgeoisie et finalement toutes les classes sociales urbaines font allaiter leurs enfants par des nourrices, contre l’avis des médecins de l’époque.

     

    A l’origine, cette pratique concerne surtout les milieux aristocratiques et bourgeois. Il s’agit alors des « nourrices sur lieu », qui viennent à Paris s’installer dans les maisons de familles aisées pour allaiter les enfants. Les « nourrices sur place » se voient quant à elles confier les enfants abandonnés de l’Assistance et les enfants de familles plus modestes, qu’elles élèvent à la campagne.

    L’allaitement est remis en cause par les femmes car cela les épuise et les expose à l’inconvenance, à la réclusion sociale (pour les femmes du monde). Elles y laisseraient leur beauté, leur fraîcheur sans compter les maris frustrés de n’avoir pas de relations intimes pendant la durée de l’allaitement qui peut durer longtemps. En outre, pour les femmes d’ouvriers ou d’artisans qui travaillent, l’allaitement est une contrainte, et elles n’ont pas d’autres choix que la mise en nourrice ou l’abandon.

    Avec la création de l’Assistance Publique au 19e siècle, la mortalité de ces nourrissons, très importante sous l’Ancien régime, baisse de façon significative. Les nourrices sont plus contrôlées, elles sont soumises à des visites médicales régulières, la durée d’allaitement est limitée à deux années, etc.

    Cette profession disparait au 20e siècle avec l’utilisation grandissante du biberon ainsi qu’avec la création d’autres modes de garde (crèches, assistantes maternelles à domicile…) destinées aux femmes qui travaillent. Toutefois, les donneuses de lait vont persister à l’Assistance Publique. Aujourd’hui les lactariums les ont remplacées, alimentés par des donneuses volontaires.

    • Un bureau de nourrices, José Frappa, 19e siècle

    Autre étape importante dans l’histoire de l’alimentation : la création de la première « Consultation de nourrissons ». Constatant un fort taux de mortalité dans les premiers mois suivant l’accouchement, le Docteur Budin crée en 1892 une consultation à l’hôpital de la Charité. Les jeunes accouchées reviennent ainsi régulièrement et gratuitement à l’hôpital avec leur nourrisson afin qu’il soit pesé et examiné. Elles allaitent leur enfant mais pour celles qui ne le peuvent pas, un lait stérilisé leur est fourni. L’alimentation est ainsi contrôlée et les règles de puériculture enseignées aux mères.

    Il en va de même pour les « Gouttes de lait ». Gaston Variot, docteur des hôpitaux de l’Assistance Publique, crée en 1892 La goutte de lait de Belleville. Cette visite au dispensaire se décompose en trois étapes : la pesée, la consultation et la distribution de lait. Devant le succès de ces expériences, l’administration décide de créer d’autres consultations et dispensaires dans Paris.

    • Consultation de nourrissons, début 20e siècle

    A la fin du 19e siècle, devant la recrudescence de cas de syphilis infantile la solution expérimentée par les hôpitaux est la substitution du lait maternel par du lait animal. En effet, les enfants malades ne peuvent pas être allaités par les nourrices par crainte de contagion. Le Docteur Parrot décide donc de fonder une nourricerie d’ânesses à l’hospice des Enfants-Trouvés, le lait d’ânesse étant celui qui se rapproche le plus de celui de la femme. Le nourrisson est placé directement au pis de l’animal de façon à éviter toute autre contamination. Les résultats sont peu concluants : une ânesse produit moins de 2 litres de lait par jour, lait qui se conserve mal et ne suffit pas à sustenter les nombreux petits patients.

    L’expérience ne dure que de 1881 à 1893.

     

    SOURCES / http://aphp.ebl.fr/hopitalimentation/page5.html

    • La nourricerie Parrot, Haennen, 19e siècle

    L’ALLAITEMENT ARTIFICIEL : BIBERONS, TÉTINES…

    L’essor du biberon et de « l’allaitement à la main » se produit au 19e siècle et se trouve directement lié à la 1ère révolution industrielle et à l’arrivée des femmes dans le monde du travail. Les quelques 150 biberons de la collection du musée témoignent de l’évolution des formes et des matériaux. Le biberon suit l’évolution sanitaire des hôpitaux et reflète l’engagement de plusieurs médecins de l’Assistance Publique dans la diffusion d’une nouvelle discipline : la puériculture.

    De l’Antiquité au 17e siècle, le biberon revêt différentes formes : gutti, petit pot en terre cuite, corne de bovin, cuillère en bois… Il n’est alors qu’un simple ustensile réutilisé à des fins d’allaitement.

    • Biberon, terre cuite moulée, époque gallo-romaine

    Le véritable biberon nait au 17e siècle. A l’origine en étain ou en fer blanc, le biberon en verre n’apparaît qu’au 18e siècle. Sa forme évolue de la simple bouteille à une forme plus élaborée comme celle du biberon limande, plat et allongé pour, semble-t-il, faciliter la prise en main de l’enfant.

    • Biberon, étain, 17e-18e siècle

    La tétine est fabriquée à partir d’un simple linge retenu par un lien de coton. L’usage de ce tissu également appelé « drapeau » perdure jusqu’au début du 19e siècle, époque durant laquelle il est remplacé par de véritables tétines. Le tissu est alors concurrencé par l’ivoire, le bois, l’os, ces matériaux permettant la fabrication d’embouts plus adaptés à un débit régulier et à une meilleure hygiène.

    • Tétines, matériaux divers, fin 19e-début 20e siècle

    Aux 19e et 20e siècles, les modèles qui apparaissent présentent la particularité de porter le nom de leur inventeur : c’est la naissance des marques et de la production manufacturée.

    La marque la plus célèbre est Robert. Ce fabricant crée le biberon à soupape et à long tuyau qui permet au bébé de se nourrir seul. Ce biberon connaît un grand succès jusqu’à son interdiction en 1910 : il est en effet la cause de nombreux décès car impossible à nettoyer d’où son surnom de « biberon tueur ».

    • Biberon Robert, plaque émaillée, 1873

    Des médecins de l’institution s’attachent à promouvoir la puériculture et l’allaitement. Ils vont jusqu’à créer des biberons qui répondent aux besoins nutritifs des nourrissons : c’est le cas du Docteur Budin et son galactophore, mais aussi du Docteur Variot et son biberon gradué physiologiquement. Il s’agit du premier de la sorte et il sera utilisé dans plusieurs biberonneries de l’Assistance Publique car il facilite nettoyage et stérilisation.

    « L’asepsie des biberons étant le complément indispensable de la stérilisation du lait, il faut donc délaisser tous les anciens appareils plus ou moins ingénieux imaginés pour régler l’écoulement du lait »

    Dr Variot, 1910

    La stérilisation est facilitée par le matériau et la forme des biberons mais aussi par l’utilisation de nouvelles matières pour les tétines. L’invention de la vulcanisation du caoutchouc par Goodyear en 1839 est une révolution dans le domaine. Par ce procédé chimique, le caoutchouc est ainsi rendu plus souple et résistant.

    • Galactophore du Dr Budin, verre, fin 19e siècle

    Depuis les années 1980, les tétines en silicone et les biberons en plastique (Bisphénol A) se répandent. Légers et joliment décorés, ils sont aussi potentiellement dangereux car leur composition chimique contient des perturbateurs endocriniens qui peuvent altérer la santé notamment la croissance. Aujourd’hui, dans les maternités et crèches du personnel de l’AP-HP, le Bisphénol est proscrit et le biberon à usage unique est la règle.

    • Biberon sérigraphié, Bambéric, fin 20e siècle

     
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  • Quel avenir pour l’Oratoire 
    de l’hôpital Saint Vincent de Paul ?

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    Depuis 2010 on a assisté à la disparition programmée de

    l’Hôpital Saint Vincent de Paul avec, en premier lieu, la fermeture des urgences, puis le transfert progressif de ses divers services soit à Cochin, soit à Necker.


    Façade de l'Hospice des Enfants Assistés 

    A l’heure où nous écrivons il ne reste en fonctionnement sur le site, dans la partie dite ‘’de l’Oratoire’’, que ‘’le Centre d’ Accueil d’Urgence pour l’Enfance ’’.

     

    Il s’agit d’un établissement public départemental spécialisé dans l’accueil des enfants nécessitant protection dès la naissance.

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    Le déménagement de ce service public à la Porte des Lilas était prévu pour fin décembre ; il a été reporté au 15 janvier 2014. Une fois ce transfert réalisé que deviendront les locaux abandonnés ?

     

    En particulier que deviendra la chapelle dédiée à ‘’la Sainte Trinité et à l’Enfant Jésus’’ située 76 avenue Denfert Rochereau, et dont le portail et la façade avec rosace, sont connus de tous les habitants du XIVème arrondissement ?

    img_bul206_05Hospice des Enfants assistés – Carte postale ancienne (Coll. YAB)

    Un bref point d’histoire : cette chapelle a été construite entre 1655 et 1657 par l’architecte Daniel Gittard. Elle était le lieu de culte du  noviciat de l’Ordre de l’Oratoire et cela dura jusqu’en 1792 (1).

     

    Après la Révolution l’Institution de l’Oratoire devint  à partir de 1814 un hospice pour enfants trouvés de moins de 2 ans.

     

    Il faut rappeler qu’un ‘’ tour ‘’ avait été installé  dans le mur  de l’hospice donnant  sur la  rue d’Enfer, appellation à l’époque, de notre actuel boulevard : on pouvait déposer sur la partie du plateau donnant sur la rue, l’enfant  que l’on décidait d’abandonner ;

     

    le plateau en tournant faisait entrer l’enfant à l’intérieur des locaux de l’hospice où les sœurs de Saint Vincent de Paul le prenaient en charge.

     

    Ce ‘’tour ‘’ a fonctionné jusqu’en 1860, année à compter de laquelle l’Institution de l’Oratoire a pris le nom d’Hospice des Enfants Assistés’’. 

     

    Au fil des ans de nombreux bâtiments furent construits et l’ensemble ainsi constitué fut dénommé en 1942, ’’Hôpital-hospice  Saint Vincent de Paul’’. Au sein de cet ensemble hospitalier ’l’Oratoire ‘’ dit aussi la ‘’Pouponnière‘’, a continué de fonctionner  jusqu’à  nos jours.

    Donc après transfert, que va devenir ce bâtiment qui a vu passer de si nombreuses générations d’enfants en difficulté ?

     

    Le Plan Local d’Urbanisme a classé l’Oratoire dans la catégorie des immeubles à préserver. 

     

    Reste la question : comment  sera sauvegardé ce lieu ou une partie de ce lieu, où convergent  tant de mémoires d’adultes, qui, enfants, y ont séjourné ?  Y revenant même pour y retrouver …quelque trace ?

    img_bul206_06Hospice des Enfants Assistés – La crèche – Carte postale ancienne (Coll. YAB)

     

    C’est la question que s’est posée lors de son départ en retraite Geneviève Lecuyer-Albert longtemps attachée à ‘’l’Oratoire’’ comme psychologue.

    C’est pour faire en sorte qu’une réponse soit  donnée à cette question qu’elle a décidé, sur une idée de Guillaume Normand, archiviste, de créer avec d’autres collègues, une association dont l’objet est d’œuvrer à ce que,

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    malgré les restructurations et destructions qu’implique, hélas,  toute opération immobilière de l’envergure de celle qui se prépare, cet endroit et ce bel immeuble du XVIIème siècle soient préservés, et deviennent un lieu de mémoire.

     

     

    img_bul206_07Hospice des Enfants Assistés – La crèche

    – Carte postale ancienne (Coll. YAB)

    La Société Historique du XIVème arrondissement, soucieuse de la préservation des lieux ou chemins de mémoire et du patrimoine de l’arrondissement, a décidé de soutenir les initiatives que cette nouvelle association sera conduite à prendre.

    Elle demande donc aux sociétaires intéressés par les buts que se donne cette association, de se faire connaitre auprès du signataire du présent article.

    Jean-Pierre Terseur 

     

    SOURCES Blog sensationnel

    http://www.sha14.asso.fr/bulletins/bulletin-n206/

     

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