• Prostituées- portraits et destins

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    Ce sont des dizaines de petites photographies d’identité,

    collées à la gomme arabique sur un cahier.

     

    Case par case, nous découvrons des visages de femmes, toutes

    entre 20 et 45 ans, unies par un même et commun destin:

     

    prostituées au Petit moulin rouge, rue du Cheval Blanc, à Saint-Amand

     

    .

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    Ne me demandez pas comment ce registre est un beau jour arrivé à la rédaction du quotidien local le Berry républicain.

     

    Prêté par un collectionneur, sauvé d’une benne à papier où ont fini tant d’archives contemporaines, j’ai eu la chance de pouvoir le feuilleter entièrement et, plus que les informations sociologiques qui auraient du attirer mon regard d’historien, ce sont d’autres regards qui m’ont happé.

     

    Des regards joyeux, mutins parfois, indifférents, résignés, effondrés, ceux de filles, de femmes, venues vendre leur corps ou leur force de travail sous les ordres de mme Olga, dont la devise, afin que chacun puisse rentrer chez lui l’attitude, à défaut de la conscience, tranquille, était “ discrétion, sécurité”.

     

     

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    Elle arrivaient en train, pas grand chose dans leur petit bagage, jamais pour très longtemps, passant d’une maison close à l’autre.

     

    Le rituel était toujours le même, les regards ironiques des employés de la gare quand elles demandaient le chemin du commissariat, les coups d’œil à la dérobée des gens croisés sur le trottoir, l’ouverture du registre par le fonctionnaire de police, la déclinaison de l’identité, de l’âge, de l’état civil, l’avœu de la dernière adresse, presque toujours un bordel, la remise de la petite photo d’identité, commandée chez un photographe là-bas, il y a  longtemps, et dont on a tout un paquet dans une petite enveloppe, et puis à nouveau la rue, les regards et enfin les deux marches pour sonner à la porte et se présenter à la sous-maîtresse.

     

    Là, visite des salons et des chambres, l’odeur de tabac froid, le rendez-vous annoncé avec le médecin, un homme, chargé du suivi vénérien des pensionnaires, un coup d’œil bref sur les sanitaires.

     

    L’eau, tirée au puits, c’est le travail des femmes à tout faire, les vieilles, celles dont les clients ne veulent plus, et qui n’ont pas eu la chance de se trouver un mari parmi leurs anciens clients célibataires.

     

    Elles aussi ont dû laisser leurs papiers au commissariat, dans la chemise rangée dans le même tiroir que le registre.

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    D’où venaient-elles?

     

    Fiche par fiche se dessine une géographie de la misère. Bretonnes, normandes, filles du Nord ou du Sud-Ouest, parisiennes -mais depuis combien de temps?

     

    - quelques unes venues de Marseille, de Bourgogne, de l’Est.

     

    On en croisait même qui avaient franchi la, ou les mers, pour venir en métropole. Corse, Afrique du Nord, même une Guadeloupéenne, qui, pour donner un peu d’exotisme aux fantasmes de ses habitués, se faisait surnommer Zouzou.

     

    Une allemande, au beau nom prussien, égarée en France après la crise, loin des bruits de bottes et des aigles sur les casques, amuse les hommes, surtout ceux qui ont fait la guerre, avec son accent.

     

    Un autre point commun entre elles: le train, ce train qui leur avait donné un moment l’illusion de fuir la misère des campagnes pour trouver un gentil mari dans une ville où, forcément, tout aurait été mieux.

     

    Puis les quelques sous au fond du mouchoir cousu dans le pli de la poche qui fondent dans des garnis miteux, des caboulots aux soupes claires et bientôt l’angoisse de n’avoir plus rien. La prostitution n’est pas la porte de sortie, juste un moyen de continuer un peu.

    Et puis il y a ces mal-mariées, ces femmes qui ne supportent plus les coups et les odeurs de vinasse et de linge sale, qui ont fui leurs maris, quand ce ne sont pas eux qui les ont mises au travail sur le trottoir.

     

    Certaines ont des enfants, confiés à une mère, à une cousine en campagne, dont elles ne parlent presque jamais, que seule une photo dans le porte-cartes et le petit mandat mensuel donnent le sentiment de rester leur mère.

     

     

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    Que sont-elles devenues?

     

    L’immense majorité dérive d’une maison close à l’autre,

    suivant des flux mystérieux sur lesquels le registre ne donne aucune information.

     

    Certaines prennent du grade, et perdent alors ce qu’un policier saint-amandois appelle leur “nom de guerre”, en devenant sous-maîtresses, pour ne pas dire contremaîtres.

     

    On les désigne par leur état-civil, leur surnom tombe dans l’oubli.

     

    D’autres abandonnent ce que le langage populaire appelait “le pain de fesses” pour servir de bonnes dans les maisons de tolérance. De filles soumises, elles deviennent bonnes à tout faire, pas sûr que ce destin soit plus enviable que le précédent.
    La maladie est là, et ronge. Katie et Dolly, sans doute victimes du même mal qu’on disait “français”, à une époque, sous les ordres du docteur F., sont envoyées à l’hôpital pour y subir des “soins spéciaux”. La pénicilline fait des miracles et beaucoup ressortent guéries, jusqu’à la prochaine fois.

     


    Certaines fuient leur condition par le haut.

     

    France X, dite Loulou, avait  22 ans quand, après être passée par les maisons de tolérance de Bourges, de Dun-sur-Auron puis de Saint-Amand, elle revint à Bourges comme doctoresse au dispensaire d’hygiène social (sic).

     

    Un destin à la Céline, qui écrit Mort à crédit à peu près au même moment.
    D’autres terminent de façon sordide.

     

    Paulette, 32 ans, prostituée à Saint-Amand, passée sous-maîtresse à Nevers, succombe sous les quatre coups de revolver tirés par son amant, dit “Bébé”, dans le claque dans lequel elle officiait.

     

    Je laisse au lecteur le soin d’imaginer ce qui poussa cet homme -amoureux désespéré?

    proxénète à la petite semaine? fou homicide? à commettre l’irréparable.

     


    Toutes ces tranches de destin sont là, poignantes pour qui veut bien y regarder sans esprit de gaudriole, dans ce petit cahier aux pages jaunies, biffées de rouge ou de bleu à chaque départ.


    Merci au propriétaire du registre, qui, je l’espère, ne m’en voudra pas trop d’avoir ainsi pillé une partie de son trésor, et à Valérie Mazerolle, journaliste au Berry républicain, sans laquelle je n’aurais sans doute jamais eu l’opportunité de feuilleter cette archive, et dont les éclairages d’historienne contemporaniste ont été très utiles pour le médiéviste que je suis.

     

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    SOURCES

     http://le-livre-de-meslon.over-blog.com/article-prostituees-a-la-maison-close-

    le-petit-moulin-rouge-portraits-et-destins-79212509.html 

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    FERNANDO
    Mardi 20 Novembre 2018 à 20:58

    Hello, I need identify to the blonde hair girl to the left 1º/4 photo, could you help me?

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    2
    stangvenn
    Lundi 16 Novembre 2020 à 22:37

    Bonsoir,

    Je suis époustouflé par votre travail ! Bravo !

    Personnellement, j'étudie de près le phénomène Brestois des maisons de tolérance dans un quartier aujourd'hui disparu mais qui en comptait fin XIXe une trentaine, aussi j'aimerais échanger, si vous le souhaitez, sur ces sujets.

    Puis-je vous demander, dans l'immédiat, l'autorisation de vous emprunter quelques portaits pour illustrer un article de mon blog de généalogie ?

    Je garde espoir de trouver un jour le portrait d'une Brestoise.

    Cordialement,

    Gilles.

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