Le terme « lessive », caractérise à la fois l’action de laver le linge, l’eau de lavage et le linge lui-même (du latin lineus, lin ; le linge désignant au départ la toile de lin) : on fait la lessive au lavoir, dans une buanderie, une laverie, à la main, dans une lessiveuse ou une machine à laver, encore appelée lave-linge.
laveuses, lavandières, blanchisseuses et repasseuses.
Corvée autrefois longue et pénible, malsaine, le lavage du linge s’est transformé en une tâche quotidienne simple, rapide et relativement bon marché, et moins polluante qu’elle ne le fut autrefois, suite aux nombreux progrès technologiques qui se sont opérés au cours du siècle dernier.
La lessive est devenue, de nos jours, une opération banale, pratiquée quotidiennement.
Chaque jour, en France, on estime à 20 millions le nombre de lessives effectuées.
La plus ancienne description de lavage est faite par Homère (Odyssée chant V) : Nausicaa et ses compagnes apportent le linge du palais sur le fleuve.
A l’origine, la lessive se faisait avec les pieds :
on foulait le linge.
Le verbe “laver », en hiéroglyphes égyptiens, est représenté par deux pieds dans l’eau. C’est également avec les pieds que les foulons romains détergeaient le suint (matière grasse animale attachée à la laine des moutons).
Mais la grande affaire de nos proches ancêtres, était la lessive à la cendre que l’on pratiquait dans tous les villages et les petites villes, deux fois l’an, au printemps avant les Rameaux,
et à l’automne vers la Toussaint, selon les régions.
C’était un événement important de la vie communautaire, un acte social qui rassemblait les femmes et donnait lieu à une vraie fête, avec repas,
chants et danses qui faisaient oublier la fatigue.
Faire la buée [bue, bues, buées, bui(e)s), bugée ou bughée en Poitou-Charente], avec de l’eau portée à ébullition donc, désignait l’ensemble de l’opération, qui, à l’extérieur ou dans une pièce spécialement préparée (chambre à four, fournil, atelier, appentis ou coin de grange), se déroulait sur trois ou quatre jours, voire une semaine, suivant le volume de linge à laver :
une grande buée comptait en moyenne 70 draps, autant de chemises, et des dizaines de torchons et de mouchoirs.
Les 3 grandes opérations de la buée
Le tri se pratiquait dans les foyers :
d’un côté le linge blanc, et de l’autre, les lainages et le linge fin.
Le blanc lui-même était trié, car sa place dans le cuvier était conditionnée par sa finesse et son degré de saleté.
1) le trempage [échangeage, essangeage, essoinguage ou échange], correspondait au prélavage.
Dans un baquet, à la maison, ou au lavoir (à la fontaine, au bord de la rivière, du ru, de l’étang ou de la mare), l’opération consistait à décrasser à l’eau, sommairement, pour en faire tomber les matières peu adhérentes et solubles (poussières, boues), le linge que l’on avait amassé, voituré en ballots ou brouetté.
Ainsi, la crasse était-elle dissoute dans l’eau froide alors que les matières qui la constituaient auraient coagulé dans l’eau bouillante.
Les saletés ou « sanies » les plus tenaces étaient frottées à la brosse sur une planche à laver striée.
On aménagea ensuite le bord de certaines rivières avec un rebord de bois ou de pierre permettant de rester soi-même au sec en lavant son linge.
Pour les rivières dont le niveau d'eau est variable, on imagina même le bateau-lavoir qui ne naviguait pas, car il était solidement amarré au bord, mais avait pour avantage de toujours se trouver au niveau de l'eau.
Dans les endroits non traversés par un petit cours d'eau, furent créés des lavoirs publics, alimentés par une canalisation, où l’on pouvait venir laver son linge.
Dans les villes plus importantes, on a même ajouté au xixe siècle des chaudières permettant d’obtenir de l’eau chaude.
2) Le lessivage Il s’opérait en 2 temps :
- L’encuvage Le grand cuvier (cuveau, bugadier ou bougadou dans le Sud-Ouest, biré ou biri en Bourgogne du sud) en bois cerclé de
– en tôle zinguée au début du xxème siècle), pouvant atteindre 1,20 m à 2 m de diamètre sur un peu plus d’un demi-mètre de hauteur et
contenir jusqu’à 400 litres d’eau, était sorti (ou loué) chez le tonnelier
(après avoir été rempli d’eau un mois avant pour faire gonfler le bois) et posé sur un trépied (en bois ou en métal).
Si le cuvier disposait d’un trou de vidange, au fond, (vide-lessive, pissette, pisserotte, pissoir), on le bouchait avec une poignée de glui (paille de seigle longue et non brisée)
ou de paille de blé, qu’on tordait avant de l’introduire en force ; dépassait alors un faisceau d’une dizaine de centimètres qui servait de bouchon filtrant ;
le jus de lessive (le lissieu, le lessi) recueilli goutte à goutte tombait sous le trépied dans un bac de récupération, la jalle, (ou jarle) ou tinotte où on le puisait pour le réchauffer en permanence, dans la marmite, jadis accrochée à la crémaillère de la chemnée, ou, plus récemment, sur le fourneau situé à proximité, lequel servait aussi à cuire la nourriture des animaux.
Dans bien des maisons, la place étant comptée, la cuisine pouvait avoir été débarrassée de ses meubles et transformée en buanderie.
En 1904, le canal Saint-Martin est encore utilisé pour laver le linge. L'exposition du Musée Carnavalet permet de se replonger dans les habitudes des classes populaires.
On mettait des branchages au fond du cuvier pour maintenir un écart entre le linge et la goulotte et faciliter l’écoulement futur de l’eau.
Puis on disposait dans le cuvier, un grand vieux drap (généralement une grosse toile de chanvre), appelé charrier (cendrier ou, encore, flairé), pour envelopper la lessive :
il servirait de filtre pour retenir les cendres et ne laisserait passer que le produit lessiviel bouillant, lors du coulage à chaud.
On déposait, après les draps (les linceux), généralement brodés aux initiales de la mariée, le linge de corps et les vêtements (chemises, bonnets de nuit), puis les vêtements de travail, les blouses (bliauts, biauds ou biaudes), le linge de maison, les nappes et les serviettes, les torchons, jusqu’à ce que le cuvier soit plein ;
des lamelles de savon et des racines d’iris (du fenouil ou de la lavande), étaient disposées entre chaque couche pour parfumer le linge.
Pour ne pas laisser la lessive s’écouler sans traverser les tissus, les petites pièces étaient placées au fond, avant les plus grosses et tout le linge qu’on avait amassé était tassé au maximum.
Chamaret, le Colombier. Vue d’ensemble de la Grande Fontaine, datée de 1781. Phot. Alain Franchella © Région Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel, ADAGP, 1999
Lorsque le linge recouvrait entièrement le charrier, on disposait, sur toute la surface, la charrée, soit dix à quinze centimètres de cendres qu’on avait retirées de la cheminée ou de la cuisinière et tamisées soigneusement, pour en éliminer les morceaux noirs de charbon de bois ;
longtemps préparée à l’avance, elles provenaient d’arbres fruitiers, de châtaigniers, de frênes, de charmes, d’ormes, de peupliers ou de sapins : étaient proscrites les cendres de chêne, qui tachent, comme celles de tout bois dur.
Puis on ramenait les coins du charrier sur les cendres.
« Châtaignier… :
(ce) mot évoque une des deux maximes pratiques qui ont régi mon enfance :
« ne mange pas la bouche ouverte, et ne jette jamais dans la cendre les épluchures de châtaigne ! »
C’est que la cendre, fine mouture, était promise à la lessive.
Où vous-a-t-on élevés pour que vous ignoriez qu’une pelure de châtaigne, un brandon de chêne mal carbonisé, peuvent tacher toute une lessive ? »
(Colette,Prisons et paradis, p. 110)
Si le cuvier avait une bonde, on y enfonçait soit une cannelle reliée à une gouttière (ou coulotte), soit un drain en bois de sureau ou un tuyau, qu’on inclinait vers la casse de la chaudière
(ou cassin – en fonte à la fin du XIXème siècle), contenant l’eau en train de chauffer à laquelle le jus de lessive, ainsi canalisé, se mêlerait directement.
Réauville. La fontaine du village adossée au lavoir ; remaniée en 1905, elle conserve son bassin antérieur. Phot. Alain Franchella © Région Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel, ADAGP, 1999
- Le coulage ( ou échaudage ou ”bugade”)
Pour que la bue fût bonne, la première coulée se faisait avec de l’eau chaude (surtout pas bouillante pour ne pas cuire la saleté) ; puis on faisait, lentement, couler l’eau (une soixantaine de litres environ), de plus en plus chaude, puis bouillante sur la charrée.
La solution alcaline qui résultait de la macération des cendres végétales dans l’eau agissait comme lessive.
Parfois, on y ajoutait des orties en décoction qui forçaient plus encore le blanchissage.
Le charrier finissait par être complètement recouvert et l’eau nettoyait lentement le linge qu’elle traversait ; puis, par la goulotte, elle retournait à la casse où elle chauffait de nouveau ;
on la puisait (ou la « puchait ») à l’aide du coule-lessive, (puisard ou puisette, sorte de godet ou de louche, en cuivre parfois, pourvu d’un long manche), puis on la réchauffait jusqu’à ébullition et reversait, toujours avec la puisette, au sommet du cuvier sur le charrier.
On recommençait l’opération de transvasement pendant des heures, jusqu’à ce que la maîtresse de maison estimât que le linge devait être propre.
Il était alors retiré brûlant du cuvier avec une pince en bois à longues branches ou un bâton fourchu et mis à égoutter sur des tréteaux.
On ne prétendait pas, en procédant ainsi, avoir éliminé la saleté ; mais, répandue sur l’ensemble du linge elle était rendue soluble par les cendres, et plus vite éliminée dans l’eau de la rivière.
Si l’ouvrage n’était pas achevé quand tombait le soir, la laveuse, pour conserver la chaleur et retenir dans le linge la vapeur active, couvrait le cuvier avec des sacs à grains, ou avec un couvercle fabriqué en paille de seigle et en noisetier, appelé le fleuriot, ou une grosse couverture. Après avoir macéré toute la nuit, le linge était dépoté le lendemain.
Les cendres lessivées étaient récupérées au jardin (mélange de carbonate de potassium et de chlorure de potassium, la potasse est utilisée comme engrais et le bicarbonate de potassium est aussi un fongicide
["le terme potasse provient du néerlandais « potas » ou de l'anglais "pot ash" littéralement «cendre de pot»] wikipedia.
3) Le rinçage et le battage du linge sur les bords de la rivière ou au lavoir
L’opération du « retirage » (le troisième jour de la bue en général) était le fruit d’un effort harassant qui durait toute une journée : les lavandières transportaient le » butin » mouillé soit sur une brouette, dans des sacs de grosse toile ou des paniers d’osier, soit dans une hotte portée à dos.
Les laveuses procédaient alors au dégorgeage à l’eau courante, à l’aide d’un battoir en charme ou en châtaignier, ou mieux, à l’aide d’une brosse de chiendent, le “chient”, au rinçage, agenouillées dans leur boîte à laver (ou carrosse ou cabasson – un coffre en bois de sapin) garnie de chiffons ou de coussins de paille, qui servaient de protection, munie d’une planche ou non.. Elles tendaient le linge à bout de bras, le laissaient flotter dans l’eau froide, le frottaient et le pressaient sur la selle avec la brosse, le rinçaient en le tordant et en le frappant avec le battoir pour le débarrasser de l’eau de lessive.
Elles pouvaient aussi travailler debout, la selle posée sur des tréteaux.
L’azurage : on plongeait dans l’eau de chaque baquet de rinçage un sac de bleu contenant une poudre bleue provenant de l’indigotier ou de l’outremer, pour rendre le linge encore plus blanc.
Le blanchissage :
tout aussi éreintant que la précédente, l’opération consistait à étendre le linge au soleil, en plein champ, et à lui faire subir une série de manipulations pouvant durer 2 à 3 jours.
Conformément aux préceptes de Diderot et d’Alembert, le linge était étendu à plat sur un pré, arrosé à plusieurs reprises avec un arrosoir de jardinier et retourné deux ou trois fois sens dessus dessous.
Pendant trois jours, le soleil et l’eau achevaient
« de lui donner un lustre et un blanc très parfait ».
Le séchage – couvert :
le linge était mis à sécher au grenier, aéré par des lucarnes, en mauvaise saison. – à air chaud, devant le poêle ou la cheminée.
– en plein air, directement étendu sur l’herbe (ce qui présente l’avantage du blanchiment) pour les grandes pièces telles que les draps ou étendu sur des cordes, en plein vent, fixé par des pinces à linge qui n’étaient, avant les pinces à ressort, que de simples fourches de bois taillé ; et si la corde fléchissait, on la relevait à l’aide de perches en bois fourchues.
L’expression « pendre le linge », utilisée autrefois, a été supplantée par celle, plus logique, « d’étendre le linge » et le terme « étendoir », remplacé par « séchoir », bien que ce dernier désigne plus souvent un système mécanisé de séchage (par une source artificielle de chaleur et/ou d’aération).
Cette méthode de lavage, plus ou moins perfectionnée au cours du temps, fut pratiquée jusqu’après la première guerre mondiale :
le linge sale passant ainsi, en plusieurs jours, de l’enfer
(passage dans le cuvier) au purgatoire
(séance de battoir au lavoir ou à la rivière),
puis au paradis (rinçage, séchage, repassage et blanchiment).
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